01 août, 2012

Faux diagnostic !

Luc Jouret, médecin et fondateur de l'Ordre du temps solaire !

Un type est venu me consulter tandis qu'il était près de s'écrouler sous l'angoisse. C'était la dernière ligne droite, un peu plus et il claquait comme un cheval fourbu qu'on a trop fait courir. Comme il était venu directement sans passer par un médecin et que c'était moi le maître d'oeuvre du projet, je l'ai vite envoyé chez un praticien pour se faire prescrire des petites pilules magiques. Il y a des risques qu'il ne faut jamais courir surtout dans les cas d'angoisse et je n'ai rien contre les médicaments. Je me suis ensuite concentré sur ses sujets d'angoisse. C'est assez simple l'angoisse parce que même si cela fait des ravages, l'angoisse est toujours actuelle !

On a passé en revue tout ce qui n'allait pas du tout ou pas très bien dans sa vie. La gonzesse, le logement, le boulot, la famille, et la tête alouette ! Dans la famille, le gros morceau c'était le petit frère schizophrène. Comme mon patient est du genre mec sérieux à n'abandonner personne sur le bord de la route, l'avenir du frérot l'inquiétait.

On a sérié les problèmes et on a finalement parlé du petit frère. Afin de mieux comprendre le cas, j'ai posé des questions. Parce que même si je ne pensais pas le voir un jour, mieux circonscrire la personnalité du petit frère me permettait éventuellement de mieux aider l’aîné à le prendre en charge. Alors j'ai posé des questions classiques. Et comme je trouvais que les réponses qui m'étaient faites ne cadrait pas avec ce que je connaissais des schizophrènes, j'ai juste demandé si le frérot avait un côté bizarre. Et là l’aîné s'est récrié et m'a assuré que le gamin n'avait rien de bizarre et qu'il était très sympa et très cool et que même si certains de ses comportements étaient gavants (jeu, prodigalité, etc.), ça n'en faisait pas un type bizarre pour autant.

C'est là que j'ai marqué un temps d'arrêt pour expliquer à mon patient que si son frère n'était pas un peu spé, un peu zarbi ou étrange, il y avait peu de chance qu'il soit schizophrène à moins de parler de sphère schizophrénique. J'ai alors poursuivi en lui expliquant que diagnostiquer une schizophrénie n'était pas toujours facile mais que le meilleur prédictif était justement ce côté bizarre que l'on nomme dans le on jargon la discordance. Bref, c'est compliqué la schizophrénie et puis ce n'est pas spécialité. Parfois, j'en vois qui se glissent dans les mailles du filet et qui sont envoyés par des médecins. Justement parce qu'ils ne délirent pas, et qu'ils sont à peu près correctement socialisés, le diagnostic n'est pas posé.

Là le grand frère a été étonné et m'a dit que ce diagnostic avait été posé par un psychiatre d'un super hôpital parisien ! Et là, j'ai rétorqué que les médecins étaient comme les plombiers ou les cuisiniers, et que le diplôme ne changeait rien à l'affaire : il y en a des bons, des moins bons et des mauvais. Le problème c'est qu'on parvient toujours plus facilement à mettre un doute un plombier qu'un médecin parce qu'il est plus courant qu'un médecin se la raconte ou impressionne qu'un plombier. Et encore, même un plombier peut vous entuber s'il sait s'y prendre en jouant l'expert. En psychologie sociale on appelle cela l'influence sociale et cela a été éminemment étudié.

Alors le grand frère m'a expliqué que le petit avait été amené d'urgence suite à une TS qu'il avait faite pour une histoire de gonzesse. Et donc ? Si chaque fois qu'un mec tente d'en finir pour une gonzesse on devait lui coller l'étiquette de schizophrène, ça ferait bondir les statistiques épidémiologiques. Jusque là, je ne sais pas, ça peut-être de la schizophrénie ou pas ou autre chose comme un trouble bipolaire. Et puis de quelle fille s'agissait-il, de quel type de relations, etc. ? Parce que dans certains cas, pourvu que l'on soit très sensibles et que l'histoire que l'on vit soit dramatique, la TS n'est pas illogique même si c'est déplorable.

