Tenir la barre et couler avec le navire !
Voici quelques temps, j'avais un jeune homme brillant qui me posait des questions sur son état mais surtout sur son avenir. Se définissant lui-même comme surdoué, ce qui n'était pas faux, il ressentait quelques difficultés d'adaptation. Je crois que j'aurais pu grandement lui être utile. Toutefois, comme je lui expliquais, il m'était impossible d'intervenir tant qu'il continuerait à autant travailler. Non qu'une thérapie réclame un temps considérable mais qu'il ne faille bien un peu pour songer à soi et à son avenir. Il était en effet à deux doigts du burn-out.
Je lui avais expliqué que réclamer mon aide, c'était un peu comme si l'on avait demandé à un chirurgien d'opérer un patient souffrant d'une grave infection ! D'abord on traite l'infection puis on pratique l'intervention. Mais rien n'y faisait. Quoique je puisse dire, son travail et l'assiduité qu'il y mettait était l'horizon de sa vie. Je crois qu'il n'avait même pas conscience que beaucoup des symptômes qu'il me demandait de traiter, n'étaient pas dus à sa personnalité mais simplement à la menace du burn-out dont les symptômes physiques et cognitifs se faisaient sentir.
Je l'avais même mis en garde en lui disant que cet état pouvait conduire au suicide. Que vouliez-vous que je fasse d'autre ? Le faire interner ? Cela n'aurait servi à rien. Un burn-out cela se vit jusqu'au bout si l'on veut en retirer quelque chose. Sinon autant dire à un héroïnomane de modérer ses appétences pour la came. Il n'y a pas de modération chez les gens excessifs, il n'y a que des limites à franchir nous rappelant à l'ordre. Et c'est vrai que ce fin juriste travaillait trop. Il avait calculé son salaire horaire et noté qu'il était payé moins de dix euros de l'heure.
Ce qui devait arriver arriva. Un soir, je ne saurais dire pourquoi, tout se lézarda et se fissura. Lancé à pleine vitesse sans se soucier des limites que lui imposait sa condition humaine, il parvint à son terme et implosa. Si l'histoire finit bien et s'il est encore en vie, c'est parce qu'étant âgé de moins de trente ans, il possédait encore des liens forts avec ses parents et qu'il eut la présence d'esprit de les appeler pour les avertir du désastre imminent.
Interné dans une maison de repos, comme on dit chez les gens bien, il passa trois semaines à faire de la peinture sur soie, du macramé et à se présenter à des séances de thérapie au cours desquelles une consœur rigide voulut à tout prix lui faire parler de sa mère alors que la pauvre femme n'avait vraiment rien à faire dans ce naufrage ! Puis, enfin conscient des limites qu'il avait allègrement franchies au péril de sa vie il revint me voir et donna sa démission de la société qui l'employait. Le reste est sans importance si ce n'est que l'on a pu enfin démarrer un "travail" qui lui sera profitable.
Encore plus récemment, c'est un cadre sup' d'une multinationale qui présente le même risque. Un type au CV impressionnant dont le "patron" est ravi car il a pu constater qu'il se connectait à l'intranet de l'entreprise dès six heures du matin et parfois à vingt-et-une heures le soir. Autant vous dire que c'est un bon soldat, une sorte de Lieutenant Onoda, un type qui poursuit la guerre alors même que ses supérieurs se sont déjà tous rendus depuis longtempset sirotent des cocktails au bord de la piscine.
Là encore, rien à dire. Tout ce que je peux émettre comme argument n'est pas entendu et se fracasse contre une psuedo logique constituée de "il faut" et je dois" formant une sorte de code de conduite rigide qui empêche mon cadre sup' de se rendre compte du ridicule de la situation. Semblant investi d'une mission, rien ne l'arrêtera et il tiendra son poste coûte que coûte.
Le coût parlons en parce que j'ai déjà évoqué les risques qu'il encourt. Outre les différents symptômes qu'il ressent déjà, s'apparentant à une sorte de dépression anxieuse, c'est surtout sa vie qui est en jeu. A moins, que la nature étant bien faite, il pète un jour un plomb et fasse un voyage pathologique. Il n'est en effet pas rare qu'un cadre sup' soudain saisi par l'inanité et la vacuité de sa vie ne monte dans sa BMW dans un état second pour échouer dans un hôtel impersonnel au fin fond d'une quelconque ZI pour y faire le bilan de sa vie en éclusant un mauvais whisky acheté au LIDL le plus proche.
Ca ce serait rattrapable. Le pire ce serait le raptus anxieux, ce moment terrible ou l'anxiété étant à son comble, on préfère se jeter par la fenêtre plutôt que de souffrir. Et là, je ne peux rien. La seule chose qu'il ait accepté, c'est de prendre des anti-dépresseurs et donc d'admettre qu'il n'allait pas si bien que cela. Mais il prend pour le moment des anti-dépresseurs non pour tenter de trouver une solution à un problème qu'il n'entrevoit pas mais pour tenir encore mieux dans cette situation inextricable dans laquelle il se fait totalement exploiter. En l'espèce, il s'agit de violence au travail et non plus de management.
