Non, je ne suis pas une poubelle !
Woow, ce titre qui claque, ça a déjà des relents zoliens ! Ca sent le type qui à l'instar de cet écrivain, se cabre, se campe sur ses petites papattes, et la plume à la main, les lorgnons ajusté sur son tarin, va carrément dénoncer tout un tas de trucs dont il a marre !
Mais effectivement, j'en ai marre d'être considéré parfois comme la poubelle des médecins, comme si mon cabinet était forcément la zone d'échouage pour tous les cas étranges et non diagnostiqués. C'est chaque année que je vois débarquer des gens à qui un médecin fort bien intentionné à filé mon adresse en leur disant que "c'est sans doute psy et que le monsieur c'est justement mon métier".
Généralement, ce sont des femmes que l'on m'envoie parce que c'est bien connu qu'une femme qui se plaint de quelque chose que l'on ne parvient pas à diagnostiquer est forcément une grande hystérique qui simule. Quel que soit leur âge, ils ont tous en tête les leçons du grand Jean-Martin Charcot qui se fit fort de trouver une cause à ce que la médecine ne parvenait pas à diagnostiquer à l'époque : l'hystérie. Chacun d'eux doit avoir présente à l'esprit l'oeuvre d'André Brouillet, Une leçon à la Salpêtrière, dans laquelle on voit le grand Jean-Martin face à sa patiente et sans doute "complice malgré elle" Blanche Wittmann et face à tous ses potes comme le serait David Copperfield face à l'assistance médusée des spectateurs !
Alors depuis, bien que Charcot eut été neurologue d'ailleurs, on pense que la "psys" en général a quelque chose d'un peu magique. Et que le psy, si tant est qu'il soit doué d'une sorte de don de seconde vue, comme le sont tous les grands enquêteurs, a les moyens techniques de voir tout un tas de conflits intrapsychiques chez les patients alors que ceux-ci, idiots qu'ils sont, ne s'en doutent même pas ! Ça a même donné des films comme par exemple La maison du docteur Edwardes de Hitchcock, dans lequel une brillante psychanalyste associée à l'expertise de son vieux maître à l'accent allemand prononcé, parvient à soigner un pauvre type qui avait oublié la mort de son frère. en plus les scènes oniriques ont été dessinée par Dali en eprsonne alors autant vous dire que la psy a de fait bien plus de gueule que la pauvre médecine avec ses prises de sang et ses sanies.
Ça s’appelle le déni et ça explique pas mal de chose, surtout quand on n'a pas envie de chercher. Et puis le déni a aussi l'immense mérite de couvrir pudiquement l'incompétence de certains praticiens ou bien la fainéantise d'autres qui tant qu'ils n'ont pas un truc bien classique en face d'eux avec des symptômes standards, n'ont aucune envie de se casser le cul à chercher de quoi il s'agirait.
Cette année, c'est une femme d'une soixantaine d'années qui m'a été envoyée par un neurologue. Le type est une sommité et je ne savais même pas qu'il me connaissait. Si vous voulez, lui c'est le soleil et moi je suis un cloporte dans le système de soin alors je ne pensais pas que nos trajectoires se croiseraient un jour. Bien sur, l'immense praticien ne s'est pas donné la peine de me faire un petit mot ou même de m'appeler. Non, il a donné mon nom à la patiente en lui disant que c'était de mon ressort. Bref, elle a été déposée comme on attacherait un clébard à une rambarde d'autoroute un jour de départ en vacances : elle commençait à faire chier le grand homme avec ses putains de symptômes !
La patiente se plaint de chutes inopinées. D'abord en avant puis en arrière, la fréquence de ces chutes a augmenté année après année sans que l'on sache pourquoi. Il a fait tous les tests possibles et inimaginables sur elles. Prises de sang, scanner, IRM, rien ne lui a été épargné ! Et comme rien n'a été trouvé, plutôt que de se dire que soit il avait mal cherché ou bien que le problème pourrit avoir une autre cause que neurologique, le grand homme a balancé sa patiente à un psychiatre chez qui elle a consulté deux ans et fait d'autres tas de trucs comme de la remédiation neurocognitive. Bref, le psychiatre lassé de l’absence de résultats a renvoyé la patiente chez le neurologue. Et là, le grand homme en désespoir de cause l'a ensuite renvoyé lui aussi vers moi, l'épaviste qui saurait bien faire quelque chose de cette brave dame. Parce que selon lui, ces chutes seraient sans doute dues à "la réactualisation de phobies passées".
