Mysticisme !
La conversion de Saint Paul (Rubens)
Un peu avant Noël, je reçois un SMS passablement inquiétant d'un de mes chers patients. C'est fou ce qu'en cinq petites lignes, on peut communiquer. Bref, j'apprends que d'un coup, d'un seul, grâce à des lectures récentes, ce cher patient a fait des prises de conscience incroyables. Qu'à cela ne tienne, cela m'est arrivé aussi de lire un livre et de le reposer en pensant que dorénavant je serais moins con. De là à dire que j'aurais vu la Vierge, il y a un pas et si je ne doute pas qu'il puisse y avoir de grandes extases mystiques, je pense que le fil est ténu entre celles qui sont sincères et le vrai pétage de plombs.
En revanche, le ton qui s'en dégage, l'outrance des émotions ressenties et la tonalité logorrhéique dudit SMS m’inquiètent quelque peu. Certes je sais qu'en ces jours de fête, ce patient sera entouré et qu'il ne risque rien mais je doute un peu de la qualité de l'entourage prompt à voir dans toute manifestation émotionnelle un peu dérangeante, l'irruption de la pathologie mentale. C'est un patient que j'ai souvent défendu bec et ongles contre des diagnostics de troubles bipolaires ou encore de schizophrénie qui me semblaient totalement farfelus.
Je laisse passer Noël tout en songeant à ce patient. Ce qui prouve que je mérite mes honoraires puisque je ne facture que le prix de la séance alors que je ne cesse de penser à mes chers patients même lorsqu'ils ne sont pas en face de moi. J'envisage donc d'attendre le vingt-six pour me manifester et prendre des nouvelles de ce patient.
Je n'ai pas besoin de le faire puisqu'il m'appelle de lui-même pour me raconter ce qu'il a ressenti plutôt que vu. Effectivement, on est proche de l'extase mystique. Bien sur psychologiquement, cela peut se comprendre puisque ce jeune patient éduqué dans un milieu appartenant à la gauche bobo me semblait bien trop intelligent pour croire longtemps aux fadaises socialistes qu'on lui avait enseignées. De lectures philosophiques en lectures politiques, il était à prévoir qu'un jour ou l'autre, comme cela arriva à Saül de Tarse qui allait devenir Saint-Paul, il était sur son chemin de Damas et tôt ou tard, les écailles lui tomberaient des yeux.
Toutefois, si je n'ai rien contre les vérités que l'on se prend dans la face comme un direct asséné par Mike Tyson himself, parce que cela arrive parfois, je parviens mieux à comprendre la colère ou la honte par rapport au sentiment de s'être fait berner jusqu'à présent ou bien la joie d'avoir trouvé le droit chemin que cet état quasi maniaque dans lequel je je soupçonnais mon patient de patauger.
Mes connaissances en psychopathologie m'auraient conduit à songer qu'il avait pu faire une bouffée délirante aigüe augurant éventuellement une schizophrénie ou encore une crise maniaque établissant sans conteste le diagnostic de trouble bipolaire. Voilà un peu ce que j'aurais imaginé très prosaïquement si je n'avais pas bien connu ce patient. Or je le connais parfaitement bien, peut être même mieux que ses propres parents.
C'est ainsi qu'une minute après qu'il m'ait appelé et qu'on ait échangé quelques banalités, je lui avoue que son SMS m'a mis un peu inquiété et il convient qu'il n'était pas dans un moment très clair. Et donc, dans un second temps comme je connais bien l'animal, je lui demande juste ce qu'il a pris. Et là, comme il est honnête et qu'il sait que je ne lui ferais pas de leçon de morale, il m'avoue qu'ayant été à une fête, il aurait bu dans un verre qui n'était pas le sien et dans lequel aurait pu se trouver des résidus de drogue.
Voilà une excellente explication qui me satisfait complètement et qui permet de départager la ligne entre le fait psychologique et le fait somatique. Les révélations que lui ont amenées ses lectures sont réelles mais toutefois, l'impact de ses lectures a juste été augmenté par la consommation, volontaire ou involontaire, on s'en moque, d'un produit stupéfiant quelconque. Le pauvre bonhomme fait quelques dizaines d'années plus tard les mêmes expérimentations que Timotyy Leary quand il menait ses expériences avec le LSD.
Je lui dis alors qu'il est certainement simplement perché et qu'il ne faut pas dramatiser mais qu'il doit contacter son médecin de toute urgence afin de ne pas rester dans son bad trip. Comme il me l'explique, il est conscient que les choses tournent un peu trop vite mais il tient bien la rampe. Et il me le prouve en m'expliquant qu'il vient justement d'appeler son médecin qui lui a donné des consignes claires pour redescendre sagement. J'ai beau déteste dédramatiser, il ne faut jamais prendre à la légère ce genre d'événements.
Même si on sent une certaine labilité émotionnelle, je le trouve plutôt clair et en forme et il a totalement conscience de ce qu'il a vécu. Il n'y a aucune rupture avec le réel et je ne suis pou le moment pas très inquiet. A toutes fins utiles, mais je me doute que son médecin lui a déjà dit, je l'enjoins de filer vite aux urgences psychiatriques si son état se maintient. Connaissant un peu les pratiques psychiatriques, je lui conseille de parler immédiatement de la prise de drogue plutôt que de taire les faits et de laisser des psychiatres peut-être peu imaginatifs poser immédiatement un hypothétique diagnostic de schizophrénie ou de crise maniaque qui lui vaudrait un internement.
Manifestement, la prise de benzodiazépines prescrite pas son médecin suffit à le faire redescendre doucement sur terre et deux jours après, prenant de ses nouvelles par téléphone, c'est d'une voix claire qu'il me parle des événements en m'expliquant que cette fois-ci, la came, fut-ce du simple shit, c'est vraiment terminé.
La morale de cette histoire ?
Face à un délire mystique, pensez plutôt à la prise de drogue, voire à une intoxication quelconque, comme dans la célèbre affaire du pain maudit, plutôt qu’immédiatement à une pathologie grave. Enfin, souvenons que malgré tus les messages lénifiants de notre état bien-aimé, pour arrêter la drogue, la clope ou l'alcool, il faut toucher toucher ses limites et se faire peur. Sinon, à toutes fins utiles, voici un lien intéressant.
3 Comments:
entre un mystique sous ecsta et un angoissé sous solupred...
a quand de vrais pathologies ??? :-)
bizes
Sans doute qu'elles restent très rares ?
j'avais lu "sans doute qu'elles restent très tard", puis "sans doute qu'elles restent très tares" !
:-)
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