12 novembre, 2009

D'une seule main !


Une de mes amies passionnée par les histoires de grossesses de ses copines m'expliquait la dernière fois que l'une d'elles, avertie par un examen prénatal, que la petite fille qu'elle attendait naitrait avec une seule main et qu'elle ne savait pas si elle devait le garder ou avorter.

C'est un très vaste débat auquel il est difficile de répondre. N'étant pas directement concerné, j'ai évidemment fait l'avocat du diable, arguant qu'avorter consistait à considérer que l'enfant n'étant pas parfait, tel que désiré, on préférait le tuer. Oui, c'est dur mais c'est ainsi. On m'a rétorqué que vivre avec un handicap, etc., etc.

On m'a aussi dit que ce serait encore plus dur pour une fille pour qui le physique était sensé compter encore plus que pour un homme. Ce à quoi j'ai répondu, que n'avoir qu'une main, ce n'était pas être défiguré tout de même. Je connais des femmes handicapées heureuses en amour et des valides qui ne le sont pas. Tout existe dans ce vaste monde ! D'ailleurs, je suis sûr, et ce à cent pour cent, qu'il serait plus facile à une femme monocheire de trouver l'amour qu'à une femme en surpoids.

On m'a aussi parlé de la responsabilité de mettre un tel enfant au monde. Un petit peu comme si l'enfant pouvait reprocher par la suite à ses parents sa naissance ! C'est terrible non ? Petit con, si tu n'es pas content, suicide-toi, mais ne demande pas à tes parents de te tuer à ta place. Non mais, dépressif et lâche en plus ?

Et puis, j'ai rajouté qu'il était difficile de se mettre à la place de quelqu'un d'autre. Car, Cicéron nous l'a démontré magistralement dans ses Tusculanes, l'idée de bonheur n'est pas incompatible avec un handicap. Le bonheur c'est compliqué, c'est même beaucoup plus complexe que le nombre de mains que l'on possède. D'ailleurs, statistiquement je constate que l'écrasante, très écrasante, majorité de mes patients possède deux mains sans pour autant être heureuse.

Alors moi, je me suis adressé à trois de mes patientes handicapées en leur contant l'histoire de cette gamine dont la vie est prise en otage par les progrès de l'imagerie médicale (avant, ben oui, on n'aurait rien su) ! Il y avait deux hémiplégiques congénitales (IMC) et une paraplégique (traumatisme).

Alors, comme je les connais bien, qu'elles sont toutes trois intelligentes et connaissent mes méthodes peu orthodoxes, je leur ai demandé si elles étaient heureuses d'être en vie ou si elles auraient préféré que leur mère avorte afin de pouvoir finir dans un container de déchets destinés à être incinérés dans une usine spécialisée au milieux de débris divers tels que des appendices, des bouts de poumons nécrosés, des membres gangrénés et autres menus morceaux de corps.

A cent pour cent, la réponse fut que la vie n'était pas toujours facile. Ce à quoi les trois m'objectèrent que la vie n'était pas toujours facile pour les valides non plus. A cent pour cent, les trois affirmèrent aussi que leur handicap avait été un coup dur pour leurs parents qu'elles ne remercieraient jamais assez de tout ce qu'ils avaient fait pour elles. A cent pour cent, elles m'assurèrent que leurs déprimes ou dépression passagère n'était pas liée au handicap, même si c'était parfois fort commode de rendre ce handicap responsable de tout, un peu comme ce fameux "arbre" qui cacherait la forêt. Les trois m'assurèrent que même si cela n'avait pas facilité les choses, elles avaient toutes connues l'amour et des relations sexuelles épanouissantes, même si la paraplégique a du explorer d'autres voies.

Et enfin, à cent pour cent encore, les trois m'affirmèrent être finalement être heureuses d'être en vie et ne pas regretter leur vie. La morale de l'histoire étant que certes, tout pourrait être mieux, mais tout pourrait aussi être pire !

Et la conclusion, c'est qu'il est toujours difficile de se mettre à la place de quelqu'un et de le condamner à mort. Il faut lire ou relire Boèce.


6 Comments:

Blogger Sylvain JUTTEAU said...

"monocheire" est soit un zurnisme, soit une faute de frappe...?

Toju.

16/11/09 10:50 AM  
Blogger philippe psy said...

Je vous attendais sur ce coup là ! Eussiez vous fait du grec, que vous auriez reconnu un néologisme signifiant "unimane" si j'avais tenu à former le terme à partir d'une racine latine. "mono" une seule et "cheiros" la main ...

16/11/09 10:58 AM  
Blogger Psignotus said...

Monocheire
Le dictionnaire de l'Académie en ligne ne connaît pas ni le Robert (sept volumes). Mais le contexte était suffisamment éloquent. N'eussions-nous appris à la lecture de ce billet que cela... pourquoi pas ? Mais il nous en apprend bien d'autre !

16/11/09 6:14 PM  
Blogger philippe psy said...

Jé préfère "monocheire" que "unimane" mais nous pourrions lancer le débat !

16/11/09 10:49 PM  
Blogger Psignotus said...

M'est avis que l'Académie aurait préféré "je préfère à" à "je préfère...que".

17/11/09 8:59 PM  
Blogger Élie said...

"La vie, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit." Je ne me souviens pas de grand chose du bouquin de Maupassant, mais je n'ai jamais oublié cette citation.

Dans la Grèce et la Rome antique, on tuait ou abandonnait les nouveaux-nés malformés. CERTAINS cas d 'avortement rappellent ces pratiques.

29/5/18 6:49 PM  

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