Alors, à défaut de s'en remettre à monsieur le curé qui aurait pu faire dire une messe voire tenter un exorcisme, on s'en remet au psy dont on ne connait pas vraiment la discipline. On pense que comme il "guérit par la parole", il pourrait sortir tel un magicien de son chapeau, deux ou trois tours de passe-passe permettant de traiter la patiente.
Comme le grand homme avait assuré que c'était assurément psychologique, j'ai reçu la brave dame, laquelle s'est révélée charmante et d'une culture extrême. Ses chutes sont tellement courantes que je vais la voir à domicile depuis notre seconde séance, j'ai trop peur qu'elle se tue dans mes escaliers. Elle est très sympa, elle m'offre le café et elle est aussi fumeuse. Au bout de trois ou quatre séances, ayant laissé "tourner mon radar", je lui ai dit que je ne pensais pas que ses troubles soient de mon ressort.
La pauvre qui pensait trouver chez moi une issue à ses problèmes fut très déconvenue. Je l'ai rassurée en lui disant que je ne la laisserais pas tomber mais qu'il ne fallait pas qu'elle espère que par un coup de baguette magique, je puisse traiter ses problèmes de chute. Surtout qu'elle en a fait une devant moi. Elle marchait pliée sur son déambulateur et d'un coup, d'un seul, je l'ai vue sursauter et retomber en arrière. Si c'était simulé, elle mérite vraiment l'Oscar ! En plus, elle s'est fait mal parce que sa tête a congé contre le carrelage de son salon, ça a fait un blong et j'ai même eu peur !
Je l'ai aidée à se relever et elle n'avait rien du tout. J'en ai déduit qu'elle avait la tête dure tout en lui précisant que si elle avait des symptômes bizarres par la suite, il fallait qu'elle appelle immédiatement le 15, au cas où elle aurait eu un traumatisme crânien. Non, tout allait bien, plus de peur que de mal et puis, elle est habituée comme elle me dit puisque ces chutes sont quotidiennes et en constante progression.
Comme elle et moi, on s'entend bien, on a longuement parlé et je lui ai confié ce que je pensais. Je lui ai dit que pour que ses chutes soit un symptômes psychologique, il faudrait qu'elle soit hystérique, souffre d'un trouble somatoforme, ou encore qu'elle soit un beau spécimen de trouble de Münchhausen.
Le premier cas me semblait exclu parce qu'elle n'a aucun symptôme d'hystérie. Certes dans le passé elle a pu être très angoissée mais je reste persuadé que si elle n'avait pas donné dans la psychanalyse, comme tous les intellos de son époque et de son âge, son cas aurait été traité rapidement. Elle a même consulté Lacan quand elle était jeune, c'est vous dire si elle était férue d'analyse !
Le trouble somatoforme est aussi à exclure parce que c'est une intello issue de la grande bourgeoise parisienne et que ce n'est pas dans ce terreau que poussent les gens atteints de tels troubles. Généralement, on les retrouve plutôt dans les provinces profondes au sein de familles dans lesquelles l'expression émotionnelle est réprimée ; alors à défaut de communiquer, c'est le corps qui parle.
Si elle était atteinte d'un syndrome de Münchhausen, je ne le saurais pas vu que ces patients sont des menteurs qui simulent leur pathologie. On appelle même leurs maladies des pathomimies ! Donc, à moins de coller une webcam dans son appartement, je n'ai aucune moyen de le savoir. Sauf que les gens atteints d'un syndrome de Münchhausen, ont une apparence comportementale faite d'agressivité et de quérulence ce qui n'est pas le cas de ma patiente qui est ouverte et stoïque.
Et puis, au delà de tout cela, il y ale fait que ses chutes ne lui ont pas apporté le moindre bénéfice secondaire bien au contraire. Elle ne sort presque plus et s'isole de jour en jour. Ce qui risque de naitre, c'est une vraie grosse dépression anxieuse du fait qu'elle soit isolée et qu'elle angoisse à l'idée que personne ne comprenne ce qu'elle a.
