04 janvier, 2013

Piano et schizophrénie !


Bon, je cesse de déconner un instant et je redeviens sérieux. Après tout, je suis psy et non vendeur de bagnoles. Et je me dois de penser à tous ces nouveaux lecteurs qui venant ici, se trouveront fort marris de ne trouver que des articles sans queue ni tête ni suite logique au lieu de lire des textes roboratifs traitant de psychopathologie. Ceci dit, ceux qui veulent des conseils en matière de Visa seront aussi les bienvenus.

Ceux qui me connaissent déjà savent que voici quelques mois, j’accueilli un jeune et sémillant patient que l'on avait à mon sens, un peu abusivement diagnostiqué comme schizophrène alors qu'à première vue il ne l'était pas du tout. Bien entendu, je ne me suis jamais posé en spécialiste de cette pathologie. Je ne sais que ce que j'ai étudié et c'était forcément parcellaire parce que la schizophrénie est un vrai casse-tête. Mais comme sous mes abords déconneurs, je suis quelqu'un de sérieux, j'ai lu, beaucoup lu sur le sujet depuis que j'ai reçu ce patient.  S'il avait fallu que je lui facture toutes les heures durant lesquelles j'ai réfléchi à son cas, il serait déjà ruiné. Et pourtant, je ne suis vraiment pas cher, croyez moi ! 

Non que je pensais vraiment apprendre quelque chose en lisant toute cette littérature mais que je n'avais surtout pas envie de me retrouver tout seul à penser ce que je pensais, à savoir qu'à mon sens le diagnostic de schizophrénie est un peu porté à l'arrache, dès lors que le patient manifeste des symptômes pas très orthodoxes. Etre seul contre tous, c’est très sympa mais assez inconfortable aussi. J’avais besoin dans le cadre de ces petites recherches de trouver de l’appui. Etre seul à dire que tous les autres sont des cons, c’est sympa mais ça l’est encore plus quand on peut dire qu’on n’est pas le seul à le penser.

Finalement, mes lectures m'auront prouvé que j'avais raison. Je n’étais pas seul à penser que ce diagnostic est parfois porté à tort à travers. Effectivement, même si je ne veux aucunement mettre en doute les compétences des psychiatres (dont je baise les mains respectueusement moi qui ne suis qu'un infâme vermisseau), il semblerait que parfois, il puisse y avoir quelques abus et que la schizophrénie soit une entité mal définie dans laquelle on puisse faire rentrer des tas de gens pour leur plus grand malheur. Qui plus, le DSM dans son désir louable de synthèse a aussi réussi à mettre de l’ordre là où il n’en aurait pas fallu autant. Et là, c’est devenu un peu binaire et la psychiatrie américaine aura tôt fait de vous coller une pathologie sur le dos dès lors que vous variez un peu par rapport à la norme. Faut pas trop déconner et marcher en dehors des clous.

De là à dire que face à un tel diagnostic, il faille tout de même exiger un second avis me semble évident. Comme j'ai eu l'occasion de l'écrire, si vous en êtes à demander deux devis pour faire changer les plaquettes de frein de votre voiture ou monter des pneus neufs, il me semble judicieux de faire de même quand vous êtes confrontés à des diagnostics aussi terribles. Et ce n’est pas parce que c’est monsieur le docteur qui vous l’a dit que c’est forcément vrai. 

Bien sur parfois, le diagnostic est évident. Tenez, moi qui vous parle, votre humble serviteur, saviez vous que j'avais diagnostiqué ma première schizophrénie alors que j'étais encore juriste ? Je vous assure que c'est vrai. Je prenais à l'époque des cours de piano jazz et d'harmonie dans une petite école parisienne de musique assez réputée. 

J'avais un prof, un capricorne, âgé d'un an de plus que moi. C'était à la fois le meilleur pianiste que je connaisse mais aussi le prof le moins pédagogue. Mais mu par ma brillante intelligence et mon orgueil absolu, c'est lui que je voulais avoir parce que c'était tout bonnement le meilleur. On m'en avait proposé de plus simples et accessibles mais que nenni, je voulais celui-ci et pas un autre. Les autres, j’avais bien tenté, mais je ne les admirais pas. Je savais qu’avec un peu de boulot, je leurs mettrais une vraie branlée parce qu’ils étaient dénués de talents. Mais lui, ce putain de capricorne, je savais que dussè-je bosser vingt ans, je n’arriverais pas à l’égaler.

Comme je suis un bon garçon, lui et moi on a fini par devenir potes. Et comme c'était un peu une tête de con, il a fini par se faire lourder de l'école de musique pour finir par donner des cours de piano chez lui. Il faut dire qu’il avait une notion assez élastique des horaires et du respect de la hiérarchie.  Et moi, je l'ai suivi. Et j'ai ainsi assisté à sa descente spectaculaire.

