07 octobre, 2013

Actes de colloques !


En voilà un titre ronflant qui annonce du lourd, du bel article roboratif, de ceux dont vous vous direz, je n'ai pas perdu mon temps en le lisant. En fait non, vous n'apprendrez rien mais si j'ai pu vous distraire, ce sera déjà ça.

Vous savez déjà que comme un prolétaire moyen je prends le RER matin et soi, le B pour être précis. Car pour les provinciaux qui me lisent, il y a plusieurs lignes de RER, A,B, C, D, E et encore je ne parle pas des ramifications au sein même de chacune d'entre elles. Imaginez donc la tête du pécore moyen arrivé de son trou à la capitale face à un plan de la RATP ! Je m'étonne qu'il n'y ait pas plus d'évanouissements aux Halles !

Mais bon, la RATP on s'en fout. Il se trouve que la plupart du temps, je lis parce que j'adore lire. J'envoie aussi des SMS comme un gros ado attardé ! Et puis, comme j'ai un côté papillon, parfois je suis distrait, notamment quand je vois quelqu'un absorbé dans une lecture. Et comme je suis curieux (comme une vieille chatte), j'aime bien savoir ce qui retient ainsi l'attention du quidam assis à côté ou en face de moi.

Quand il s'agit d'un simple livre, à vrai dire je m'en fous parce que les gens peuvent bien lire ce qu'ils veulent. Mais quand ils 'agit d'un gros dossier relié par une spirale en plastique, alors là, ça me passionne. Parce qu'en général il s'agit toujours d'une prose professionnelle et que j'adore savoir ce qui peut bien amener un quidam à consacrer encore à son employeur son temps de transport.

Il s'agit, je l'ai constaté, la plupart du temps d'une prose absconse dont j'adore connaitre le titre. Par exemple une fois, j'ai vu le type assis à côté de moi s'absorber dans un truc dont le titre était "Phases conclusives aux opérations expertales" ! Véridique ! Le document devait être un document anglais directement traduit par Google ou alors le fruit des réflexions d'un quelconque cabinet de conseil en stratégie dans lequel un consultant avait du indexer directement ses honoraires en fonction du nombre de néologisme franglais employés !

Jeudi, c'était une quinquagénaire bien avancée quoique plutôt bien mise et moderne qui lisait un document. Semblant terriblement absorbée, le sourcil froncé, les lunettes pour presbyte retenues à une petite chaine, elle dévorait un gros pavé dactylographié relié par une spirale noire ! Et tandis qu'elle le posait à côté d'elle, sans dout ele temps pour elle de se pénétrer de toute la substance de ce qu'elle venait de lire, j'ai vu que le titre était Actes du colloque, ledit colloque étant consacré à je ne sais quelle problématique de je ne sais quelle structure parapublique de je ne sais quelle ville dont je me fous totalement.

De toute manière, il était trop tard, j'avais lu ce mot magique : Actes du colloque. Et cela me suffit pour me replonger avec délice dans un passé datant d'une vingtaine d'années tandis que je grenouillais moi aussi dans le secteur public.

A cette époque, j'étais juriste en droit immobilier et mon job consistait à faire des montages juridiques et financiers pour créer du HLM. Bref, je faisais de la promotion mais au lieu de bosser pour un des ténors du secteur qui font du bâtiment faussement luxueux avec du parement en pierre de taille agrafée, moi je faisais du foyer logement destiné aux damnés de la terre. A cette époque, j'ai logé tout le monde, du toxicomane aux femmes battues, en passant par les ex prostituées ou les travailleurs migrants.

Ceci étant dit, je ne cracherai pas dans la soupe, car n'eussent-été tous ces socialistes que je devais fréquenter à longueur de temps, ces gens qui ont décrété devoir faire le bonheur des autres, le travail n'était pas inintéressant, loin de là. Par ailleurs le financement HLM est autrement plus complexe et politique que la promotion privée. Et encore aujourd'hui, je me gausse, du haut de mes cinquante-et-une opérations de ces collègues qui se vantent de leurs minables ensembles résidentiels. Car croyez moi, vendre à un élu RPR un foyer pour anciens taulards en lui demandant en plus des subventions n'est pas toujours facile. Mais je m'y entendais bien pour le faire.

