Homme de peu de foi !
Ride du lion !
L'année passée, et oui nous sommes déjà en 2017, un ancien patient m'a adressé un ami à lui ; un type dépressif, suivi depuis de longues années par différents psychiatres et sous traitement. Ce nouveau patient était sympa si ce n'est qu'il ne souriait jamais. C'est pourquoi je l'ai vite surnommé Buster Keaton, dont le surnom était justement : l'homme qui ne riait jamais.
Bien qu'on ait eu de bonnes relations dès le départ, durant les premiers temps, il ne m'a pas souri, pas une seule fois. J'avais le droit à son regard bleu fixé sur moi et sa seule expression était une ride du lion extrêmement prononcée. Je ne sais pas s'il réfléchissait à ce que je lui disais oui s'il était simplement en train de se demander si j'étais un type sérieux ou non.
Il faut dire que son sérieux extrême, sa volonté de tout analyser aussi bien que son incapacité à se laisser aller m'agaçaient au plus haut point. Alors j'avais décidé de le prendre à contre-pied en déconnant et en rigolant. De toute manière, dès le départ, je savais que sa dépression ne durerait pas et que j'en viendrai à bout. Ne me demandez pas pourquoi, moi-même je ne le sais pas. C'est comme ça, c'est intuitif. Même si j'ai toujours pensé que je n'avais pas d'intuition. Disons que c'était sensitif. Je sentais que cela se passerait bien alors il m'énervait avec ses afféteries d'intello et ses questionnements perpétuels.
Comme je n'aurais pas changé d'un iota ma manière de me comporter, c'est lui qui a du changé. Il a esquissé des sourires et à la fin on a fini par rigoler franchement. Ce qui m'a permis de lui dire que si son cas était si grave, il n'aurait pas pu rire comme il venait de le faire. On a vite fait de régler son premier problème qui était du à une rupture amoureuse à laquelle il ne comprenait rien.
Il s'était jsute fait michetonner par une hystérique. Lui y avait cru et elle non bien entendu. Il avait pensé avoir trouvé l'amour de sa vie alors qu'elle n'avait fait que lui jouer la grande scène de l'acte II. Il a réfléchi et convenu que certains signes qu'il avait vu et auxquels il n'avait pas voulu prêter attention étaient pourtant annonciateurs d'une grande catastrophe.
Mais bon, quand on est seul depuis longtemps, si l'amour passe à portée de main, fut-ce un amour frelaté et bidonné d'une hystérique, on prend quand même. C'est mieux que rien. Faute de grives, on mange des merles dit le proverbe. Il a acquiescé, satisfait d'avoir trouvé la solution à ce problème. Après tout se faire michetonner peut arriver à n'importe qui. Il suffit d'un moment de faiblesse et de l'envie d'y croire malgré les signaux alarmants auxquels on ne veut pas prêter attention et hop, c'est fait.
Et puis, il y avait un problème de fond, à savoir les relations qu'il entretenait avec ses contemporains. Ce patient avait eu un parcours peu commun dont je ne peux parler ici car il est si peu commun que je ne pense pas qu'il y ait plus de deux ou trois personnes en France qui aient eu le même. En tout cas, il avait eu une vie, non pas étrange, parce que c'est un homme plutôt rangé, mais peu commune. Le type avait lâché en route un cursus pour lequel dix mille auraient vendu leur âme au diable pour s'adonner à une passion et en vivre chichement.
Toujours est-il que bien qu'ayant des amis, il avait toujours eu des difficultés à se lier et encore plus à créer une vraie relation amoureuse. De mon point de vue, si ce n'est des symptômes dépressifs assez bénins, je n'avais jamais vu en lui quoi que ce soit qui puisse donner à penser qu'il n'était pas fait pour une relation stable et durable. Mais le fait était là, se faire des amis proches n'avait jamais été simple, quant à l'amour, n'en parlons pas.
C'est d'ailleurs lors du second rendez-vous qu'il s'était vraiment plaint de cet état de fait : sa solitude. Il se sentait désespérément seul et incompris. Lors de ce rendez-vous je lui avais dit que c'était assez normal du fait qu'il était manifestement surdoué. Il m'avait alors regardé sans sourire et m'avait demandé si c'était un "truc de psy" ou encore "un argument marketing" destiné à lui redonner confiance ou à le faire rester dans ma patientèle. Je l'avais alors rassuré en lui expliquant que j'avais suffisamment de clientèle pour ne pas jouer à cela et que si j'avais décidé d'y jouer, je n'aurais jamais pris un vrai surdoué comme lui pour monter mon arnaque.
Je lui avais donc expliqué que du fait de son QI manifestement très élevé, il avait sans doute du mal à trouver des gens partageant ses centres d'intérêts mais plus encore sa sensibilité si singulière. Il m'avait expliqué que du fait de son cursus il avait nécessairement fréquenté des gens très intelligent et qu'il ne croyait pas mon analyse. Je lui répondis alors qu'il y avait une différence notable entre être simplement très intelligent et surdoué. Tandis que les "très intelligents" trouvaient sans problème à s'inscrire dans la société, les seconds, du fait d'une sensibilité exacerbée, et je ne parle pas de sensiblerie, et d'une effroyable lucidité avaient bien plus de mal à se socialiser.
