09 mars, 2014

Monarchiste (à la petite semaine) !


C'est en lisant le blog de mon jeune confrère l'ingénieur chamane que ces réminiscences sont apparues. Il parlait de monarchie et j'ai soudain eu le souvenir fugace et charmant d'une mienne aventure que je vais aussitôt vous narrer.

L'ingénieur chamane n'était encore qu'un enfançon tout juste sevré, que moi, votre serviteur, je travaillais dur dans la grande administration française. Des journées éprouvantes mobilisaient toute mon énergie entre onze heures et quinze heures trente. Toutefois, il n'était pas si rare que je quittasse le bureau tardivement à seize heures, fourbu mais avec la conscience du devoir accompli. Zoé Sheppard avec son roman Aboslument débordée semble avoir bien plus travaillé que moi malgré ce qu'elle en dit.

Il faut dire qu'environné de branleurs assez incroyables, je n'étais pas, et c'est une évidence, plongé dans un environnement propice aux exploits ni vraiment stimulé intellectuellement. Cependant, et je ne sais toujours pas si je le dois à ma grande intelligence, ou au fait que j'aie tout de même eu conscience que j'étais payé à faire quelque chose plutôt qu'à me tourner complètement les pouces, je dois avouer que ma conscience professionnelle n'a jamais été prise en défaut. 

Je fus un monteur d'opérations chevronné, un artiste de la promotion, un roi du tour de table, un illusionniste de la subvention et je dois l'avouer un type madré, doté du talent consistant à déléguer le plus ingrat de sa tâche à des subordonnés obscurs et consciencieux. Ceci dit aujourd'hui encore, lorsque je passe près d'un HLM que j'ai bâti ou bien rénové, je ne peux m'empêcher de ressentir une légitime fierté.

Je naviguais ainsi durant quelques années en dilettante assez bien payé, du moins au taux horaire compte tenu du travail fourni. Et s'il ne s'était agi que de la qualité de la vie, comptez sur moi, je serais aujourd'hui sous-préfet ou bien directeur d'une société de HLM. Hélas l'environnement professionnel m'était insupportable. Passe encore de fréquenter des branleurs, j'en suis parfois un, et ils existent dans tous les secteurs. Mais lorsque ceux-ci sont de surcroit des socialistes militants, ils deviennent de vrais fâcheux, des gens infréquentables.

Tout un chacun ayant fréquenté des gens de gauche, je parle des vrais et non des gauchistes au grand cœur un peu naïfs, sait qu'aux tréfonds de l'âme damnée de ces rouges se tapit forcément un inquisiteur ou un accusateur public. Et comme ils étaient dotés d'un flair performant pour traquer la déviance par rapport à la ligne du parti, leur sens aiguisés me désignèrent bientôt comme n'étant pas des leurs. Je ne venais pas travailler en pull, je me rasais le matin, je ne lisais pas Libé, autant de signes qui ne trompèrent pas ces fins limiers.

C'est alors qu'ils voulurent sonder mon esprit et voir ce qui se cachait en moi, quelles étaient mes idées, pour qui je votais, etc. De remarques fielleuses en manipulations perverses, ils m'encerclèrent tant et si bien que mes dénégations ne furent d'aucune utilité. J'étais dès lors désigné comme l’homme de droite ! Ils pensèrent sans doute que je militais au RPR, moi qui n'avais aucune activité politique si ce n'est d'écouter lorsque je rentrais du travail en voiture Radio Courtoisie, qui en cette époque où Internet n'existait pas me faisait l'effet d'un Radio Londres.

Mais mon travail étant bien fait, on ne put jamais rien me reprocher et ils se firent au fait que je n'étais pas vraiment des leurs. Ces immeubles, il fallait bien les réaliser et ce n'était pas ces anthropologues ou ethnologues de formation qui allaient s'en occuper. Ils déléguaient ces tâches vulgaires au juriste que j'étais à l'époque, se réservant le droit de réfléchir sur les pauvres.

Bien évidemment, j'étais quelque peu taquin et si je n'avais aucunement envie de passer pour un militant RPR que je n'étais pas, il m'amusait de leur envoyer de faux signaux afin de brouiller leur radar. C'est ainsi que je devais monarchiste sans jamais l'avouer et encore moins le clamer mais en le laissant deviner à quelques menus détails.

C'est ainsi que de temps à autre j'arborais une cravate fleurdelisée que ma hiérarchie remarquait évidemment. Et moi, de me récrier qu'on me faisait un faux procès pour uns simple cravate que j'avais choisie pour sa jolie combinaison de couleurs plutôt que pour sa symbolique. Je lisais aussi quelques livres qui ne me classaient pas vraiment à droite tout en me cataloguant évidemment comme un type curieux aux idées surannées. Et si l'on venait à me questionner, je répondais simplement que j'aimais lire, tout et n'importe quoi mais que mon seul amour était le droit.

De toute manière, mon bureau était tellement encombré de codes Dalloz ou Litec ou de Mémentos Francis Lefevbre que je donnais l'image d'un geek même si l'on ne connaissait pas encore ce mot à cette époque. Et si l'on venait à me poser une question tendancieuse, j'avais tôt fait de tout ramener au droit, promettant de me plonger dans mes grimoires afin de rendre le plus tôt possible une réponse définitive sur la question.

Une fois mon directeur s'était emporté. Ce jour là, il avait voulu me confier les grandes desseins qu'il avait pour les pauvres et m'avait choisi comme public. Je l'écoutais d'une oreille distraite et tandis qu'il s'attendait à ce que je m'esbaudisse de ses théories fumeuses, je m'étais contenté de lui dire que c'était illégal. Et là, il m'avait reproché de n'avoir que le droit à la bouche ! Je lui avais répondu que pour un juriste c'était assez normal.