Semaine après semaine, je le voyais décliner. Son appartement devenait une porcherie sans nom et lui-même était plutôt cradingue. Comme je suis un bon gars, comme je viens de le dire, je persistais à venir le voir. Un jour, comprenant qu'il n'avait plus un seul client et qu'il ne pouvait même pas bouffer, je lui avais ramené un carton du Monoprix le plus proche contenant des produits de première nécessité, ce qui prouve que j'étais vraiment un bon gars comme je l'ai déjà dit deux fois.

Aujourd'hui, je saurais mettre des mots sur tout cela mais à l'époque, je trouvais cela juste bizarre et je mettais ce changement sur le compte de son caractère parfois un peu difficile et de la difficulté à se faire une place en tant qu’artiste. Et puis, comme nous nous entendions bien, on prenait parfois des cafés ensemble. On aimait bien se retrouver place de la Sorbonne au tabac pour discuter de tout et de rien.

Et là aussi, il a commencé à changer, à changer vraiment dans le sens où je trouvais qu'il déraillait. Des conneries, on en dit tous et moi le premier, mais chez lui ce n'était plus des conneries mais de gros délires. Croyez-moi, même moi qui ai des amis socialistes, je n’avais jamais entendu de tels trucs. 

Je savais que très sensible aux honneurs, il était tout fier de m’expliquer qu’il venait d’être initié chez les francs-maçons. Alors j’ai au début imaginé que se balader entre Boaz et Jakin et entretenir une sorte de proximité avec Isis et Osiris avait pu un peu lui taper sur le système. Sans doute que les planches qu’il devait se farcir lors de ses tenues avait pu le mettre HS quelques temps. Ce n’était pas été le premier que j’observe se faire une overdose de symbolique. Ca arrive aux apprentis psychanalystes qui voient des trucs partout alors pourquoi pas aux jeunes frères trois points ?!

D’ailleurs, il était devenu un peu space, me signifiant par là que je n’étais qu’un profane alors que lui avait été initié. Il en parlait beaucoup sans rien dire. C’était assez rigolo. D’ailleurs, comme c’était un bon pote, il m’avait fait approcher par l’un de ses frères pour que moi aussi j’entre dans ce cénacle. J’avais vu le mec qui ne m’avait pas vraiment emballé. Et donc j’avais un peu joué au con, tant et si bien que j’avais été classé déviant réactionnaire et persona non grata dans leur obédience. Moi je m’en foutais vu que je n’aime pas les activités de groupe. Déjà qu’aller à un club de voitures anciennes me gave, imaginez ce que j’aurais pu ressentir dans un temple maçonnique. Et puis, je n’aime pas trop me taire et il parfait que durant un an, on n’a pas le droit de l’ouvrir. Bref, ce n’était pas pour moi.

Mais bon, semaine après semaine, les délires de mon pote pianiste avaient pris de l’ampleur. C'est ainsi qu'un jour, alors que nous étions assis en terrasse à un café, il m'expliqua qu'autour de nous, des hommes nous surveillaient mais qu'on pouvait les reconnaitre parce "qu'ils avaient les canines légèrement taillées en pointes comme tous les francs-maçons". Comme je me demandais pourquoi il me sortait de telles conneries, je m’étais d’abord retourné pour constater que nul vampire ne hantait les lieux. Il faut dire qu’il était super persuasif mon pote quand il était perché dans ses délires. Et puis, moi, je ne connaissais rien aux francs-maçons, ils auraient bien pu se tailler les canines en pointe après tout, qu'est-ce que j'en savais !

 Mais bon, ce jour là, je me suis tout de même dit qu'il avait passé un cap et qu'il venait de péter une durit. Comme internet n’existait pas en ce temps là, je suis allé à la bibliothèque de Beaubourg compulser les livres de psychiatrie. Et en très peu de temps, j'ai trouvé l'explication et compris que si mon pote pianiste semblait barré c'est parce qu'il était schizophrène à n'en pas douter ! Tout y était, les symptômes déficitaires et productifs, tout, tout, tout ! 
 
C'est ainsi que compulsant fiévreusement l'annuaire, parce qu'en ce temps là, c'était comme cela, on avait des bottins, j'ai trouvé une liste de dix numéros pouvant correspondre à celui de ses parents dont je ne connaissais que le nom et la ville de résidence. Par chance, au troisième appel alors que j'expliquais que j'étais Philippe, un élève pianiste de X, une voix féminine m'a répondu que son fils lui avait déjà parlé de moi. Bingo, j'avais sa mère au téléphone à qui j'ai pu expliquer que son fils allait très mal et qu'il semblait que ce soit suffisamment grave pour qu'elle vienne immédiatement le chercher. Bien sur, je n'ai pas prononcé le terme de schizophrénie.

