Une histoire de Philippes - 3
-->
Philémon, le héros de cette
bande dessinée, est une sorte d’adolescent monté en graine, doté d’un caractère
doux et rêveur qui par maladresse ou gentillesse, se retrouvé mêlé à des
aventures inattendues et totalement oniriques. Philémon, je l’ai lu étant petit
et je n’aimais pas trop parce que justement c’était un peu trop délirant pour
mes capacités de capricornes plus axées sur le réel et la pensée que sur le
rêve. Mais je savais que si j’avais été un scorpion comme Philippe l’alcoolique, j’aurais
adoré Philémon. Voilà une manière bien curieuse d’expliquer pourquoi je
m’entendais bien avec lui. Avec ma grille de lecture et de compréhension toute
particulière, je savais que nos différences n’étaient pas aussi importantes
qu’il y paraissait. J’étais la terre structurée et il était l’eau
mouvante : lui et moi pouvions nous entendre et nous nous entendions bien.
Nous étions complémentaires.
La seule chose que je m’abstenais
de faire était de le suivre quand il partait trop loin au gré de son imprégnation
alcoolique. Je ne disais rien mais je rompais gentiment le contact. Le mot
d’ordre était « ok pour discuter de tout ce que tu veux mais pas pour te
suivre dans tes conneries ».
Pharmacien de son état et
passionné par l’hématologie, il aurait été un parfait chercheur, ou encore guitariste
parce qu’il en jouait fort bien. Bref ce type aurait pu avoir du succès dans
tout ce qu’il aurait entrepris qui ait été proche de lui, qui lui ait permis de
vivre dans un monde un peu éthéré. Mais pour une raison que j’ignorais encore,
on lui avait enjoint de se focaliser sur l’argent et il avait joué le jeu en
gérant un énorme laboratoire jusqu’à ce qu’il craque. Rien de bien nouveau sous
le soleil qu’un énième pauvre type aux ambitions déçues s’étant ingénié à
donner aux autres ce qu’ils attendaient en niant sa spécificité.
C’est un peu comme le test des
formes, si vous voulez faire entrer le cube dans la forme cylindrique, vous y
parviendrez en tapant dessus à coups de marteau mais vous aurez un cube tout
cassé à la fin. Il était allé au-delà de ses limites tout simplement. Ayant
déçu les autres parce que malgré sa bonne volonté il n’avait pu suffisamment
changer pour devenir exactement celui qu’ils attendaient, s’étant déçu pour ne
pas avoir suivi la voie qu’il savait être la sienne, ce pauvre type se
retrouvait échoué à un pue plu de cinquante balais avec une vie saccagée pleine
de rêves inaboutis.
Et puis voilà, au fur et à
mesure, c’était devenu une sorte de « bon pote de bistro », un type
que l’on croise régulièrement et avec qui on a suffisamment d’affinités pour
avoir le sourire dès qu’on l’aperçoit au comptoir, quoique j’aie toujours
préféré les tables aux comptoirs. Jamais je n’ai joué au psy avec lui. Je
l’écoutais mais je crois que je faisais plus en partageant réellement avec lui.
Certes en tâche de fond, parce que c’est mon boulot mais aussi la manière dont
je fonctionne, j’enregistrais des tas de détails que je classais en bon petit clinicien.
Mais le fait est qu’on s’entendait bien. Il avait des côtés professeur Nimbus
qui n’étaient pas sans me rappeler les miens et j’étais en pays de
connaissance. La similarité, je me permets de le redire, c’est important, c’est
la base du lien autant que l’utilité.
Jusque là, il ne m’avait pas
vraiment parlé de ses problèmes. Il était toujours au bord de l’ivresse mais ne
ne me racontait jamais rien d‘intime. Et puis, je me souviens qu’un jour de
juillet, il n’allait vraiment pas bien. C’est Philippe le cafetier qui me
l’avait dit et il lui avait conseillé de me parler franchement de ses tourments
en lui disant que je pourrais peut-être l’aider. Philippe l’alcoolique m’avait
alors convié à sa table, il était imbibé comme jamais mais comme tout grand
alcoolique, il n’était pas ivre pour autant et restait capable de me parler.