Alors j'ai pris mon bâton de pèlerin et je me suis mis en marche. J'ai convoqué le ban et l'arrière ban de tous les médecins un peu malins que je pouvais connaitre pour leur parler ce cas. elle aura vu successivement deux neurologues, un rhumatologue et je ne sais qui d'autre encore. Aucun d'eux n'a trouvé sans pour autant admettre la moindre cause psychologique à ces curieuses chutes. Ils ne savent pas, c'est tout.
Quant à moi, à défaut de traiter ces problèmes de chutes, je suis juste cette patiente afin de lui procurer un soutien psychologique. C'est idiot mais cela lui fait du bien que quelqu'un la croie ! Je dois être l'un des seuls. Parmi une assemblée de médecins suspicieux qui voient tous en elle une terrible manipulatrice, je suis le seul à la croire. Il faut dire que je suis le seul à bien la connaitre !
Du moins j'étais le seul, parce qu'en désespoir de cause, dans ma quête d'autres avis, j'ai contacté l'ancien généraliste de ma patiente. C'est un jeune type aimable qui a été de mon avis. Il connait bien cette patiente qu'il a suivi durant plusieurs années avant qu'elle ne déménage. Et il est aussi formel que moi, selon lui, ce n'est pas psy, c'est sans doute une maladie orpheline. Alléluia !
Et puis, comme il n'a pas encore quarante ans et est assez jeune pour se souvenir de ses études, il m'explique qu'il se rappelle que la diagnostique psychologique est un diagnostique d'exclusion, quand on a fait le tour de toutes les autres explications possibles ! Dans tous les cas, il est ok pour faire admettre notre patiente dans un service de médecine interne, l'endroit où normalement des as du diagnostique vont se pencher sur son cas. Il rédige le courrier de demande d'admission en précisant bien que l'aspect psy a déjà été envisagé et non retenu !
Elle y a été admise la semaine passée et elle s'en félicitait. Moi aussi d'ailleurs. Mais le lendemain, voici qu'elle m'appelle découragée en m'expliquant que les premiers internes qu'elle ait vus lui ont parlé de causes psychologiques ce qui a motivé en premier lieu la consultation avec un psychiatre !
Alors je lui ai dit de tenir et surtout de bien leur dire, voire leur asséner, que ce n'est pas parce qu'elle est une femme, d'une certain âge et littéraire de surcroit qu'il faut envisager la cause psychologique.
C'est tellement facile le diagnostique psy ! On raconte de belles histoires qui expliquent tout, c'est de l'écriture de scénario, un peu comme si méconnaissant la myopie d'une personne on lui sortait que c'est pour ne pas voir sa mère qu'elle a développé un trouble de la vision ! On est en plein roman de SF dans un monde dans lequel on peut tout imaginer puisque les mots se prêtent à l'édification de n'importe quelle thèse. Les gens peuvent voler, vivre mille ans, aller sur d'autres planètes dans d'autres galaxies !
C'est un peu comme ces idiots qui apprenant que dans tel ou tel coin du monde on vit plus vieux que partout ailleurs et qui se précipitent sur les facteurs environnementaux en faisant abstraction du reste. Alors, ils vous sortent que c'est à cause de l'eau pure, de la consommation de poisson et d'huile d'olive et de l'absence de stress et de pollution. Ces débiles réécrivent l'image d'une sorte d'éden, de paradis perdu, en imaginant que si l'on revenait à des choses plus simples on vivrait tous centenaires ! Et puis, un jour, un type un peu plus malin et mieux formé qu'eux, s'aperçoit que dans ce fameux coin reculé où tout le monde vit centenaire, il y a une telle endogamie que chaque individu a sélectionné une mutation génétique qui lui permet d'éviter telle ou telle pathologie et qu'il pourrait bien bouffer du Mc Do tous les jours qu'ils seraient centenaires tout de même. Mais bon la thèse génétique est tellement moins glamour que celle dans laquelle nous serions responsables de notre destin.
Quant la science bute et se heurte a ce qu'elle ne connait pas, les praticiens ont beau jeu de ressortir les bonnes vieilles croyances magiques. Mais moi, je ne suis pas leur poubelle !
2 Comments:
En fait la dame a avalé un pendule de Foucault et quand la terre tremble au Japon, ça se répercute jusqu'en son tréfonds et hop : elle choit raide net.
je pense que la sommité doit lire votre blog et fort de vos affirmations récurrentes, il l'a envoyé vers vous, sachant que vous ne la laisseriez pas tomber (comme vous l'écrivez :-) ) ce qui dans le cas présent, était parfaitement approprié.
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