11 février, 2013

Une histoire de Philippes - 4

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Le pire, c’est que la demande de divorce émanait de lui ! Et là, c’était une faute terrible que jamais son ombrageuse épouse n’aurait pu pardonner.  Elle l’avait sans doute dominé durant toutes ces années et le fait que le premier obus vienne de lui avait du la rendre folle de rage. Conseillé par un avocat plus soucieux de percevoir ses honoraires rapidement que de conseiller intelligemment son client, il avait déclenché les hostilités là où il aurait juste fallu attendre afin de prendre une décision murement réfléchie et non pas sous le coup de son orgueil mâle blessé. Et du côté de sa femme, l’orgueil était au moins aussi grand et l’idée de se voir répudiée avait faire germer en elle des envies de vengeances. Elle avait pris une avocate, sans doute la pire qui soit, qui loin de chercher un accord, s’était ingénié à faire la guerre plutôt que de trouver une issue favorable.

Le désamour qu’on aurait peut-être pu endiguer si les deux parties avaient consenti à se parler sincèrement s’était mué en une guerre terrible par avocats interposés à coups de requêtes ! L’irréparable avait eu lieu et moi je tombais au milieu de ce désastre. Du couple, je savais qu’il n’y aurait plus rien à sauver. Les choses étaient allées bien trop loin et il aurait fallu que j’aie à faire à deux saints pour qu’ils se réconcilient. L’un et l’autre se sentant trompés dans leurs attentes, c’était des années de frustration réciproque qu’ils se jetaient à la gueule. C’était toutes leurs belles années déçues, celles qui ne reviendraient jamais et qui leur restaient en travers de la gorge qu’ils avaient décidé de se faire payer !

On en était resté là et j’avais écoute. Puis quelques jours après tandis que je le recroisais, il m’avait invité à m’asseoir et un peu plus saoul que d’habitude il m’avait demandé « tiens toi qui es si malin dis moi ce que me reproche ma femme ? Tu le fais toi pourquoi elle m’en veut autant ? ». Et comme je savais que c’était le défi qu’il me jetait pour savoir s’il s’en remettrait à moi pour l’aider, j’avais su que j’avais intérêt à trouver la bonne réponse. J’avais fait tourner mes neurones à toute vitesse et sur de ma réponse, je lui avais dit « tu l’as déçue, ce qu’elle te reproche c’est d’être décevant et pire encore tu as déçu ses espérances ».

Et un peu troublé, il m’avait demandé si il était si décevant que cela. Et moi sans me dégonfler parce que je lui devais la vérité je lui avais dit qu’effectivement il était sans doute très décevant. Il m’avait regardé curieusement en me demandant pourquoi je disais cela ou plutôt pourquoi j’étais aussi direct parce que les psys sont sans doute sensés être gentils avec leurs patients et leur dire des choses aimables et lénifiantes ou bien se taire. Je lui avais alors expliqué mon point de vue. En résumé ce que j’avais exprimé c’était ma théorie selon laquelle son épouse avait été libre d’exiger de lui ce qu’elle voulait mais qu’il aurait été en droit de résister et que s’il avait été plus courageux, il lui aurait simplement dit « écoute ma chérie, ce que tu attends de moi, ce n’est pas moi. Moi je suis comme cela et non tel que tu l’imagines ». Voilà, ça aurait été carré et cela aurait même pu plaire à son épouse.

Au lieu de cela, voulant comme le dit l’adage populaire dit le beurre et l’argent du beurre, il avait préféré jouer sur deux tableaux en obéissant en surface aux attentes de son épouse pour conserver cette jolie femme, tout en se disant au fond de lui qu’il penserait ce qu’il voulait. La célèbre formule de Churchill cadrait parfaitement avec la manière dont il avait agi : il avait préféré une sorte de déshonneur plutôt que la guerre et en définitive, il avait eu le déshonneur et la guerre.

 Alors, certes il avait gagné de l’argent mais dans l’intimité, il était resté celui qu’il était, un brillant dilettante. Et plutôt que de remettre fermement mais gentiment son épouse à sa place, il s’était ingénié à saboter ses entreprises. Ainsi lorsqu’elle organisait un diner de notables, il s’était sans cesse amusé à torpiller ces réunions, se permettant tout et n’importe quoi, comme de s’habiller comme l’as de pique, afin de clamer à ces gens « vous pensez que je suis comme vous parce que je gagne autant de fric que vous, mais au fond de moi je suis différent et je vous emmerde ». C’était une attitude totalement immature, un comportement que l’on nomme passif-agressif.

L’attitude passive-agressive désigne un comportement passif fait d’obstructionnisme, de résistance ou d’évitement. Cette attitude se manifeste soit sous forme de ressentiment, d’entêtement, de procrastination, d’acrimonie, d’échec répété à accomplir une tâche. Il s’agit essentiellement d’un mécanisme de défense qui, le plus souvent n’est que partiellement conscient. La personnalité passive-agressive exprime sa colère et son mécontentement de manière subtile, par des insinuations ou des comportements non-verbaux. Il s’agira par exemple de paresse, de refus de prendre ses responsabilités, de se plaindre, de manipuler, d’extérioriser ses sentiments de manière non-verbale par des attitudes sans équivoques tout en niant l’interprétation qu’en fait autrui.

Le fait même de boire à outrance relevait sans doute de ce comportement passif-agressif. Car plutôt que d’affronter ses peurs, Philippe préférait se détruire avec une sorte de jubilation destinée à envoyer le message à son épouse selon lequel elle était totalement responsable de son état. « Voilà ce que tu as fait de moi », tel était sans doute le message qu’il adressait depuis des années à cette épouse qui le dominait. C’était puéril, immature, stupide, cela ne réglait rien et pourtant c’était un comportement humain et courant.

Il m’avait écouté patiemment avant de me demander ce que je pensais de tout cela. Je lui avais alors exprimé qu’il était décevant parce qu’il se comportait sans cesse en adolescent immature, comme ces adolescents qui ne disent rien quand on leur fait des reproches mais dont le regard indique clairement qu’ils nous « emmerdent » quoiqu’on puisse dire. J’avais rajouté que son épouse était ce qu’elle était, qu’elle était peut-être même vénale mais qu’il n’aurait eu qu’à lui dire une bonne fois pour toute « non » et rien de plus ! Voilà, un peu ce que s’était pris dans la figure ce pauvre Philippe : une bonne droite dans les gencives.

En lui expliquant ainsi mon point de vue, sans détours, je savais que je pouvais lui dire ce jour là. Parce qu’il y a un temps pour écouter les gens et un autre pour intervenir. Ma profession ce n’est pas entendre sans cesse les gens chouiner, c’est aussi les mettre face à leur responsabilité, gentiment mais fermement. Il y a toujours le bon moment pour dire ce genre de choses, pour passer de l’écoute compassionnelle à la paire de claques thérapeutiques quand elle est nécessaire. Pour ma part, je ne me suis jamais imaginé dans un rôle purement passif. Je n’ai pas envie d’être le bureau des pleurs.