02 décembre, 2012

On me dissimule et on me ment !


Donc parfois je reçois des gens bizarres ayant des comportements étranges. D'autres fois, ce sont seulement des gens étranges ayant des comportements bizarres. Et dans cette catégorie là, je placerai volontiers tous ceux qui viennent en taisant certains renseignements mais aussi et surtout ceux qui me me mentent en me regardant droit dans les yeux.

Ainsi, c'est une femme qui est venue me consulter voici peu de temps en n'ayant pas voulu me dire son nom. Je ne vous en dirai pas plus. Vous ne saurez pas plus dans quelle tranche d'âge elle se situe que si elle est brune ou blonde ou même rousse. Alors pour le coup; là c'est secret défense, je ne dirai rien.

Elle m'a raconté son histoire, m'a réglé mes honoraires en liquide et a repris rendez-vous. Quand je l'ai interrogée sur les raisons qui la poussaient à garder cet anonymat, elle m'a dit qu'elle ne voulait pas figurer sur le blog. Stupéfait, je lui ai expliqué, qu'il ne me serait pas venu à l'idée de faire figurer son nom sur le blog, qu'il aurait fallu que je sois vraiment atteint pour laisser une telle information à disposition du public.

Bien entendu en me disant cela, je savais qu'elle me mentait et qu'il devait se passer quelques chose. Puis un jour, elle m'a fait un chèque sur lequel figurait son nom marital et j'ai compris pourquoi elle l'avait tu, pourquoi elle avait tenu ce renseignement secret durant quelques semaines. La raison était amusante et bien loin des arguments qu'elle m'avait avancés. Sacrée Madame X !

J'ai fait comme si de rien n'était, et je continue à l'appeler Madame X. Quoique non, il me semble que l'on s'appelle par nos prénoms maintenant. Les patients sont amusants. Ils croient toujours pouvoir me berner. Oh bien sur, je ne suis pas imparable mais j'aime bien réfléchir et comprendre et ne pas me faire mener en bateau. Ceci dit, son nom n'était pas un élément intéressant de la thérapie et je m'en moquais bien de le connaître. En revanche, d'autres tentent de mentir éhontément sur des éléments importants.

Tenez, c'est comme ce petit escroc qui est venu dernièrement en me disant qu'il me réglerait la semaine suivante parce qu'il n'avait plus d'argent. Je lui ai demandé comment il se pouvait qu'il ait claqué autant de blé en une semaine. Et lui, sans se départir, il me raconte qu'il s'est remis à fumer de vraies cigarettes et que cela lui coûte plus cher que celles qu'il roulait.

Comme je sais à peu près exactement ce dont il disposait sur son compte, je lui demande s'il fume deux cartouches par jour ? Il me regarde sans rien dire l'air vaguement gêné. Il me dit alor qu'il a du rembourser quelques dettes. Manque de pot, comme nous en avions parlé ensemble, je sais exactement ce qu'il devait et à qui il le devait.

Je lui dis qu'il a du s'acheter quelques barrettes de shit en plus de ses cigarettes. Et là, comme libéré, il me répond que oui, qu'il s'est un peu remis à la fumette. Comme, je sais que c'est un type particulièrement intelligent doublé d'un gros entubeur, je souris et lui dis qu'il doit autant fumer que Bob Marley, parce qu'au prix de la barrette, ça ne fait toujours pas le compte entre ce dont il disposait sur son compte et le découvert qu'il s'apprête à creuser gentiment.

Là, je le sens terriblement gêné. Lui parler de shit l'avait libéré parce qu'il s'était dit que ce gros con de Philippe (moi) lui ouvrait une porte de sortie assez géniale en s'égarant sur la voie accessoire du cannabis mais en oubliant celle des produits plus sérieux. Il ne dit rien.

Alors pour l'aider, je lui dis juste que je sais qu'il s'est remis à la C, que c'est ainsi qu'il a craqué tout son blé mais que personnellement cela ne me dérange pas dans la mesure où je suis là pour l'aider et non pour le juger et lui dire que ce n'est pas bien. Je lui reparle pour la énième fois de l'alliance thérapeutique, de la sincérité nécessaire qu'il me doit s'il veut progresser, etc. Je lui rappelle qu'il est toujours libre de venir ou pas et que ce n'est peut-être pas le bon moment pour lui.

Dans les cas de toxicomanie, c'est comme pour l'arrêt du tabac, il y a toujours le bon moment. Tant qu'on se dit que ce que l'on fait est mal mais qu'on y prend du plaisir, il n'y a rien à faire. Voilà, je lui serine encore et toujours la même chose, à savoir que je ne suis ni flic, ni directeur de la norme.

Et là il m’explique que depuis quinze ans qu'il voit des psychiatres, il les a toujours menés en bateau et qu'il s'est fait une spécialité de leur mentir. Comme il me le précise : "c'est super simple de leur mentir, je sais exactement ce qu'ils attendent de moi, que je sois un bon garçon un peu con montrant que je fais des progrès alors que je n'en fait vraiment aucun mais tout en leur indiquant par ma manière d'être que ce n'est vraiment pas de ma faute".

Et quand je lui demande pourquoi il agit comme cela, il réfléchit un peu avant de me dire que premièrement, cela lui permet de ne pas endurer les jugements négatifs d'un psy qui va lui dire que se droguer c'est très mal surtout avec ce qu'il a parce qu'il déteste être infantilisé de la sorte et que cela lui donnerait plutôt l'envie d'étrangler le psychiatre en face de lui. Deuxièmement, cela lui permet de voit maintenue l'allocation mensuelle qu'on lui verse et qui lui permet justement de ne pas en branler une tout en se droguant joyeusement avec ses petits camarades. Et enfin, mentir éhontément lui permet d'éloigner de lui le spectre de l'internement parce qu'il voit plus en le psychiatre qui le reçoit, une sorte de juge d'instruction qu'une personne capable de l'aider en nouant une bonne relation thérapeutique.

Sur ce coup, je sais qu'il n'a pas tort et que trop de médecins, ultra-controlants,  se permettent de parler à leurs patients en jugeant très négativement tous les comportements qu'ils estiment contraire à leur santé. L'idée de replacer ces comportements dans un spectre plus large tenant en compte l'histoire de l'individu, ne leur vient pas à l'idée. Leur vision dichotomique de l'existence avec une frontière très nette en ce que l'on devrait faire et ne devrait pas faire, amène en fin de compte une nette baisse des informations qu'ils pourraient obtenir de leurs patients. Lassés d'être jugés et infantilisés, ces derniers ne leur disent plus que ce qu'ils ont envie d'entendre. 


Dans la mesure ou l'idéologie qui menace aujourd'hui les libertés individuelles n'est pas religieuse mais médicale, l'individu doit être protégé non des prêtres mais des médecins.
Thomas Szasz
Dans la mesure où l'idéologie qui menace aujourd'hui les libertés individuelles n'est pas religieuse mais médicale, l'individu doit être protégé non des prêtres, mais des médecins.