09 février, 2013

Une histoire de Philippes - 3

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Philémon, le héros de cette bande dessinée, est une sorte d’adolescent monté en graine, doté d’un caractère doux et rêveur qui par maladresse ou gentillesse, se retrouvé mêlé à des aventures inattendues et totalement oniriques. Philémon, je l’ai lu étant petit et je n’aimais pas trop parce que justement c’était un peu trop délirant pour mes capacités de capricornes plus axées sur le réel et la pensée que sur le rêve. Mais je savais que si j’avais été un scorpion  comme Philippe l’alcoolique, j’aurais adoré Philémon. Voilà une manière bien curieuse d’expliquer pourquoi je m’entendais bien avec lui. Avec ma grille de lecture et de compréhension toute particulière, je savais que nos différences n’étaient pas aussi importantes qu’il y paraissait. J’étais la terre structurée et il était l’eau mouvante : lui et moi pouvions nous entendre et nous nous entendions bien. Nous étions complémentaires.

La seule chose que je m’abstenais de faire était de le suivre quand il partait trop loin au gré de son imprégnation alcoolique. Je ne disais rien mais je rompais gentiment le contact. Le mot d’ordre était « ok pour discuter de tout ce que tu veux mais pas pour te suivre dans tes conneries ».

Pharmacien de son état et passionné par l’hématologie, il aurait été  un parfait chercheur, ou encore guitariste parce qu’il en jouait fort bien. Bref ce type aurait pu avoir du succès dans tout ce qu’il aurait entrepris qui ait été proche de lui, qui lui ait permis de vivre dans un monde un peu éthéré. Mais pour une raison que j’ignorais encore, on lui avait enjoint de se focaliser sur l’argent et il avait joué le jeu en gérant un énorme laboratoire jusqu’à ce qu’il craque. Rien de bien nouveau sous le soleil qu’un énième pauvre type aux ambitions déçues s’étant ingénié à donner aux autres ce qu’ils attendaient en niant sa spécificité.

C’est un peu comme le test des formes, si vous voulez faire entrer le cube dans la forme cylindrique, vous y parviendrez en tapant dessus à coups de marteau mais vous aurez un cube tout cassé à la fin. Il était allé au-delà de ses limites tout simplement. Ayant déçu les autres parce que malgré sa bonne volonté il n’avait pu suffisamment changer pour devenir exactement celui qu’ils attendaient, s’étant déçu pour ne pas avoir suivi la voie qu’il savait être la sienne, ce pauvre type se retrouvait échoué à un pue plu de cinquante balais avec une vie saccagée pleine de rêves inaboutis.

Et puis voilà, au fur et à mesure, c’était devenu une sorte de « bon pote de bistro », un type que l’on croise régulièrement et avec qui on a suffisamment d’affinités pour avoir le sourire dès qu’on l’aperçoit au comptoir, quoique j’aie toujours préféré les tables aux comptoirs. Jamais je n’ai joué au psy avec lui. Je l’écoutais mais je crois que je faisais plus en partageant réellement avec lui. Certes en tâche de fond, parce que c’est mon boulot mais aussi la manière dont je fonctionne, j’enregistrais des tas de détails que je classais en bon petit clinicien. Mais le fait est qu’on s’entendait bien. Il avait des côtés professeur Nimbus qui n’étaient pas sans me rappeler les miens et j’étais en pays de connaissance. La similarité, je me permets de le redire, c’est important, c’est la base du lien autant que l’utilité.

Jusque là, il ne m’avait pas vraiment parlé de ses problèmes. Il était toujours au bord de l’ivresse mais ne ne me racontait jamais rien d‘intime. Et puis, je me souviens qu’un jour de juillet, il n’allait vraiment pas bien. C’est Philippe le cafetier qui me l’avait dit et il lui avait conseillé de me parler franchement de ses tourments en lui disant que je pourrais peut-être l’aider. Philippe l’alcoolique m’avait alors convié à sa table, il était imbibé comme jamais mais comme tout grand alcoolique, il n’était pas ivre pour autant et restait capable de me parler. Sans doute que ce jour là, pour se prémunir de la souffrance, il avait bu de manière à avoir la tête matelassée, anesthésiée, un peu pour se retrouver dans ce même état dont se plaignent amèrement les schizophrènes après avoir pris leurs neuroleptiques et lorsqu’ils expliquent qu’ils ont l’impression d’avoir une couverture humide dans la tête.

Et son problème majeur à lui, c’était sa femme qui était partie après plus de vingt ans de mariage en lui demandant un paquet d’argent pour solde de tout compte. Parce que sans donner dans le sexisme, si l’on a pu remarquer que les mecs se barrent généralement en abandonnant tout, les bonnes femmes en ménagère accomplie pour facturent en cas de divorce les années passées auprès de vous, jusqu’à la moindre étreinte ! De fait, ce jour là il avait reçu un courrier de l’avocat de son épouse dans lequel était inscrit noir sur blanc le montant que sa future ex-épouse estimait être en droit d’exiger pour l’avoir supporté tout ce temps et lui avoir fait trois enfants.

Alors il m’avait parlé de ce qui le tourmentait vraiment. Ce n’était pas son avenir, ni son boulot, de tout cela il s’en moquait totalement. Et bien que je n’aie jamais demandé quoi que ce soit concernant sa situation, j’avais cru deviner qu’il était totalement à l’abri du besoin et qu’il pourrait passer le restant de sa vie à glandouiller sans recourir aux services de Restaus du cœur. Non, son drame à ce grand sensible c’était l’amour. Tout bêtement l’amour. C’est amusant parce que mis sur le marché des célibataires, pourvu qu’on lui ait coupé les cheveux, égalisé sa moustache, qu’on l’ait fait prendre un bon bain et revêtu de vêtements propres, ce type aurait pu encore rencontrer l’âme sœur.

Mais son âme sœur, c’était juste sa femme, celle qui lui réclamait aujourd’hui ce gros paquet d’argent, et pas une autre. Le fric à la limite je crois qu’il s’en foutait, ce qu’il aurait voulu c’était qu’elle revienne. Qu’ils puissent se parler et revivre ensemble. Je crois que ce jour là, ce courrier d’avocat l’avait anéanti. Recevoir cette facture l’avait annihilé parce que cela mettait en évidence que ce que lui pensait ne pas avoir de prix, l’amour, en avait un pour elle. C’était la fin de tous ses espoirs.

Alors il m’avait parlé d’elle, des espoirs qu’elle avait mis en lui en lui faisant monter de gros labo d’analyses médicales, en lui faisant recevoir le gratin local à des diners. Il m’en parlait en la décrivant comme une jolie femme ambitieuse qui l’avait contraint à gagner du fric pour lui payer ce qu’elle voulait tout en laissant clairement entendre en filigranes qu’il l’aimait encore ou du moins qu’il l’avait passionnément aimée. C’était cette ambivalence qui était intéressante. Pour ma part, j’avais écouté, me gardant bien de tout jugement, sachant que dans un couple c’est toujours du cinquante / cinquante. Après tout, elle avait sans doute distingué en lui cette vive intelligence et cette grande sensibilité que je voyais moi aussi. Mais peut-être dotée d’un plus grand sens des réalités que lui, elle s’était sans doute ingéniée à ce qu’il en fasse quelque chose de tangible plutôt que de l’inscrire dans des carrières plus erratiques comme la recherche ou la musique. Les femmes ont souvent bien plus de sens pratiques que nous n’en avons !

1 Comments:

Blogger El Gringo said...

Une histoire de Philippes - 3

Et les chapitres 1 et 2, ils sont où?

9/4/13 11:03 PM  

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