Bref j'imagine un jeune de vingt ans arrivant en crise à l’hôpital, avec un bon gros syndrome de confusion mentale et zou, on ne cherche pas forcément plus loin, on colle un diagnostic poubelle et pour le coup celui de schizophrénie fait bien l'affaire puisque c'est assez abstrait pour coller comme un gant à tout et n'importe quoi, on file des neuroleptiques parce qu'à défaut d'être adapté, ça défonce tellement le patient qu'on est sur qu'il sera tout de même guéri pour un truc que l'on n'avait pas vu et hop, au suivant ! Ensuite, une fois la crisé passée, on adapte un traitement moins invalidant et on poursuit.

La semaine suivante, mon patient ayant lu des tas de trucs sur la schizophrénie a convenu que cela ne cadrait pas du tout avec son frérot. Il m'a demandé si je voudrais bien le recevoir et si je pourrais savoir s'il était schizo ou non. Je lui ai dit que cela ne m'ennuyait pas et qu'il n'avait qu'à m'amener la bête parce que parfois je suis un vrai maquignon et que j'aime bien voir le bestiau sur pieds. Et comme j'aime bien me la péter, j'ai cru bon de lui dire que si je n'étais pas en forme, il me faudrait deux minutes pour rendre mon verdict mais que si j'étais en forme, je lui dirais en trente secondes. Bien sur la prise de neuroleptiques pouvait altérer mon jugement et je le sais.

La semaine d'après le grand et le petit se sont pointés à mon cabinet et effectivement le petit n'avait rien de bizarre du tout. On s'est serré la main, je lui ai dit bonjour Maurice moi c'est Philippe (il ne s'appelle pas Maurice mais c'est pour cacher son identité, voyez comme je suis malin). Il m'a répondu que bonjour Philippe, moi c'est Maurice je suis ravi de vous rencontrer (en revanche je ne prénomme réellement Philippe). J'ai ouvert la porte sur rue, on a traversé la cour et on est monté à mon cabinet au deuxième étage. Et là, soucieux de ménager un effet théâtral parce que je suis un peu joueur, ou narcissique ou peut être même un peu hystérique voire pétasse et comédien, je n'avais pas encore ouvert la porte que je me suis tourné vers lui pour lui dire "au fait j'ai une bonne nouvelle, je crois vous n'êtes pas schizophrène".

Là, imaginez le mec qui se traîne ce diagnostic comme un boulet depuis quinze ans ! Et bien d'un seul coup vous lui ôtez un poids énorme. Il m'a demandé si j'étais sur et je lui ai répondu qu'à priori s'il était schizophrène alors moi j'étais socialiste (ce qui n'arrivera jamais). Et pour être plus sérieux, je lui ai demandé s'il se trouvait bizarre et il m'a répondu que non que personne ne l'avait jamais trouvé bizarre et que même s'il se sentait des affinités avec ce que l'on nomme les artistes et qu'il n'était sans doute pas aussi carré qu'un ingénieur, il n'était pas bizarre pour autant. Le pire c'est que lorsqu'il m'a raconté ses visites à l'hôpital, il se trouvait toujours mal à l'aise, déplace au milieu des gens étranges qui peuplaient la salle d'attente. Sans doute que son seul tort a été de ne pas parler de cette impression à son psychiatre. 

On a pris un café dans mon cabinet et je l'ai interrogé sur les trucs un peu spés qu'il avait pu faire dans sa vie depuis quinze ans et finalement tout s'expliquait autant par l'angoisse, la pression familiale et sociale que par le diagnostic de schizophrénie ou un autre. Et comme je suis un mec sérieux tout de même je lui ai dit de ne surtout rien toucher à son traitement et qu'à la rentrée s'il voulait poursuivre avec moi, je lui fournirai des adresses de psychiatres que l'on m'avait chaudement recommandés qui lui donneraient un avis autorisé bien plus pointu que ma seule impression.