C'est ainsi que juste pour les ennuyer, prétextant un problème quelconque mais sans leur avouer la raison évidente, j'avais prévenu que je ne serais pas là le matin du 21 janvier. C'était en 1993 et nous fêtions les deux cents ans du martyre de Louis XVI. Je m'étais alors rendu Place de la Concorde à la commémoration du bicentenaire. Peu avant j'étais allé chez Lachaume, le grand fleuriste de la Rue Royale afin d'y acquérir un Lys blanc. Puis comme mes petits camarades présents, j'avais jeté mon Lys sur la montagne de fleurs posée à l'endroit même où s'était élevé l’échafaud.

Je crois que même si mes convictions royalistes étaient assez tièdes, n'avoir jamais participé à un événement politique d'une telle intensité. Nous tous jeunes et fiers, nous tenant recueillis sur la place. La cérémonie était hors du temps et j'avais trouvé cela vraiment charmant. Moi qui adoré lorsque j'ai lu Le grand Meaulnes, j'avais retrouvé un peu de cette époque surannée que l'on ne voit plus que sur des photos sépias. C'était une vraie bouffée d'air pur que je prenais alors que nous vivions le second septennat de François Mitterrand.

J'étais alors rentré au bureau dans l'après-midi. Ils s'étaient douté de quelque chose mais je n'avais rien dit. J'avais aimé qu'ils aient deviné sans être pour autant surs que j'avais assisté à la commémoration. C'était du pur dandysme. J'étais jeune et je crois que si les blogs avaient existé à cette époque, j'aurais sans conteste appartenu à cette réacosphère dont on parle souvent. J'aurais moi aussi déploré l'époque dans laquelle nous vivions, appelant de mes vœux des changements me permettant de devenir le héros que je rêvais d'être.

Depuis cette époque, je crois être resté profondément monarchiste même si je ne me suis jamais appesanti sur la question. Certainement que j'aurais été légitimiste plutôt qu'Orléaniste si j'avais adhéré à une quelconque mouvement. Comme je n'aimais déjà pas les groupes, je ne m’engageai dans aucun parti ni groupuscule. Comme j'étais déjà aussi un peu anarchiste dans ma manière de penser, que j'avais déjà lu et adoré le Que-sais-je consacré à l'anarchie de droite, je me contentais de me dire que si je parvenais déjà à être seul maître après Dieu, ce serait une bonne chose.

Je flirtais à cette occasion avec tous les polémistes que je lus avidement et en profitais pour me faire une petite culture politique qui me servirait toute ma vie. Je savais dès lors que de toute manière, je ne serais jamais ni vraiment démocrate et encore moins républicain. Mon immense orgueil trouvait déjà étrange que ma voix puisse valoir celle du premier quidam venu et mon goût pour le faste trouvait que Versailles ou Notre-Dame étaient tout de même plus esthétiques qu'une MJC. Je crois malgré ces idées baroques et grandiloquentes être un brave type. De toute manière, je ne représenterai jamais aucun danger dans la mesure où mon pouvoir ne s'exerce que dans mon cabinet.

C'est ainsi que les très rares fois où je parle de mes minces convictions monarchistes, et que l'on me presse de savoir qui je verrais sur le trône de France, je me hâte de dire que je milite activement pour Philippe VII, c'est à dire moi, le règne des rois prénommés Philippe s'étant arrêté au sixième.

Je professe depuis une aversion totale pour la jalousie des gens de gauche ainsi que du dégoût pour la cupidité des gens de droite. Je rêve d'un monde empli de choses que je ne verrai jamais et cela me plait. J'aurais pu faire mienne la devise de la maison de Coucy en la trafiquant un peu : Roi ne puis, Prince ne daigne, Philippe suis. Je suis donc un monarchiste timoré, n'ayant jamais creusé le concept très profondément. Et pourtant, tout au fond de moi, même si cela peut sembler farfelu, je ne peux m'empêcher de songer que la mort de Louis XVI est la catastrophe qui a plongé la France dans le chaos. On n'assassine pas impunément un roi prêtre.

Ce 21 janvier 1993 reste donc l'acmé de mon engagement monarchiste mais je ne regrette pas de l'avoir vécu. Je garderai toujours un souvenir très ému de cette belle journée où nous et eux, les fameuses compagnies républicaines de sécurité qui nous surveillaient, étions si proches et pourtant tellement loin puisque séparés par deux siècles.

Pour les amateurs, le testament de Louis XVI est ici.

5 Comments:

Blogger chaton said...

Ah là là, déjà à l'époque, la menace de l'ultra-droite...

10/3/14 11:46 AM  
Blogger Orage said...

J'aime bien vos commentaires sarcastiques sur les gauchistes.

12/3/14 9:02 PM  
Blogger E-S said...

On peut ramener l'anarchie à une pléïade de monarchies d'une personne.

Quant à revenir au faste et à la solennité, il suffirait d'imposer un quota d'un bon tiers d'autruches au Sénat et au Parlement: l'élégance naturelle et le maintien asuré de ces grands animaux forcerait les autres à prendre exemple.

13/3/14 12:24 PM  
Blogger Unknown said...

je regrette de ne pas avoir étudié ce testament de Louis XVI en cours d'histoire ( A moins que je ne m'en souvienne plus car qu'à l'époque je m'en fichais peut-être!)mais plutot poignant...merci pour ce partage.

16/3/14 6:27 PM  
Blogger Youcef BOUCHAALA said...

Bonjour,

"Roi ne puis, Prince ne daigne.." c'est la devise des Rohan!

La devise d'Enguerrand de COUCY, selon google:

"Roi ne suis, ne prince, ne duc, ne comte aussi, je suis le sire de Coucy ».

Merci.

Y.B.

30/3/14 4:39 PM  

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