31 juillet, 2012

Sauvetage, suite et fin !


Je crois que si je peux me faire avoir dans ma vie privée, il me sera plus difficile de me faire berner dans l'exercice de ma profession. Je pense que durant les premières années, j'ai pu être confronté à des comportements qui m'ont appris à être plus ferme. Le plus amusant c'est que les deux leçons magistrales que j'ai reçues soient venues de personnes ayant le même prénom. Alors, si vous vous prénommez Didier et que vous me consultez pour la première fois, ne soyez pas étonné si je tire la gueule et si je vous fais payer d'avance. Comme dit le proverbe : chat échaudé craint l'eau froide !

Le premier des deux vint me consulter alors que mon cabinet était ouvert peu avant. C'était un grand type arrogant et la première chose qu'il fit fut de geindre pour que je lui consente un rabais sur mes honoraires. Comme j'avais peu de monde dans l'humble garni qui me servait de cabinet et que je criais famine et que toi tu posais nue, comme dirait Aznavour dans la Bohème, je n'avais pas trop les moyens d'ouvrir ma gueule et je me suis écrasé comme une bouse !

Bien mal m'en a pris puisque ce type s'est révélé comme étant sans doute le pire type que j'aie jamais reçu. Je pense qu'il avait des traits sociopathiques et qu'ayant deviné que je n'étais qu'un jeune con doutant de lui, il en profitait pour me faire payer tout le mal que des confrères lui avait fait auparavant en m'humiliant l'air de rien. Jusqu'au jour ou n'en pouvant plus, je lui suis rentré dans la gueule en me disant que je n'avais pas choisi ce boulot pour avoir à faire à des connards pareils. Mais tout cela n'est qu'anecdotique dans la mesure où je n'ai jamais joué au sauveteur avec lui ayant simplement été une couille molle !

Le second Didier en revanche m'a beaucoup appris et marqué. Il m'avait été envoyé par mon filleul S. Il avait mon âge, c'était un mec sympa comme tous ces petits escrocs de bas étage qui savent vous apitoyer sur leur sort et faire en sorte que vous preniez leur responsabilité à leur place. Vous aviez beau savoir qu'à l'instar des canards, à chacun de ses pas il ferait une merde, vous ne pouviez pas vous empêcher de le trouver sympa. Tant et si bien que je me suis même débrouillé pour l'héberger durant deux mois, chose que je n'aurais jamais du faire. Non que je sois formellement contre mais que ce genre de mec se révèle vite être une sangsue.

Mon vieux pote psychiatre m'avait mis en garde mais grande gueule comme je suis, je ne l'avais pas écouté. Je pensais me démerder mieux que tous les confrères qu'il avait vus auparavant. Bref, ce coup-ci mon opération de sauvetage était autant motivée par mon côté Lancelot du Lac (le blaireau idéaliste) que par mon côté Du Guesclin ou Bayard (même blaireau que précédemment mais plus guerrier). Il avait gentiment posé ses valises et profitait sereinement de la vie sans rien foutre jusqu'à ce que je lui signifie que la période d'hébergement arrivant à son terme, il devrait trouver une autre adresse.

Il avait alors élu domicile chez une demoiselle chez qui il le payait pas de loyer et mangeait gratuitement. Sans doute qu'il devait un peu lui taxer d'argent pour ses clopes et ses cafés mais ça, je ne l'ai jamais su. Comme je ne suis tout de même pas le roi des cons (prince me suffit) j'avais envisagé avec lui une sorte de contrat par lequel je l'aiderai à lui trouver un emploi, sachant qu'il n'aurait que trois chances. Encore une fois, si l'on se souvient du triangle tragique de Karpman dont je parlais, je venais doucement glisser de sauveteur à père fouettard en introduisant une contrainte dans le contrat tacite qui nous unissait. 