Bref, certains psychiatres sont parfois à la médecine ce que le Canada Dry (célèbre boisson de ma jeunesse) était au whisky : ça ressemble à de l'alcool, c'est doré comme l'alcool mais ... ce n'est pas de l'alcool. Et encore, peut-on les blâmer quand on sait le nombre effarant de patients qu'ils doivent  recevoir en plus des urgences et des hospitalisations à gérer ?

Mais finalement le plus fou dans tout cela n'est pas qu'il y ait de bons et de moins bons psychiatres, ça on le savait, c'est le lot de toute profession. Le pire c'est que des parents face à un tel diagnostic se rangent à l'avis du médecin sans demander un autre avis. Ça c'est du conformisme social !

A titre de référence, moi pour faire une salle de bain, j'ai demandé trois devis et croyez-moi se faire arnaquer sur le prix de travaux ou avoir un meuble mal monté a moins de conséquences que d'avoir un fils diagnostiqué schizophrène peut-être à tort ! Mais je suppose que c'est générationnel. Fut un temps où la parole du curé, de l'instituteur et du médecin avait valeur d'oracle !

Alors on ne le répétera jamais assez, ce n'est pas parce que ça a une belle plaque en laiton sur une porte, ou des galons ou des tas de diplômes d'état que ça a toujours raison ! Deux avis valent mieux qu'un ! Et toc voilà !

Il ne s'agit évidemment pas de jeter le discrédit sur une honorable profession mais simplement de rappeler qu'avoir un esprit critique n'est pas un défaut. 

Général Gamelin, le héros de 1940 !

5 Comments:

Blogger V. said...

heureuse de vous lire à nouveau ! Très bon article.
Le médecin de famille qui arrachait les ongles de ma mère m'avait diagnostiqué schyzophrène. Et bien si moi c'est de le voir arracher les ongles de ma mère qui m'a fait douter de sa santé mental, mes parents, eux c'est son diagnotic qui les a fait douter de la mienne !

19/9/12 3:24 PM  
Blogger philippe psy said...

Ah la la, que vous dire ? Et bien que parfois, face à des diagnostics aussi terribles, deux avis valent mieux qu'un. Comme je l'écrivais dans cet article, loin de moi de vouloir jeter le discrédit sur une profession. Il s'agit plutôt de tenter de conserver son esprit critique quelle que soit la personne face à laquelle on est. Ce n'est pas toujours aisé.

22/9/12 2:14 AM  
Anonymous Anonyme said...

bonjour
super billet
j'aimerais vous rencontrer car j'ai l'impression d'avoir subit une erreur de diagnostic. comment pouvons-nous faire ? cordialement

5/10/12 3:52 PM  
Anonymous Anonyme said...

bonjour,
super billet. j'aimerais vous rencontrer car j'ai l'impression d'avoir subi une erreur de diagnostic. comment pouvons-nous faire ? cordialement

5/10/12 3:53 PM  
Blogger Marc said...

Bonjour,
Mon frère a été diagnostiqué schizophrène après un sejour de 3 semaines dans un hopital psychiatrique pour une ts.
Il ne pense pas l'être, personne de son entourage ne pense qu'il le soit.
Je souhaiterai avoir un second avis médical car je doute du diagnostic, je lui ai pris un rendez vous chez un psychiatre libéral, comment doit-il aborder le sujet avec ce psychiatre ?
Le fait de lui dire qu'il est diagnostiqué schizophrene par un confrere ne risque t-il pas d'influencer son jugement ?
"Bonjour, Monsieur, un Monsieur m'a dit que j'étais schizophrène, vous en pensez-quoi ?", ca le fait ?

3/7/15 4:06 AM  

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