Le lendemain, les parents de mon ami se pointaient en avion et le surlendemain il était interné et mis sous Haldol, un bon gros neuroleptique qui calme tout. Les parents m'ont alors rappelé pour me remercier et me dire que leur fils avait été diagnostiqué schizophrène et qu'ils me donneraient de ses nouvelles régulièrement.

Lui et moi n'avons jamais perdu le lien qui nous unissait et nous avons toujours des contacts. Il va mieux, cela se sent au téléphone, mais il a foiré sa vie sans doute moins à cause de la maladie que de la très mauvaise prise en charge qu'il a eue puisque l'aspect psychothérapie n'a jamais été envisagé pour compléter la prise en charge médicale. Il faut dire qu’il pouvait être une sacrée tête de con et que les confrères qui avaient tenté de le traiter avaient déchanté. Moi, je pense qu’il m’aurait amusé parce que je sais être très con aussi.  Mais bon, dans son cas, je ne m'étais pas trompé, c'était une vraie et pure schizophrénie paranoïde.

Pourtant si ces cas existent, ils ne sont pas tous aussi clairs que cela, d'où l'importance de se souvenir que le diagnostic de schizophrénie est un diagnostic qui se fait par défaut, une fois qu'on a éliminé toutes les explications banales possibles. Il ne s'agit jamais de se jeter sur ce diagnostic par facilité simplement parce que la personne que l'on a face à soi est un peu étrange.

Entendons-nous bien, je ne me fais pas le chantre de l’antipsychiatrie mais vous recommande juste d’être circonspect. Parce que plein de trucs peuvent expliquer un pétage de plombs transitoire sans pour autant que ce soit une schizophrénie. Tenez, un truc aussi con que de se shooter sans oser le dire à son médecin parce que le patient a peur qu’il le répète à papa et maman et hop, on passe à côté du bon diagnostic !

Alors ces derniers temps, j’ai lu des tas d’ouvrages plus ou moins savants. Si je ne devais vous en recommander qu’un, ce serait celui d’Alain Bottéro « Un autre regard sur la schizophrénie : de l’étrange au familier ». C’est intelligemment rédigé avec beaucoup de sensibilité et d’érudition. Et c’est édité chez Odile Jacob.

Et comme vous êtes vraiment vernis, c’est aussi accessible en ligne en cliquant sur ce lien là.

1 Comments:

Blogger Unknown said...

Ben tu vois Psylippe, ton pote schizoparano il était gentil : il ne faisait pas de mal aux autres, sinon par la peine qu'il pouvait leur causer. Et ses parents étaient de bons parents, qui se sont souciés de lui et n'ont pas hésité à le coller en HP sous Haldol quand tu avais tiré la sonnette d'alarme − ton altruisme te décrédibilise totalement ceci dit au passage : un vrai libéral ne pense qu'à sa gueule −...

Si j'écris dissimulé par un pseudo à la con, c'est à cause d'une schizoparano bien plus atteinte que ton pote : une véritable saloperie ; un fléau ; la pire fouille-merde haineuse du monde. Depuis des années elle me suit à la trace et elle n'a pas de canines pointues je t'assure. Sitôt que j'apparais en public − sur l'internet, s'entend − elle est là, guettant le moindre et le plus anodin de mes propos, pour ensuite le copicoller sur son blog de folle, et le déformer éhontément. Elle me veut du mal. Si elle avait un flingue et vivait dans mes parages elles me tuerait sans hésiter.

Heureusement pour moi, elle vit à mille bornes de chez moi et n'est armée que d'un ordinateur. Ses parents chez qui elle vit, retranchée par peur de la Mafia, n'ont pas l'air de se soucier de la maladie de leur fille qui approche le demi-siècle.

Tu as peut-être vu le grand film de Clouzot : le Corbeau. Hé bien c'est elle : le Corbeau du XXIe siècle.

Merci pour le lien vers le bouquin : je me le dégusterai tranquillement. Pour l'heure je n'ai pas lu grand-chose sur cette maladie, sinon "Les folies raisonnantes" de Sérieux et Capgras :

http://www2.biusante.parisdescartes.fr/livanc/?cote=61092&do=chapitre

PS : je ne suis pas psyquelquechose, mais un simple quidam lambda trouvant de l'intérêt à la chose.

La bisouille bavoteuse à souhait !

4/2/13 10:24 PM  

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