Didier commençait toujours bien mais finissait toujours mal. Je crois que doué comme il était pour amadouer son monde et apitoyer le bourgeois, il forçait tout le monde à lui donner une chance qu'il finissait toujours par saloper parce que c'était en fait un sale mec. Et ce qui devait arriver arriva, il perdit le troisième emploi que je lui procurai. Et là, je fus implacable.

Je me souviens encore de la scène. Il était venu en urgence et je l'avais invité à déjeuner dans un truc pas cher parce que je ne voulais pas me faire entuber tout en sachant que ce gros rat n'aurait pas de blé. Et là, il m'avait dit qu'il couchait depuis deux jours dans une cage d'escalier parce qu'en même temps que son emploi, la copine qui l'hébergeait avait fini par le foutre dehors. J'écoutais stoïque ce qu'il me disait et j'étais fier de moi parce qu'au fond de moi, je me sentais non de marbre mais disons totalement étranger à ce qu'il me disait. Ce salaud qui me connaissait par coeur aurait voulu me prendre sur la corde sensible et ma foi, j'avais fait du chemin puisque je ne cédai pas !

Je lui expliquais calmement que le contrat était clair et qu'il avait eu trois chances, que je regrettais ce qui lui était arrivé mais que dorénavant je me sentais étranger à tout cela. Il tenta encore de m'amadouer puis voyant que cela ne marchait pas, il osa me dire qu'avec le métier que je faisais je n'avais pas de coeur. Parce que ces petits enculés qui vous exploitent en profitant de votre sensibilité plantent toujours leurs petites dents de prédateurs là où ça fait mal dès lors que vous cessez d'être exploité par eux. 

 Je ne me démontai pas, j'écoutai impavide ses remontrances puis je lui donnai d'autres adresses de confrères (les pauvres), je payai et je partis carrément sans me retourner comme un cow-boy dans le soleil couchant. Je n'ai jamais su ce qu'il était devenu. Sans doute qu'à l'instar de quelque animal parasite, il est allé planté sa tente chez quelque autre crétin prêt à être exploiter.

Je pense que sur ce coup là, le grand S m'a bien aidé. Un jour qu'il me demandait des nouvelles de ce Didier qu'il m'avait lui même envoyé, je lui avais un peu expliqué ce qui s'était passé en lui disant que je n'avais plus de nouvelles. Nous avions un peu échangé et c'est là que le grand S m'avait tout simplement dit que pour lui Didier n'était qu'un galérien de la vie qui ne méritait même pas la corde pour le prendre comme on disait avant.

C'est finalement grâce à ce Didier 2 que j'ai pris conscience de ce que l'on appelle les galériens de la vie, ces mecs qui pompent le système et les gens sans rien donner en retour. Je pense qu'auparavant, j'aurais tenté toutes les explications psys possibles et inimaginables pour tenter de les comprendre. Je crois qu'avant lui, je ne devais pas être loin du personnage qu'interprète Pierre Richard dans Je sais rien mais je dirai tout (pardon pour mes piètres références), une sorte de dame de charité toute droit sortie du second empire, ayant une vision irénique des problèmes sociaux. 

J'étais finalement un puceau de la vie. J'avais des tas de diplômes, j'avais fait des tas de trucs mais je n'étais finalement pas beaucoup sorti de mon milieu social et j'avais une vision biaisée des autres, pensant que les circonstances seules expliquaient le destin d'un individu. 

Comme je le disais au début de cet article ce qui constitue une belle épanadiplose et qui vous prouve que j'ai quelques lettres, je pense que si aujourd'hui, je risque encore de me faire avoir dans ma vie privée, ces deux Didier, le sale con et le parasite, m'ont permis non pas d'être plus méfiant mais plus ferme dans ma pratique professionnelle.

Ce furent deux gros cons mais j'en étais un aussi. Près de quinze ans après, qu'ils soient aujourd'hui remerciés pour les leçons qu'ils m'ont données. La faculté apprend finalement bien peu de choses.