Le service dans lequel j'exerçais mon activité était réduit au minimum. Il y avait un responsable qui avait sans doute été recruté en fonction de ses accointances philosophiques et politiques bien plus que techniques, mon assistante et une secrétaire. Le responsable que j'appelais familièrement chef était exactement âgé de dix ans de plus que moi. Sa carrière se résumait à un doctorat d'ethnologie et j'avais cru comprendre qu'il avait donné des cours à des éducateurs spécialisés avant de débarquer chez nous. Il ne connaissait rien au droit pas plus qu'au financement.

Mais fort de son appétence pour le social et les pauvres en général, il se targuait d'être le spécialiste du sujet. Son truc c'était le social, moyen par lequel il tentait de résoudre un conflit avec un père général. Né et éduqué à Neuilly/Seine, il n'avait aucune crédibilité en ce domaine si ce n'était son désir de faire oublier qu'il était né trop nanti. Afin de se prouver leur valeur, certains virent à la délinquance, lui avait tourné au social.

En plus de son incompétence crasse, ce crétin était doté d'un orgueil incommensurable qui l'amenait à me parler comme un jeune maître parlerait à valet de chambre, une sorte de familiarité nimbée de distance. Et comme je n'aimais pas cela, régulièrement je lui faisais des crasses énormes et notamment quand il devait rencontrer nos supérieurs.

Je lui transmettais ainsi des chiffres faux ou des rapports tronqués qui le rendaient totalement ridicule. Il revenait alors dans nos bureaux ivre de rage ce qui m'amusait beaucoup dans la mesure où pesant à peine soixante kilos et n'ayant aucun pouvoir de sanction sur moi, il ne m'impressionnait pas beaucoup. Je le laissais alors parler et j'adorais cette manière courtoise et se voulant très ferme qu'il avait de me faire la leçon. Le pauvre se croyait presque dans un centre éducatif ouvert en train de faire la leçon à un jeune délinquant.

Généralement, je ne levais pas la tête du travail que je faisais ou faisais semblant de faire me contentant de lui dire "ok". Il prenait alors la porte en m'assénant "et que je n'aie plus à te le redire" qui me faisait sourire. Lui et moi on s'amusait bien. Je lui faisais payer ma frustration de ne pas être chef à sa place et lui tentait de me manager comme dans les livres qu'il avait lus. Manque de pot, dans un métier aussi technique que le notre, le pouvoir venait du savoir et je ne me privais pas de lui rappeler sans cesse. Mais comme je faisais plutôt bien mon boulot, j'avais l'appui de notre directeur et je ne risquais rien.

Voyant que la gestion du service n'était pas vraiment gagnée, il avait eu à cœur de développer une sorte d'activité dans laquelle il aurait été compétent. Me laissant gérer les opérations immobilières, essentiellement de la maitrise d'ouvrage déléguée, il s'arrogeait ce qu'il estimait être l'aspect intellectuel de notre métier : les colloques, assises et autres congrès. Généralement, il s'agissait de réunir tous ceux qui vivent de la misère des autres pour en parler.

Ces raouts étaient généralement fréquentés par des vieux en costumes de velours, des vieilles à cheveux rouges et des jeunes chevelus. Il s'agissait généralement d'écouter des intervenants présentés par un modérateur, parler de choses et autres ! Qu'il s'agisse de ceux qui intervenaient ou de ceux qui les écoutaient, tous étaient payés sur fond public bien entendu. Et si j'étais mauvaise langue je dirais que c'était une manière bien adroite de bosser encore moins qu'ils ne bossaient habituellement. Le prétexte bidon du colloque était pour eux ce qu'est le réveil qui n'a pas sonné ou le retard de métro pour l'élève peu appliqué, le moyen de tirer au flan !

Ayant trouvé sa voie, écouter des gens pérorer sans avancer concrètement, mon petit chef revenait chaque semaine avec une pile de ces dossiers photocopiés et reliés d'une belle spirale noire. Il y en avait des petits, des moyens et des gros mais généralement plutôt des gros car il semblait que dans ces augustes assemblées, moins ils avaient de choses intéressantes à dire, plus ils en racontaient. Il prenait alors très à cœur l'étude de ces précieux documents.