Comme je n'aime pas parler pour ne rien dire et que manifestement il ne m'écoute pas, je durcis le ton. Récemment, je lui ai encore dit, au cas où il ne l'aurait pas entendu, qu'il finirait sans doute par se suicider. J'ai rajouté que je n'en supporterai pas la responsabilité ayant rempli mon obligation de moyens. Je ui ai dit que le pire c'est qu'étant seul dans la vie et ayant perdu tout soutien social, il n'y aurait personne pour se soucier de lui. Cette fois-ci cela a eu l'air de le marquer. Sans doute que l'image de lui-même mort sur le plancher de son appartement parisien, vilain cadavre en putréfaction dont seule l'odeur de décomposition alerterait les voisins a été assez choquante pour le décider à agir. On a conclu un contrat par lequel il s'engageait à faire quatre choses pour tenter de s'en sortir. Il a tenu sa parole. J'espère que cela suffira pour dévier sa route funeste.
Parce que dans les deux cas, c'est bien d'une route funeste dont il s'agit. Qu'il s'agisse du jeune ou du moins jeune, je les ai toujours imaginé sous les traits de commandants les mains sur barre dans la passerelle d'un paquebot lancé dans l’Atlantique nord vers un iceberg. Peu importe qu'ils saisissent que leur sort sera celui du Titanic, pour eux l'important n'est pas l'impact imminent mais le chemin qu'il leur faut parcourir jusque là, comme si le moindre retard sur le trajet avait plus d'importance que le sort funeste qui les attend. Effectivement tous ceux qui sont promis à un beau burn-out perdent la tête au point de ne plus se concentrer que sur des détails en oubliant l'essentiel. On leur a confié l'entretien d'une machine infernale qui ne peut que leur sauter à la figure. Ils le savent mais peu importe, ils rempliront leur mission.
J'ai dans tous les cas que j'ai eus de burn-out retrouvé deux facteurs. D'une part, ce sont des gens qui ont un véritable investissement social. Ils préféreront se sacrifier plutôt que d'imaginer que la moindre personne ait à souffrir de leur renoncement. Enfin, si l'on creuse leurs histoires personnelles, on constate souvent un père absent ou du moins assez froid. Ce qui les a souvent amené à réparer leur famille, qu'il sagisse de consoler "maman" ou encore de s'occuper de la fratrie. Programmés pour être des sauveteurs, ils le seront coûte que coûte même dans le monde de l'entreprise.
Tenant fermement la barre qui les conduit droit au désastre, ils n'ont pas conscience du danger qui menace. Et moi, arc bouté sur cette même barre, je tente de les faire changer de cap. Et je n'y parviens pas toujours. Parfois la collision est inévitable. Mais s'ils s'en sortent, au moins comprennent ils qu'un burn out n'est pas une invention de psy mais une vraie pathologie du travail !
3 Comments:
Cher Monsieur Philippe,
Réduction du défi, réduction des ressources morales nécessaires, plus besoin de se vouloir le champion du groupe
Si vous étiez payés quatre fois plus pour le même travail, accepteriez-vous de continuer au même rythme ?
Et si votre femme était belle, intelligente, attentive, généreuse, cordon bleu infatigable et amante hors pair, accepteriez-vous qu'elle vous traite comme elle le fait ?
Quand toute l'énergie est monopolisée pour soutenir le travail ou l'épouse exigeante, s'occuper de soi peut représenter la énième tache, la charge de trop, celle que l'on remet à plus tard, supposée pénible quand on ne dispose pas du mode d'emploi.
Atlas condamné à soutenir l'univers jusqu'à ce que quelqu'un veuille le remplacer, Atlas qui n'aurait jamais l'idée de s'assoir dessus pour se reposer, c'est déjà assez lourd comme ça, on ne va pas en rajouter !
Ceux qui ont déjà porté un univers vous le diront, la vache ! ça pèse son poids ce truc !
Voilà une âme qui perd tout, mais ne quitte pas la table, ne sachant même pas qu’on puisse le faire.
Chaton. Mémoires du Marais Tome IV. A paraitre chez Odile Jacob.
@Touffier : je conçois que des circonstances graves puissent exiger de l’héroïsme et un dépassement de soi. Mais mon bon Touffier, je ne vous parle pas de héros de la Grande guerre, ni de résistants de la seconde mais de simples salariés abusés par des systèmes pervers. Dans ce cas là, cela ne vaut pas qu'on y sacrifie sa vie. C'est un fait. Nul n'est irremplaçable.
En suivant le lien vers lequel pointaient les termes "voyage pathologique", je sus tombée sur un autre lien vers une page concernant le "syndrome du voyageur". Quelle ne fut pas ma stupeur d'apprendre qu'il existait un "syndrome de Paris", surtout chez les touristes Japonais. Ceux-ci, gavés du Paris d'Amélie Poulain, subissaient un choc traumatique en arrivant dans notre capitale, où ils ne retrouvaient pas la même délicatesse que dans le film, loin s'en faut.
Puis je suis tombée sur un autre lien pointant vers le "sentiment océanique", et là, j'ai reconnu ce sentiment mystique d'appartenir au grand Tout que je ressens parfois fugacement, et dont je me garde bien de parler à mon entourage, parce que je veux bien passer pour une dingue sujette occasionnellement à des crises de panique, mais il y a des limites, quand même.
Bon, et puis ce sentiment océanique n'a pas l'air d'être quelque chose de bien grave, après tout !
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