27 avril, 2009

Joli compliment !


Voici quelques temps déjà, j'ai accueilli une nouvelle patiente assez rigolote. L'œil aussi noir que le cheveux ou ses vêtements, elle énonce des vérités que n'aurait pas renié Léautaud. Là où la plupart de mes confrères auraient vu la dépression menaçante, je ne vois que des traits de caractère assez rares mais pas pathologiques pour autant.

On peut admettre que l'on vit dans un monde de cons dont on ne partage pas les valeurs sans pour autant être un cas pathologique. Parfois rester sombre et ne pas se réjouir est une preuve de lucidité. En revanche, applaudir sans cesse et vivre à l'unisson des néo-valeurs actuelles peut être le fait d'esprits faibles voire de crétins.

Ma pauvre petite patiente a écumé les cabinets de psys lesquels ont toujours voulu lui coller un beau diagnostic. Et en psychiatrie c'est assez facile puisque dès lors que vous vous éloignez d'une médiane, on peut vous caser dans autant de boîtes qu'il y aura de types de caractères. Le travail de mes confrères a consisté en une sorte de rééducation en vue d'amener ma patiente à entrer dans une moyenne.

J'ai décidé de la juger normale, sans doute parce que dans le fond, on se ressemble beaucoup. Je n'ai pas tenu compte de ses excès parce qu'ils me semblaient simplement être le fait des dix spet années qui nous séparent. Il me semblait qu'à son âge, et compte tenu du monde dans lequel on vit, moi aussi j'aurais été aussi sombre et désespéré qu'elle.

En revanche, je me suis appuyé sur le sens de l'humour que j'avais détecté chez elle. En effet pourvu que l'on gratte un peu et qu'on ne se laisse par berner par sa noirceur apparente, la donzelle est nantie d'un solide sens de l'humour et d'une vraie sensibilité qui dénote par rapport à la sensiblerie ambiante.

Ca a plutôt bien marché. Le travail consistant donc à s'accepter en tendant à améliorer ses contacts avec le monde plutôt qu'à se changer à tout prix pour s'intégrer parfaitement. J'ai toujours persisté à lui dire qu'elle n'avait "rien" et qu'elle était "normale", simplement un peu plus lucide que la moyenne des gens ce qui pouvait générer une souffrance. On peut supposer que Churchill qui était un peu plus lucide que son prédécesseur Chamberlain a pu connaître le même type de souffrance !

Voir ce que les autres n'appréhendent même pas est un don magnifique qui occasionne aussi bien des souffrances. Il faut alors se tenir un peu loin du monde tout en y vivant et c'est une équation complexe à mettre en place. Pour cela il faut instiller une bonne dose d'humour et savoir aussi rechercher la compagnie de ses pairs afin de ne plus penser qu'on est seul au monde à penser comme cela.

Bref, je crois que la thérapie a bien fonctionné. Nous approchons du terme du travail qu'elle et moi pouvions faire ensemble. Et lors de la dernière séance elle m'a dit quelque chose de profondément gentil : "Je vous remercie parce que vous n'avez jamais cherché à me changer et que vous m'avez acceptée telle qu'elle". J'ai été très touché.

Tiens comme je la connais maintenant très bien, je lui dirai la prochaine fois que j'ai toujours su reconnaitre un natif du signe du capricorne. Et que même si tout cela n'a rien de bien scientifique, il m'apparaitrait stupide d'oser seulement changer un capricorne, un signe qui se distingue par une inertie considérable.

Et croyez moi, c'est un type qui déjeune tous les jours dans le même restaurant, à la même table en mangeant la même chose qui vous le dit !

4 Comments:

Blogger BLOmiG said...

Intéressant.
Est-ce ta patiente qui est "normale", parce qu'elle te ressemble, ou est-ce toi qui, ayant la même maladie qu'elle, n'est pas capable de la détecter ?

;)

Il parait que Kant est allé de sa maison à son université pendant 20 ans (je ne sais plus le chiffre exact) toujours par le même chemin, à la même heure. Ma question est : était-il capricorne, ou dingue ?

27/4/09 11:22 AM  
Blogger Ulysse le Voyageur said...

Très intéressante votre approche. En particulier ceci :
"Voir ce que les autres n'appréhendent même pas est un don magnifique qui occasionne aussi bien des souffrances"
Personnellement (mais je ne suis absolument pas un professionnel comme vous) je tends à penser que l'on peut agir aussi sur son propre regard, au moins dans le domaine esthétique. j'ai remarqué, mais empiriquement seulement, que les douleurs "extra-lucides" s'accompagnent d'un esthétisme particulier. Le regard choisit sciemment l'angle le plus sombre, le plus noir. Plutôt que de tenter de modifier le sentiment, il me semble que l'on peut tenter d'amener quelqu'un à regarder autrement. Une histoire de perspective en somme.
En sagesse populaire, on parlerait de considérer le bon côté de la vie, mais ce serait ramener la chose à un jugement de valeur. or, il s'agit juste à côté du bois mort et de la feuille d'automne qui s'envole, de regarder la petite vie de l'insecte qui s'agite et profite de décomposition de la nature pour survivre.
Tenez, Aristote, dans le problème XXX affirme que la mélancolie est la caractéristique de l'homme de génie, parce que l'homme de génie, en étant sujet à de prompts et subits changements, est apte à s'adapter à des situations diverses. Cela ne me semble pas loin de mon empirique observation de la nature humaine, particulièrement des jeunes gens mélancoliques.

27/4/09 11:39 AM  
Anonymous Anonyme said...

Effectivement, cette manie de vouloir changer les gens est bien trop courante. Peut être qu'il faudrait un peu plutôt faire évoluer la société actuelle, ça serait plus utile et peut être plus faisable.

Pour la mélancolie, il faut bien reconnaitre qu'elle contraste avec la nécessité d'afficher le sourire en permanence, sourire jaune ?

27/4/09 9:44 PM  
Blogger philippe psy said...

Lomig, c'est un point de vue intéressant que je réfute évidemment totalement :) Merci tout de même !

27/4/09 11:54 PM  

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