21 septembre, 2012

La dame de charité et la petite marchande d'allumettes !

La dame de charité - Jean-Bapiste Greuze 1725/1805

Hier, je discutais avec une patiente âgée d'une trentaine d'années de ses problèmes de couple. C'est marrant parce qu'on a parlé de la manière dont son mec la traitait, en la surprotégeant. Bref, on a parlé et parlé, tout cela pour dire que ce n'était plus une relation de couple que le mec était en train de vivre mais une relation de sauvetage dans laquelle il se faisait fort de venir en aide à sa dulcinée. Quoiqu'elle dise, quoiqu'elle fasse, elle aurait le droit à une tapette sur la tête assortie d'une parole lénifiante.

Et elle n'en est pas satisfaite parce que c'est bien connu que si vous voulez tenir une gonzesse et faire en sorte qu'elle n'aille pas voir ailleurs, il faut de temps à autre se montrer mâle et témoigner d'un peu de fermeté. Que les féministes se rassurent, je ne conseille pas les mauvais traitements en général ni la paire de claques en particulier mais une relation saine et équilibrée dans laquelle le mec n'est pas forcément le pauvre naze que l'on fait tourner en bourrique. 

Sinon, après lui avoir dit qu'elle était la plus belle, avoir bricolé comme elle vous l'avait demandé, puis l'avoir couverte de bijoux pour enfin lui décrocher la lune, elle finit toujours par se barrer avec un mec qui ne fera jamais tout cela pour elle. Alors vous restez là, avec juste vos yeux pour pleurer en vous disant qu'avec tout ce que vous avez fait pour elle, c'est dégueulasse qu'elle se soit barrée, surtout avec un sale con qui ne la mérite pas parce que justement il ne fera jamais autant de choses pour elle que vous n'en aviez faites !

Manque de pot, celui que vous qualifiez de sale con a tout compris des femmes et c'est lui qui empoche le gros lot. Lui, en plus d'être gentil, sait ne pas être que gentil ou du moins ne pas tout le temps être gentil. Vous, il ne vous reste que les larmes, votre main droite pour vous faire des câlins et enfin Meetic pour refaire votre vie quand ça ira mieux après votre cure de Prozac.

Ce que j'écris là, c'est un peu ce que j'aurais dit au mec de cette patiente si je l'avais connu. Bon, je lui aurais dit en prenant les formes rassurez-vous. Je lui aurais expliqué que la gentillesse était un subtil dosage, que si l'on ne se montrait pas assez gentil voire trop méchant, on risquait de se retrouver au poste tandis que si l'on se montrait trop gentil, on risquait de finir seul.

Bref on en était là et moi je parlais savamment de cette fameuse propension au sauvetage qu'ont certaines personnes et j'indiquais même des trucs à lire sur le sujet au cas bien improbables où mes explications auraient été insuffisantes. C'était d'autant plus simple que je maîtrise le sujet puisque j'en ai parlé ici même très récemment. Et alors là, ma patiente qui doit me surestimer m'a demandé en gros comment moi je faisais pour ne pas sombrer là-dedans alors que c'était l'écueil dans mon métier !

Justement, ayant décidé d'être franc et transparent comme de l'eau claire et honnête comme l'agneau qui vient de naître, je lui ai expliqué que si la plupart du temps je faisais très attention à ne pas sombrer dans cette erreur, il m'arrivait parfois de plonger comme un novice et d'aller au-delà de ce que je devrais faire pour assumer à la place de mon patient. Sans lui citer de cas particuliers, je lui ai dit qu'effectivement en général, j'arrivais à bien recentrer la thérapie quand certains me font des reproches injustifiés mais que parfois, sans doute ému par ceux qui savent s'y prendre, il m'arrivait de plonger comme un novice en tendant le gilet de sauvetage alors que mon métier serait plutôt d'apprendre à nager.

C'est même assez rigolo d'avoir parlé de cela puisque cela me rappelle lorsque j'ai eu une séance un peu musclée avec un patient que je connais fort bien. C'était il y a un peu plus d'un an, un jour qu'il m'avait appelé en chouinant. Moi, j'avais tenté de l'apaiser en allant sans doute trop loin, j'en avais eu conscience au moment même ou je le faisais. Puis lorsque je l'avais vu, alors que je lui expliquais que justement il serait parfois bon qu'il aille au conflit plus que de sans cesse se suradapter, voici qu'il m'avait expliqué que fort à propos il y avait un problème avec moi dont il voulait parler quitte à entrer en conflit. Et vlan, voici qu'il m'avait balancé dans la tronche que je lui avais fait un sale coup en allant trop loin avec lui alors que justement il aurait préféré se démerder seul. Comme on dit, un bienfait est toujours puni.

Sur le fond, il avait raison, je n'ai pas à prendre les gens en pitié pour vivre à leur place en les surprotégeant. Toutefois comme j'aime bien que les choses soient claires et que je ne veux pas endosser plus de responsabilités que je n'en ai, je lui avais alors dit que comme dans tout couple, les torts étaient partagés à 50/50.

Parce que, comme je lui avais expliqué, s'il ne m'appelait pas si souvent pour des problèmes qui n'en étaient pas vraiment, je n'aurais pas eu l'image faussée que j'avais parfois de lui, celle d'un type sans défense et toujours au bord du précipice. Parce que, sans être totalement une personnalité dépendante au sens indiqué par le DSM, il n'en avait pas moins quelques symptômes et notamment "une grande difficulté à prendre des décisions dans la vie courante sans être rassuré par ou conseillé de manière excessive par autrui".

