03 février, 2013

Sur le front de la schizophrénie !


J'ai revu mon schizophrène qui ne l'est pas et puis je ne l'ai plus revu. Je l'ai revu, juste le temps de prouver que je ne m'étais pas trompé et qu'il n'était pas schizophrène. Oh, non que je sois si orgueilleux que j'aie juste pris un cas pour simplement prouver à la face du monde que j'étais meilleur que les autres.

En fait, l'origine de cette collaboration entre lui et moi était curieuse. J'avais reçu son frère qui outre d'autres problèmes se montrait très anxieux à l'idée d'avoir à s'occuper de son jeuen frère schizophrène. J'avais alors interrogé l'ainé pour comprendre de quel type de schizophrénie souffrait le puiné et, ayant obtenu mes réponses, je lui avais dit qu'à mon sens il n'y avait pas de schizophrénie qui vaille mais sans doute autre chose.

Ayant reçu le second fils et ayant noué de bons rapports, je m'étais aperçu que plus qu'un schizophrène, c'était surtout au roi des branleurs que j'étais confronté. Certes il en avait marre d'être pris pour une sorte de débile mental mais il refusait de sortir totalement du schéma parce que cela l'arrangeait bien de n'encourir aucune conséquence de ses actes. Dans mon métier, on appelle cela les "bénéfices secondaires" d'une pathologie. Il était pris pour un dingue irresponsable ce qui lui permettait de mener la vie qu'il voulait sans contraintes et à la moindre opposition de son entourage, il n'avait qu'à hausser le ton, menacer de se suicider et hop, tout le monde se couchait et tolérait ses manquements aux plus élémentaires règles de vie.

Moi non. Comme j'ai su dès le premier jour que ce n'était qu'un gros branleur, je ne lui ai rien passé sans que pour autant on se fasse la guerre. De fait, on s'est bien entendu et je crois que cela a aussi été le fait que je voie clair dans son jeu. Dès notre seconde entrevue, je lui avais dit que désormais, et tant qu'il continuerait avec moi, il n'aurait plus de symptômes mais simplement des défauts et des qualités.

On progressait bien, sauf que dans sa vie de tous les jours, cela n'allait pas aussi vite. Jouant un habile double-jeu, normal avec moi et un peu débile avec ses parents, il m'avait installé dans une position de complice lui permettant d'obtenir ce qu'il voulait dans la vie, à savoir plus d'autonomie, sans pour autant en assumer les conséquences.

Après quelques séances, et alors que je m'étais passablement énervé parce qu'être pris pour un con ne fait pas partie de mes attributions, il m'avait enfin avoué qu'il prenait de la coke, beaucoup de coke. Et, ce faisant, je n'avais qu'à imaginer son parcours de toxico pour comprendre qu'il avait du prendre des tas d'autres trucs, ce qui aurait expliqué les raisons de son internement quand il était jeune dans la mesure ou un bad trip peut donner une erreur d'interprétation et être confondu avec un épisode psychotique justifiant le diagnostic de schizophrénie.

Et depuis quelques mois, on en était là. On pataugeait lui et moi parce qu'il n'appliquait pas les principes spirituels édictés par les NA, à savoir : ouverture d'esprit, honnêteté et bonne volonté. Il passait son temps à me mentir. Quoique j'aie pu lui proposer, j'avais le droit à son acquiescement mais une fois le dos tourné, je savais qu'il repiquerait à la coke avec ses blaireaux de copains.

D'ailleurs un de mes ex-patients avait gentiment accepté de l'emmener aux NA afin de lui montrer comment fonctionnait les groupes. Mais ce gros blaireau n'avait trouvé qu'à me dire qu'il n'avait pas beaucoup aimé le principe parce que pour lui c'était un peu trop sectaire ! Et mon pied au cul, il est sectaire lui aussi ?

A la longue, je me suis lassé. Je ne suis pas flic ni éducateur et je déteste recevoir des gens manquant ainsi de bonne volonté. J'ai l'impression de pisser dans un violon et d'être pris pour un con. J'ai beau tourner et retourner dans tous les sens le contre-transfert négatif que je ressens, cela ne marche pas, j'ai juste envie de baffer le patient et de l'envoyer balader.

De plus dans son cas, il y avait les parents en jeu. Et cela me rendait fou de recevoir parfois des mails dans lesquels on me remerciait de ma bienveillance tout en soulignant le fait que dans la réalité, rien n'avait vraiment changé dans la vie de leur fils. Bien sur, j'avais un type normal en face de moi qui se la jouait un peu à l'ouest face à papa et maman pour continuer sur la même lancée, à savoir vivre comme un gland immature et irresponsable.

Cela m'emmerdait pour deux choses. D'une part parce que j'avais de la peine pour ses parents qui depuis dix ans n'en pouvaient plus de supporter ce fils. Et enfin parce que j'avais aussi l'impression de passer pour un vrai con, du genre con idéaliste qui refuse la réalité de la schizophrénie alors qu'elle est manifestement patente pour tout le monde.

Et puis, j'en ai eu assez des mensonges récurrents, du fait qu'il me prenne pour un con. Je le lui ai dit. Il me regardait comme un crétin pris en faute mais en étant incapable de faire la moindre proposition. Et un jour, qu'il m'avait encore planté en prétextant je ne sais quoi (les toxicos ont une grande imagination), je ne lui ai pas répondu ni refixé de rendez-vous. Je ne le jugeais pas prêt pour une thérapie. Il m'instrumentalisait de manière à dire à ses parents : voyez comme je suis un bon petit gars, je vois Philippe tous les jeudis.

Soumis au secret professionnel, je ne pouvais rien dire aux parents. En revanche, j'ai joué par la bande grâce au frère qui étai au courant. Et voici qu'un beau jour, ce dernier lassé des turpitudes de son frère et de la souffrance qu'il infligeait à leurs parents est allé les voir pour leur dire que le problème c'était la coke et la drogue en général mais pas la schizophrénie.

Ca a bouleversé un peu les données du problème et la vision tragique que papa et maman avaient sur leur fiston qui certes avait des problèmes mais qu'on ne pouvait pas blâmer. Disons qu'il y a eu quelques changements dans la manière de régler les choses.

Maintenant les choses sont claires. Comme je lui disais toujours : "j'ai le pouvoir de te sortir de tôle mais ne crois pas que dehors ce sera aussi simple que tu l'imagines". Je pense que là, pépère doit dérouiller pas mal. De toute manière, soit il marche droit et se démerdera pour s'en sortir soit il se retrouvera seul. Jusqu'où faut-il ne pas aller plutôt que jusqu'où faut il aller pour prouver qu'on prend soin d'autrui, voilà ce que doivent réaliser ses parents.

Quant à moi, s'il veut il est toujours le bienvenu mais à mes conditions. Pour le reste, j'avais raison, il n'était pas schizophrène.

1 Comments:

Blogger V. said...

enfin pour pas capter que son mome se défonce il faut quand meme avoir envie de se faire avoir.
le fils leur a donné ce qu ils voulaient. un leurre (le leur...)

21/2/13 12:48 PM  

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