Sans doute que ce jour là, pour se prémunir de la souffrance, il avait bu de
manière à avoir la tête matelassée, anesthésiée, un peu pour se retrouver dans
ce même état dont se plaignent amèrement les schizophrènes après avoir pris
leurs neuroleptiques et lorsqu’ils expliquent qu’ils ont l’impression d’avoir
une couverture humide dans la tête.
Et son problème majeur à lui,
c’était sa femme qui était partie après plus de vingt ans de mariage en lui demandant
un paquet d’argent pour solde de tout compte. Parce que sans donner dans le
sexisme, si l’on a pu remarquer que les mecs se barrent généralement en
abandonnant tout, les bonnes femmes en ménagère accomplie pour facturent en cas
de divorce les années passées auprès de vous, jusqu’à la moindre étreinte !
De fait, ce jour là il avait reçu un courrier de l’avocat de son épouse dans
lequel était inscrit noir sur blanc le montant que sa future ex-épouse estimait
être en droit d’exiger pour l’avoir supporté tout ce temps et lui avoir fait
trois enfants.
Alors il m’avait parlé de ce
qui le tourmentait vraiment. Ce n’était pas son avenir, ni son boulot, de tout
cela il s’en moquait totalement. Et bien que je n’aie jamais demandé quoi que
ce soit concernant sa situation, j’avais cru deviner qu’il était totalement à
l’abri du besoin et qu’il pourrait passer le restant de sa vie à glandouiller
sans recourir aux services de Restaus du
cœur. Non, son drame à ce grand sensible c’était l’amour. Tout bêtement
l’amour. C’est amusant parce que mis sur le marché des célibataires, pourvu
qu’on lui ait coupé les cheveux, égalisé sa moustache, qu’on l’ait fait prendre
un bon bain et revêtu de vêtements propres, ce type aurait pu encore rencontrer
l’âme sœur.
Mais son âme sœur, c’était
juste sa femme, celle qui lui réclamait aujourd’hui ce gros paquet d’argent, et
pas une autre. Le fric à la limite je crois qu’il s’en foutait, ce qu’il aurait
voulu c’était qu’elle revienne. Qu’ils puissent se parler et revivre ensemble. Je
crois que ce jour là, ce courrier d’avocat l’avait anéanti. Recevoir cette
facture l’avait annihilé parce que cela mettait en évidence que ce que lui
pensait ne pas avoir de prix, l’amour, en avait un pour elle. C’était la fin de
tous ses espoirs.
Alors il m’avait parlé d’elle,
des espoirs qu’elle avait mis en lui en lui faisant monter de gros labo
d’analyses médicales, en lui faisant recevoir le gratin local à des diners. Il
m’en parlait en la décrivant comme une jolie femme ambitieuse qui l’avait
contraint à gagner du fric pour lui payer ce qu’elle voulait tout en laissant
clairement entendre en filigranes qu’il l’aimait encore ou du moins qu’il
l’avait passionnément aimée. C’était cette ambivalence qui était intéressante.
Pour ma part, j’avais écouté, me gardant bien de tout jugement, sachant que
dans un couple c’est toujours du cinquante / cinquante. Après tout, elle avait
sans doute distingué en lui cette vive intelligence et cette grande sensibilité
que je voyais moi aussi. Mais peut-être dotée d’un plus grand sens des réalités
que lui, elle s’était sans doute ingéniée à ce qu’il en fasse quelque chose de
tangible plutôt que de l’inscrire dans des carrières plus erratiques comme la
recherche ou la musique. Les femmes ont souvent bien plus de sens pratiques que
nous n’en avons !
1 Comments:
Une histoire de Philippes - 3
Et les chapitres 1 et 2, ils sont où?
Enregistrer un commentaire
<< Home