Je lui avais alors expliqué que dans le cadre de mon job, moi j'avais charge d'âmes et que le risque majeur c'était le suicide et que face à ce risque, malheureusement quand j'estimais (parfois à tort c'est vrai), que les circonstances le nécessitaient, j'aidais les gens plus que de raison et notamment ceux qui savaient s'y prendre pour jouer la petite marchande d'allumettes et faire pleurer dans les chaumières. Et moi, c'est le problème. Si on me joue bien la petite marchande d'allumettes, je deviens une vraie dame de charité.

Bon, je ne suis pas naïf pour autant, il faut que ce soit bien fait ! Mais certains patients sont exceptionnellement doués pour le théâtre et dans ce cas, je peux devenir bon public. Quel drame pour le théâtre que de voir tellement de cabotins qui  n'ont rien à y faire tandis que de vrais talents sommeillent dans nos cabinets. Je devrais me mettre en relation avec des agences de casting !

Ben oui, à priori ne pas verser dans la relation de sauvetage ça parait simple et ça l'est la plupart du temps mais bon parfois, face à des situations dramatiques ou que l'on vous vend comme dramatiques, parce que certains je le répète sont doués pour se faire passer pour des victimes, et bien je plonge. Parce que je préfère aller trop loin que pas assez finalement. C'est la limite de la thérapie à mon sens. On a beau codifier un tas de trucs, il y a des cas hors normes pour lesquels on fait ce que l'on croit devoir faire. On sait parfois que l'on risque de se faire avoir mais on se dit qu'il y a un risque qu'il ne faut pas courir. Et à moins d'être employé dans un grand hôpital dans lequel les patients ne seraient que des numéros, on crée forcément des liens.

En fait, ce conflit avait généré une séance extrêmement fructueuse. D'une part parce qu'il avait reconnu que c'était son truc à lui de chouiner pour éviter de prendre les décisions et de mettre un pied devant l'autre sans qu'on lui tienne la main. Pour le coup, ça lui était apparu évident ! C'était un peu le choc en retour suite à ce qu'il m'avait reproché, une resucée de la célèbre parabole de la paille et de la poutre (Lc. 6 41-42).

Je me souviens même que voulant me montrer bon prince, j'avais accepté de prendre 60% des torts à ma charge. Au début il m'avait dit qu'on en resterait à 50/50 puis, se ravisant et plaisantant il m'avait dit qu'effectivement puisque j'étais le thérapeute, c'était à moi de prendre plus de la moitié. Je crois qu'ensuite cela m'a travaillé et que j'ai trouvé ce partage dur à avaler. D'une part, parce que 50/50, c'était mieux et qu'accepter 60% des torts n'avait pour moi aucune espèce de sincérité mais était plutôt destiné à réparer mon orgueil blessé en me montrant magnanime et généreux pour reprendre l'avantage. Pris en faute, en flagrant délit de sauvetage, voici que j'avais fait pénitence en acceptant plus que mes torts. Tiens, c'est vrai quand je reverrai ce patient, je lui dirai qu'en fait, ça reste 50/50 et non 60/40 pour moi. Non mais, pas question de mortifier !

Voilà donc ce que j'ai connu. Et j'ai beau dire "plus jamais ça", je reste persuadé que je me ferai avoir de nouveau. De toute manière, à moins d'être un psychanalyste orthodoxe refusant de serrer la main au patient, dès lors que se crée du lien social, il y a un risque d'abus de part et d'autre. Ceci dit, on peut aussi analyser la froideur de certains psychanalystes comme une forme d'abus puisque cela peut s'assimiler à de la mise en scène destinée à plus protéger le thérapeute qu'à aider le patient. Quoique l'on fasse, on l'a dans l'os pour ne pas dire dans autre chose. Et puis, tous les manuels de TCC recommandent d'être "chaleureux et empathiques" dans la manière de nouer la relation thérapeutique.

Bref, il n'y a pas de solution miracle, il faut faire de son mieux, se dire qu'on fera attention  la prochaine fois tout en admettant qu'on est faillible. Parfois, on se plait à rêver d'être employé de bureau affecté au tri des trombones ou à la révision des agrafeuses. La vie doit être plus simple.

La petite marchande d'allumettes !

4 Comments:

Blogger filleàgentils said...

Je suis avec un homme un peu comme ça, trop gentil, et je ne sais pas comment lui faire comprendre que ce serait bien qu'il ne soit pas "que" gentil sans le blesser. Comment peut-on faire passer un message comme celui-là?

2/12/12 11:09 AM  
Blogger filleàgentils said...

Désolée si je publie deux fois, je suis pas sûre d'avoir bien capté le système des commentaires. Je suis avec un homme comme ça, trop gentil, mais comment lui faire comprendre sans le blesser qu'il faudrait qu'il ne soit pas que gentil?

2/12/12 11:10 AM  
Blogger V. said...

Et si vous commenciez par vous occuper de vous qui voulez changer quelqu'un au lieu de l'accepter tel qu'il est ?

7/12/12 6:50 PM  
Blogger Élie said...

Je trouve votre conseil un peu lapidaire V., s'occuper de soi n'empêche pas de communiquer au sein du couple pour dire qu'il y a des choses qui ne vont pas !

Je suppose que lorsqu'un patient pousse un cri au secours, il faut bien que le psy lance une bouée de sauvetage pour parer au plus pressé, sous la forme de conseils ou de médicaments, mais si la relation s'installe sur ces rails, je me dis que le patient n'a pas vraiment envie de s'en sortir.

7/6/18 11:00 PM  

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