Trop d'la balle !
Vendredi soir, je dois honorer une invitation chez mon fillot, lequel habite Levallois-Perret, tout là-bas dans l'est de Paris, un endroit où je ne vais jamais. Mon épouse venant de Paris, m'attendra métro Louise Michel dans un estaminet.
Bien entendu, hors de question que je fasse rugir le six-en-lignes pour finalement me retrouver cul-à-cul dans les bouchons. C'est donc en Visa Club, que je me rends sur les lieux. Et comme je ne me refuse rien et que j'aime à me vautrer dans le luxe, c'est mon autoradio Alpine 4x50w qui me tiendra compagnie. Il faut au moins cela pour couvrir le bruit du bicylindre refroidi par air qui produit un bruit aigu quand il monte dans les tours. Tout au long du parcours j'alternerai entre Radio Courtoisie et Rires et chansons parce que je suis élitiste et que je ne suis pas du genre à sombrer dans la facilité France Q.
La N118 est un enfer mais se libère après Vélizy2 et c'est donc à 50/60 km/h que roule hardiment. Dans la descente qui m'amène au pont de Sèvres, je me remet en troisième et c'est au frein moteur que je m'en remets, la voiture bringuebalant de tout côté. Mais la bête tient bien la route. Et hop en moins de temps qu'il n'en faut à un socialiste pour voler l'argent du contribuable, je me retrouve sur les voies sur berges, roulant à la vitesse de 50km/h pour me soustraire à l'avidité des radars plantés là comme autant de bandits de grands chemins prêts à vous faire les poches.
Gentiment, je roule sans avoir l'impression de me traîner et je me moque intérieurement de tous ces gens riches qui m'environnent qui, au volant de leurs Mercedes ou autres Porsche, n'en peuvent plus de se trainer, eux qui voudraient bien laisser parler les centaines de chevaux qu'ils ont sous le capot. Mes trente-cinq haridelles anémiques sont à la fête, elles vont à leur train tranquillement.
Et hop, me voici dans le Bois de Boulogne, je passe devant Longchamp, puis la grande Cascade puis enfin le pavillon d'Armenonville, autant d'endroits où les chasseurs ne daigneraient même pas garer ma pauvre Citroën. Intérieurement, je maudis la classe possédante de s'attarder ainsi sur l'apparence. Je me dis qu'un jour je reviendrai en Jaguar et qu'ils verront bien tous ceux qui m'ont méprisés !
C'est ensuite la Porte Maillot, où je me faufile dans la circulation comme in chef. Il faut dire que personne n'a envie de jouer avec moi sachant que je prendrai plus de risques de forcer le passage avec ma caisse à six-cents euros qu'eux avec les leurs toutes neuves aux peintures rutilantes. Et hop, je dédaigne le périphérique et je prends les maréchaux, j'enquille un petit bout du beau dix-septième et me voici dans Levallois. Un tout droit, un à droite, un gauche et un autre à gauche et me voici rue Louise Michel où je trouve une place presque devant la station de métro.
Mon épouse fait le pied de grue au lieu de m'attendre dans un café. Je descends sans fermer la porte parce que de toute manière la serrure a rendu l'arme quand je n'étais sans doute qu'un petit garçon. Et puis personne ne volera ma voiture. Je prends tout de même soin d'ôter la façade de mon autoradio pour le planquer. Ça c'est super, on se croirait rendu dans les années 80 à l'époque des racks qu'on planquait sous les sièges par peur qu'un toxico ne nous taxe l'autoradio. Mais bon, la méthadone et le subutex on fait considérablement baisser le vol d'autoradios !
Je suis à côté de ma voiture quand un motard chevauchant une belle Moto-Guzzi m'interpelle. Et voici qu'il me parle de ma Visa, la trouvant "sympa". Je lui dis qu'entre fans de bicylindres, c'est normal qu'on se comprenne. Le gars voyant qu'il a à faire à un spécialiste et non à un indigent n'ayant pu trouver mieux qu'une Visa poursuit la conversation. C'est ensuite un second type cravaté qui s'arrête sur le trottoir pour me parler encore une fois de ... ma Visa.
A l'oreille il a reconnu le bruit caractéristique du moteur de 2cv et me demande plein de précisions techniques. Mais c'est quand je lui dis que j'ai payé la bête seulement six-cent euros, que le quidam fait mine de défaillir parce que comme il me l’explique, il pensait que ce serait beaucoup plus cher une voiture aussi rare. C'est vrai que même dans les campagnes reculées, genre Maxéville ou Tauxigny, ils ont lâché l'affaire pour ne plus passer pour des bouseux attardés. Ces abrutis les ferraillent après avoir récupéré le moteur pour le remonter sur des deuches qu'ils revendant à des parisiens en un sombre trafic que la police devrait réprimer sévèrement s'il y avait une justice en France. Moi, je trouve la deuche surfaite et je préfère la laideur attachante de ma Visa, la mal-aimée.
Un troisième type arrive enfin et nous taillons gentiment une bavette tandis que mon épouse me regarde de l'autre côté du carrefour en semblant s'impatienter. La pauvrette n'ose venir me chercher car elle comprend qu'on ne dérange pas des hommes en train de parler de belle mécanique. Alors, je papote deux trois minutes avec mes nouveaux amis. On se quitte enfin, chacun allant vaquer à ses occupations en se persuadant que c'est chouette d'être un homme parce qu'un homme ça peut tomber à tout moment dans la geekitude même face à une modeste Visa.
C'est pour cela, je pense, que le nombre de Nobels masculins est écrasant par rapport à ceux remportés par des femmes. Parce qu'un homme ne lâche jamais l'affaire et qu'une fois qu'il se passionne pour un truc, il est comme un gosse face à ses légos, il oublie le temps en étant capable de rester concentré des heures là où une femme plus pragmatique se dit qu'elle a des choses plus importantes à faire que ces conneries. Mauvaise pioche mesdames !
Je rejoins enfin mon épouse qui me dit que j'aurais pu me dépêcher plutôt que de tailleur le bout de gras avec des inconnus. Je tente de lui expliquer qu'avec ma Visa, je me fais chaque fois plein de nouveaux amis mais elle s'en fout un peu. Elle a des qualités mais je crois qu'elle se fout de ma Visa. D'ailleurs, elle trouve qu'on s'enfonce trop dans le siège passager, c'est vous dire si elle ne comprend rien et n'a que mépris pour le légendaire confort Citroën !
Je m'en fous parce que j'ai une femme qui ne comprend rien à la voiture mais une voiture qui me comble ! Parce qu'avec ma Visa, je me fais des tas d'amis !
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