Une partie de la journée de mon petit chef se passait alors à lire ces fameux Actes de colloque auquel il avait assisté. Et quand j'entrais dans son bureau, je le voyais assis, fumant cigarette sur cigarette et plongé, la tête dans les mains dans sa lecture. Parfois, se souvenant que j'avais aussi un cerveau, il daignait me faire part des réflexions hautement intellectuelles qu'il venait de lire. Je n'étais plus alors le juriste, pour lui à peine mieux que le maçon qui empilait les parpaings de nos immeubles, mais un être humain normal ayant gagné le droit de réfléchir enfin.

Et il prenait alors parfois la peine de retourner le document qu'il était en train de consulter vers moi en me demandant de lire tel ou tel paragraphe. C'était un peu sa manière de me séduire, de vouloir coopérer avec moi, comme s'il avait eu le souci de me prouver que lui aussi travaillait et participait à notre activité mais d'une autre manière que la mienne. Parfois, il me lisait quelques lignes et on aurait dit qu'il suçait les mots, s'en délectant avec des mines et des affèteries digne d'un vieux pédéraste. Selon l'envie que j'avais de lui faire plaisir ou bien de le gifler, je lisais avant de lui dire que c'était intéressant ou bien que cela n'avait ni queue ni tête et que moi j'avais un vrai métier, faire des logements, et pas de temps à perdre avec tout cela. Je crois que le pauvre avait une telle tête de victime que j'en devenais sadique !

Le plus drôle c'était les titres desdits documents. Qu'il s'agisse de "Transversalité et migration dans l'espace socioéconomique urbain", "Autonomie et citoyenneté de l'apprenant en échec", "Engagement en faveur de publics fragilisés dans le cadre d'une gouvernance modérée", "Objectifs dans le cadre d'un partenariat social régulé, mythe ou réalité ?" ou encore "Impact de la régulation sociale dans les structures ouvertes communales" (j'exagère à peine), tous avaient des titres alambiqués que l'on avait du mal à saisir de prime abord.

 C'était de la pure langue de bois et même si je la maitrisais plutôt bien afin de l'utiliser pour les rapports que je devais rendre afin d'obtenir mes subventions, je ne l'appréciais pas au point d'en ingérer des pavé de trois-cents pages. C'était un salmigondis indigeste de notions abstraites et inopérantes destiné à des gens n'ayant pas vraiment de métier ou en ayant parfois un mais désirant le rendre intellectuellement plus attractif aux yeux des profanes en s'inventant un jargon farfelu. Ces pavés indigestes étaient autant de mains tendues vers autrui, de cris réclamant de la reconnaissance. Dites-nous que nous sommes intelligents semblaient clamer toutes ces pages noircies de concepts fumeux. C'était de purs produits de pauvres gens sans compétences déterminées ayant décidé une fois pour toutes de vivre dans un film dans lequel ils existaient enfin.

C'est toute cette époque que cette brave dame et ses Actes du colloque m'a fait revivre. Le RER fait aussi voyager dans le temps. Quant à ce pauvre Marc, vingt-trois ans étant passés depuis, qu'il sache que je m'en veux d'avoir été aussi vilain avec lui.

Les années ayant passé, je doois admettre d'une part que les jeunes sont cruels et malheureusement le secteur public n'a pas l'apanage de ces colloques idiots et stériles !

3 Comments:

Blogger El Gringo said...

I live near Paris, France, and we have five RER: the A, the B, the C, the D and the E. I live near the B...

8/10/13 10:00 AM  
Blogger Unknown said...


Bonjour,

"Mapitre" ??

(...me parler comme un jeune mapitre parlerait à valet de chambre.. )

Amusant comment une faute de frappe permet d'inventer un mot qui correspond au personnage.

11/10/13 11:00 AM  
Blogger philippe psy said...

Corrigé Maître :)
Ça me fait toujours ça l'accent circonflexe !

12/10/13 4:31 AM  

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