21 septembre, 2012

Qualités et défauts, symptômes et gros branleur !


J'ai réputation d'être un type sympa mais assez direct parce que j'aime bien être payé pour réussir. Quand je me berce d'illusions et que j'en viens à vouloir ciseler une haute image de moi-même, je me dis même que je suis martial ! C'est chouette ça se dire qu'on est martial, du latin martialis, en relation avec Mars le dieu de la guerre ! Ça vous pose en homme et c'est en lien direct avec mon ascendant bélier. Ça donne à penser qu'avec moi, ça va pas déconner, qu'il va falloir s'arracher les doigts du cul fissa parce qu'on n'a pas que ça à foutre parce que la vraie vie attend dehors ! Ca file un petit côté Bigard, voire même colonel Kilgore, l'officier de cavalerie dans Apocalypse Now, ce qui explique qu'il adore l'odeur du napalm au petit matin".

Bref, moi comme je suis sain d'esprit, du moins j'en ai l'impression, j'ai la chance de me trouver des qualités et des défauts et c'est une chance. Parce que j'ai remarqué que bien souvent, chez les médecins que je fréquente, dès lors qu'un patient possède une étiquette psy, c'est à dire qu'on l'a rangé dans une petite boîte avec un beau diagnostic, c'en est fini des qualités et des défauts ! Terminé pour le patient étiquetté d'être loué pour ses qualités et ses défauts, son assignation à résidence chez les barjeots lui ôte absolument toute spécificité, toute unicité ou individualité, il n'est plus que ce qu'on l'a nommé, un mot, un terme technique qui résume à lui seul sa personnalité. On ne lui reconnait plus que des symptômes !

Si vous êtes classé bipolaire et que vous soyez créatif, on vous expliquera que la créativité est souvent l'apanage des bipolaires, qu'elle en est donc une sorte de symptômes. Personne ne s'avisera jamais de penser, quels que soient le prestige de ses titres universitaires, d'où il tient que TOUS les bipolaires soient absolument créatifs ! Sans doute tient-il cela du fait que les bipolaires connus l'aient été pour leur créativité. C'est un sacré biais d'inférence ! Parce qu'effectivement, si vous êtes bipolaire et expert-comptable, on peut admettre que vous courez moins le risque de passer à la postérité que si vous êtes peintre ou romancier. 

Je pourrais vous faire la liste de tout un tas de pathologie pour lesquelles, on admettra toujours que celui qui en fait partie mais exprime le moindre défaut ou qualité, sera déshumanisé immédiatement parce qu'on vous expliquera que son comportement n'est pas susceptible d'être analysé en termes moraux, bien ou mal, mais simplement à l'aune d'un manuel de psychiatrie.

Pourtant, même si je ne suis pas spécialiste de la question, je reste persuadé que dans une catégorie de schizophrènes donnés, et l'on parlera bien du même type de schizophrénie pour que notre échantillon soit valable, il y en a qui sont sympas et d'autres pas du tout. Mais non, en psychopathologie, on aura plutôt tendance à créer deux sous-catégories de schizophrènes, l'une recouvrant les sympas et l'autre les pas sympas, chacune de ces deux entités recevant un nom savant à l’étymologie grecque.

Récemment, un patient qui venait de merder me demandait ce que je pensais de son comportement. J'aurais pu jargonner et le traiter en malade mental. Auquel cas, j'aurais moi aussi assimilé ce qu'il venait de faire à un symptôme. Je l'aurais alors regardé avec des yeux plein de commisération en tentant de lui communiquer que c'était un brave gars mais que hélas, sa conduite était symptomatique de ce qu'il avait.

Moi, ce n'est pas trop mon truc. Certes, je ne veux pas tomber non plus dans l'angélisme tendant à nier la réalité et à affirmer qu'il n'y a pas de symptômes, que les pathologies mentales n'en sont pas mais qu'elles ne sont que l'expression d'une majorité tendant à stigmatiser ceux qui s'éloignent de la norme pour les condamner. Je tente de garder les pieds sur terre en considérant qu'il y a des trucs essentiels et d'autres accessoires, du pathologique et du normal, du symptôme et des défauts comme des qualités.

Alors, comme je suis comme cela, j'ai demandé à ce patient avec qui je m'entends bien si il voulait que je jargonne en jouant le psy ou s'il voulait que je sois cash comme je le suis parfois. Comme on se connait bien, il m'a dit qu'il me préférait cash parce qu'au moins il n'avait pas l'impression d'être déresponsabilisé et pris continuellement pour un malade mental.

Et donc, plutôt que d'une voix maîtrisée lui affirmer que son comportement idiot n'était que le symptôme bien connu de sa pathologie, je lui ai simplement dit que sur ce coup, il n'avait été qu'un gros branleur. Gros branleur, ça c'est du diagnostic qui marque bien les choses, c'est clair, carré et concis.

Le patient a rigolé et a admis qu'effectivement sur ce coup là, sa conduite n'avait rien de pathologique mais que comme tout un chacun il avait juste été un gros branleur, un type qui savait fort bien ce qu'il aurait du faire mais ne l'avait pas fait. Moi, j'ai trouvé cela cool parce qu'il prenait conscience de sa responsabilité. Et lui aussi, il a trouvé ça cool d'être traité en adulte.

Parfois je suis martial et j'adore ça. Je me prends pour Kilgore. Je trouve ça plus flatteur de vivre dans la peau d'un colonel de cavalerie US que dans celle d'un psychanalyste barbichu, fumant la pipe et arborant un noeud papillon.

On a les références que l'on peut, nul n'échappe à son destin : je suis ascendant bélier !