28 octobre, 2009

Emotion facile !

La gracieuse Marie-Hélène Martinez, sans doute "star" d'un prochain reportage sur TF1

Mollement alangui sur mon canapé, drapé dans une veste de lourd brocard, ma pipe d'opium à la main tel un gros poussah oriental, c'est d'un œil mi-clos ourlé de khôl que je regarde un reportage sur les femmes incarcérées sur TF1. Il me semble qu'on a déjà du voir ce genre de reportage.

C'est vrai que l'image est un peu dérangeante surtout que le reportage se déroule à la Centrale de Rennes où s'effectue les grosses peines. Je vois donc défiler des femmes qui parlent de leurs conditions d'incarcération.

Ce qu'elles ont fait, nous n'en saurons rien. Seul un petit bandeau nous indique un prénom "bidonné" ainsi que la peine prononcée. Curieusement, c'est toujours "condamnée à une peine de 26 ans de réclusion" qui s'affiche. Alors soit elles sont toutes passées devant le même président de Cour d'assise pour qui le nombre 26 a une lourde signification vu qu'il condamne tout le monde à cette peine, soit le mec affecté au sous-titrage n'est qu'une grosse feignasse.

Et la litanie est repartie. A les entendre, certes elles ne sont pas là pour rien, mais bon, toutes se plaignent de la peine à laquelle elles ont été condamnées. Le plus terrible est qu'on nous les présente toutes comme des mères de deux, trois, quatre, voire même huit enfants.

L'espace d'un instant, parce que j'aime bien les femmes, je me mets à penser que les pauvrettes ont du être condamnées pour des crimes passionnels. Je les imagine - enfin les plus mignonnes, - subissant les coups d'un mari alcoolique et violent et je me mets à les plaindre.

Putain, me dis-je en me ressaisissant, ça y est la télévision est en train de me laver mon cerveau. C'est terrible ce que l'émotionnel peut être dangereux ! On parviendrait à vous faire passer des loups pour des agneaux. Dix contre un qu'à notre époque, réécrit par un pigiste de chez Libé, le loup deviendrait un pauvre animal errant le ventre vide à qui on trouverait toutes les bonnes raisons d'avoir massacré la grand-mère et de vouloir bouffer le petit Chaperon rouge.

Récupérant mes neurones, je me dis que pour choper 26 ans en France, il faut tout de même avoir commis un crime extrêmement grave. Parce qu'en France, on ne peut pas dire que la justice soit particulièrement sévère (sauf pour les automobilistes). Pour choper 26 ans fermes, il faut plutôt jouer dans la cour des grands, du côté de l'homicide avec préméditation.

On fait parler ces femmes, ces mères de famille qui pleurnichent en pensant à leurs enfants en expliquant qu'elles acceptent de subir leurs peines mais qu'elles trouvent injuste que leurs enfants en pâtissent et soient de fait, condamnés eux aussi puisqu'ils ne peuvent plus avoir leurs mères près d'eux.

C'est là que le bât blesse, que la prise de conscience cède la place à la manipulation : le bourreau se pose en victime et la caméra avide d'émotions faciles se laisse aller, complice de cette supercherie. On aurait aimé que la journaliste reprenne la parole pour expliquer à ces mères éplorées que ce sont elles, et non la société, qui font du mal à leurs enfants, parce que ce n'est pas la société qui a commis l'irréparable. Mais rien ne vient. Sans doute que dans quelques années, un énième reportage sur le sujet, nous présentera la gracieuse Marie-Hélène comme une victime elle aussi.

Je me prends à rêver d'un reportage dans lequel on aurait perçu moins de parti-pris. Un travail honnête de journaliste honnête qui n'aurait pas manqué de parler des victimes de toutes ces femmes et de recentrer le débat. Qui des proches des victimes de ces femmes incarcérées ? On n'en saura rien. En revanche, on parlera beaucoup de réinsertion de ces femmes à leur sortie.

Sans doute que certaines n'ont pas eu une vie facile, qu'il peut exister des circonstances atténuantes, mais le fait demeure que l'on n'ôte pas impunément la vie à quelqu'un. La prison n'est sans doute pas la panacée mais faute de mieux, et sous tous les cieux, on n'a rien trouvé de mieux que la privation de liberté pour sanctionner les comportements les plus graves.

Dans ce reportage, le réel fera irruption sous les traits d'un gardien chef, une femme, qui précise face à la caméra que si certaines situations sont douloureuses, il ne faut jamais oublier que dans cette Centrale, elle ne garde pas des "anges".

Moi qui ne suis pas réalisateur de documentaires, il m'est souvent arrivé de recevoir les victimes dans mon cabinet que j'ai écoutées. J'ai toujours constaté qu'à part leurs yeux pour pleurer, elles ne disposaient pas de gros moyens pour tenter d'oublier et de refaire leur vie.

Dans tous les cas, j'aurai assisté à une entreprise d'une perversité redoutable. Sous prétexte de nous présenter la condition de femmes incarcérées, un documentaire d'une perversité effroyable aura encore une fois travesti la réalité en faisant passer des bourreaux pour des victimes. La télévision est décidément une vaste entreprise de pollution psychologique.

Il faudra bientôt regarder les productions hollywoodiennes ou relire les contes de fée pour avoir un semblant de morale.

3 Comments:

Blogger BLOmiG said...

Bravo pour ce texte admirable. J'ai pris du plaisir à le lire, et je rejoins complètement ton propos, y compris la conclusion qui trouve un écho réel chez moi, même si elle est un peu ironique.

Merci et bonne journée !

28/10/09 9:25 AM  
Anonymous Anonyme said...

Et moi qui espérais tomber sur des photos dénudées de Marie-Hélène... Je suis très déçu. Les liens ne fonctionnent pas. Je me disais bien que la psychothérapie était une arnaque.

29/10/09 1:26 AM  
Blogger Epicier vénéneux said...

"Sans doute que certaines n'ont pas eu une vie facile, qu'il peut exister des circonstances atténuantes"

Lesquelles circonstances atténuantes ont déjà joué à fond au moment du jugement, mais le verdict est sans appel: 26 ans.

Imaginez la sentence sans les circonstances atténuantes: perpét'.

Qu'a-t-on fait pour mériter la prison à perpétuité?

29/10/09 2:00 PM  

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