Les simplement "très intelligents", ceux dont le QI dépasse les 110, font des études supérieures sans problème, il leur suffit de travailler. La différence qu'ils ont avec les surdoués c'est qu'on connait l’algorithme qui détermine leur vie en un quart d'heure montre en main alors que les surdoués révèlent toujours des zones d'ombre et des contradictions apparentes bien plus rigolotes. Ils ont souvent un coté dandy, hercules sans travail comme les définissait si justement Baudelaire. Et puis, nonobstant des dons surprenants, ils passent leur vie à se détester, se comparant sans cesse aux moins doués qu'eux qu'ils jugent plus adaptés et de ce fait plus intelligents.
Et puis l'on avait continué les entretiens et régulièrement je lui jetai à la face sa douance que j'estimais manifeste. Un jour je me souviens lui avoir dit qu'il avait au moins cent quarante de QI, ce qui l'avait sourire. C'était l'époque ou il avait commencé à se souvenir qu'il avait des zygomatiques et pas seulement frontaux (ride du lion). Et puis un jour, n'y tenant plus, il m'a dit qu'il voulait passer un test de QI un WAIS IV. Le bougre s'était donc renseigné. Je lui ai dit que je ne faisais moi-même pas passer de tests mais que je me renseignerai pour lui trouver quelqu'un de fiable.
La semaine suivante, je lui confia donc les coordonnées d'une consœur neuropsychologue pratiquant la psychométrie et apte à lui faire passer le WAIS IV. Il prit rendez-vous et suivit le processus en plusieurs rendez-vous destiné à évaluer son quotient intellectuel. Et la semaine avant les vacances de Noël, il dut annuler notre rendez-vous car il avait la restitution de ce test et ne savait pas combien de temps durerait l'entretien.
De mon côté, bien que j'aie été sur de moi, j'étais un peu anxieux en attendant le résultat du test. Je m'étais engagé à plus de 140, persuadé que mon patient était vraiment vraiment surdoué mais je redoutais d'avoir fait une erreur - à laquelle je ne croyait pourtant pas - habitué à jauger les QI en me trompant rarement. Mais que voulez-vous mon orgueil terrible s'accompagne souvent d'une grande humilité.
En fin de journée, alors que j'étais avec mon dernier rendez-vous, je reçus un SMS de ce patient me disant laconiquement : vous aviez raison : 150. Putain, vous voudrez bien me pardonner cette exclamation, j'avais parié sur plus de 140 et je ne m'étais pas trompé ! Comme j'étais en entretien et que je ne pouvais pas m'épancher par SMS, je me suis contenté d'un sibyllin mais bien senti : "Alors vous avez osé douter de moi ? Homme de peu de foi".
Je suis content, je vais le revoir cette semaine et je ne vais pas être avare de mon succès. On va voir s'il ose encore soutenir que je l'ai jugé surdoué simplement pour lui faire plaisir. Non mais !
***
28Pierre lui répondit: Seigneur, si c'est toi, ordonne que j'aille vers toi sur les eaux. 29Et il dit: Viens! Pierre sortit de la barque, et marcha sur les eaux, pour aller vers Jésus. 30Mais, voyant que le vent était fort, il eut peur; et, comme il commençait à enfoncer, il s'écria: Seigneur, sauve-moi! 31Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit, et lui dit: Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté? 32Et ils montèrent dans la barque, et le vent cessa. 33Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner devant Jésus, et dirent: Tu es véritablement le Fils de Dieu.
Évangile selon Saint Mathieu 14-25 / 14 /33
4 Comments:
à 10 points pret il aurait le même qi d'Einstein (sans avoir le même destin bien sur :p )
votre paragraphe sur les gens très intelligent et les surdoués prouvent qu'on peut être Haut qi voir très haut et raté sa vie quand même quoi que vous dites qu'il était entré dans un cursus prestigieux et qu'il l'aurait volontairement abandonné.
Diantre, ce descriptif me fait froid dans le dos tant il semble me correspondre...
A moins que mon cerveau ne s'amuse à me tromper pour enjoliver une médiocrité intellectuelle banale, à défaut de regarder le journal de TF1...
C'est l'histoire un homme qui vient voir un détective privé, l'homme a l'air embêté et il dit au détective: "il me semble que ma femme me trompe, j'ai comme un doute".
Le détective lui explique que c'est son boulot, qu'il suivre la femme du type et rendez-vous est pris la semaine suivante, pour un compte rendu.
La semaine suivante, le client arrive et le détective lui fait son rapport...
- Voilà quelques photos... ca c'est vous partant à 8h30 lundi matin, 8h45, votre femme prends sa voiture et rejoint Mr Lavigueur à 9h à l'entrée du Motel Universel. Ils prennent la chambre 210, une chambre avec un seul grand lit. Voilà la copie du recu... Voilà la photo de votre femme et de Mr Lavigueur montant les marches, notez la position des mains de Mr Lavigueur... Voici une photo prise de l'extérieur, où vous voyez votre femme enlever son corsage, le dernier cliché montre Mr Lavigueur enlevant son pantalon...
Le client regarde les clichés attentivement et demande interloqué: "et... c'est tout???"
Le détective lui réponds: "eh oui... Le chien du motel commençait à être hargneux et il a fallu se faire discret..."
Et là le client s'exclame: "ahhhhhh que c'est fâcheux! Ce doute! Toujours ce doute..."
Bonsoir,
Je souhaite prendre rdv pour une consultation. Comment vous joindre?
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