21 octobre, 2010

Aider autrui !


Une de mes amies s'est entichée par hasard d'une fille un peu paumée  rencontrée chez des amis et s'est donné pour mission de la sauver. L'histoire est assez banale de ces personnes extrêmement sensibles qui se laissent contaminer par la fragilité apparente d'autrui. Et si aider un ami dans la peine est sans doute quelque chose de très appréciable, faut-il encore que l'on sache où l'ont met les pieds.
La bonne volonté ne suffit jamais. Deviner et ressentir le mal être d'autrui ne sont jamais des garanties de succès mais juste la base du métier : l'empathie. Et si l'intuition, la sensibilité et généralement les qualités humaines font les bons psys, il serait dangereux de vouloir pratiquer sans avoir aucune notion de psychopathologie. Parce que tel être que l'on voit dans la douleur peut receler des choses inattendues. Pour ces motifs j'ai d'ailleurs dissuadé cette amie d'aller plus loin dans la relation d'aide mais de se limiter à inciter son amie à consulter un médecin qui ferait le nécessaire. Hélas, il va sans dire que la paumée dont elle s'occupe ne veut pas entendre parler de médecin. Peut-être a-t-elle de mauvais souvenirs, ou encore peut-être est-elle si mal qu'elle n'a pas vraiment d'espoir de s'en sortir.

Si être présente et rassurante peut être utile à quelqu'un qui va mal, il me semblait dangereux d'aller plus loin dans une relation qui deviendrait thérapeutique. Je déteste me poser en spécialiste et ce d'autant plus que je suis libertarien et que je pense que les gens doivent pouvoir agir comme ils l'entendent. Toutefois, l'étude de la psychopathologie m'aura toujours été utile, non seulement pour diagnostiquer mais aussi et peut-être surtout pour savoir dans quoi j'allais m'engager et connaitre à l'avance les limites que me poserait un "cas". Et encore, je ne suis jamais à l'abri des erreurs du moins, j'aime me le rappeler.

Je ne connais pas personnellement la personne dont veut s'occuper mon amie. Manifestement, d'après les renseignements que j'ai pu avoir, il pourrait s'agir d'un cas de personnalité limite appelée aussi borderline. Le soir où elle m'en a parlé, cela m'a semblé évident avec le peu de renseignements dont je disposais. Et je n'ai eu qu'à poser des questions ciblées pour que ce diagnostic se précise: tous les critères diagnostics du DSM étaient présents. Mais encore une fois, n'ayant pas vu la personne mais simplement obtenu des renseignements d'un tiers, je ne saurais l'affirmer.

Le traitement des troubles de la personnalité se révèle extrêmement périlleux. Ce sont d'ailleurs des gens qui consultent peu. S'agissant des personnalités limites, on a à faire à des personnes extrêmement complexes aux comportements impulsifs et souvent déroutantes. Il m'est arrivé d'en suivre et j'ai parfois eu l'impression d'avoir une grenade dégoupillée assise sur le fauteuil en face de moi, ne sachant pas quand elle allait exploser.

Je ne refuse jamais de les traiter mais je reste extrêmement prudent sur les chances de succès. Je crois pouvoir améliorer les choses mais je mentirais si je me disais capable de les "soigner". Autant, je peux toujours partir gagnant dans des cas d'anxiété ou de dépression classiques,  voire de toxicomanie, autant face à un trouble borderline j'avoue mes limites. Ces patients (souvent des femmes) sont complexes et quand on croit avoir obtenu une victoire, on doit parfois faire face à une défaire qui nous ramène des mois en arrière. 

En plus ce sont souvent des personnes très touchantes, les émotions à fleur de peau, on a vraiment envie de les aider. Mais ce n'est pas une raison pour songer que ma bonne volonté suffira. Face à ce type de pathologie, je mets toujours un médecin dans l'affaire et c'est encore mieux si c'est un psychiatre parce qu'il est illusoire de penser qu'on y arrivera seul par la parole, la bienveillance ou la gentillesse.

Les personnalités limites sont très touchantes dans le sens ou leurs attachement sont souvent excessifs et très idéalisés et c'est toujours agréable d'être le sauveur. Il faut aussi savoir qu'à ces attachements massifs succèdent toujours des phases de rejets inattendues souvent accompagnées d'un sentiment chronique de vide, au cours duquel rien n'est possible. Il faut alors être capable d'endurer cela, adoré un jour et détesté et insulté la semaine suivante, en gardant toujours son calme en réfrénant sa propre affectivité pour tenter encore et toujours de comprendre. 

Et que dire des mensonges répétés et quasi compulsifs qui donnent envie de mettre des claques  au patient limite alors que l'on sait que le mensonge fait partie intégrale de la pathologie et ne peut être considéré comme une faute morale qui nécessiterait un jugement. C'est une autre épreuve à endurer que d'entendre quelqu'un faire comme si tout allait bien, vous raconter des bêtises tout en sachant qu'elle vous ment éhontément.

Et même lorsque l'on croit que la relation de confiance s'est installée, à la faveur d'un événement quelconque, une parole malheureuse et mal interprétée, une rencontre, ou que sais je encore, le patient peut disparaitre sans jamais revenir ou seulement quelques mois après. Et alors, tout est à recommencer sans vraiment savoir si le succès sera au rendez-vous même si l'on applique les modèles connus comme celui excellent et unanimement reconnu de Young.

Il y a eu beaucoup de recherches sur cette pathologie. Elle est largement sous-diagnostiquée et on la confond encore souvent avec une simple dépression, des troubles caractériels ou encore un trouble bipolaire. Le diagnostic n'est pas simple à poser. La recherche en neurobiologie a fait des pas immenses en montrant qu'il existait chez ceux qui en sont atteint une lésion du cerveau. Des tests et des examens plus approfondis vont dans ce sens. Dans tous les cas, cela indique que l'on quitte la psychologie pour entrer dans des disciplines bien plus complexes. Et sans doute que d'ici quelques années, un nouveau neuroleptique viendra remplacer avantageusement des thérapies erratiques aux succès incertains même si j'en suis persuadé, une thérapie bien conduite peut vraiment aider pourvu que l'on vise une amélioration notable sans pour autant rêver d'une "guérison". De toutes manière, pourvu que l'on puisse gommer les excès de la pathologie, certaines caractéristiques des borderlines peuvent s'employer : créativité, conscience sociale, passion, authenticité, etc. Il ne s'agit pas de normaliser les gens.

Tous les apprentis psys ont connu cette phase d'enthousiasme durant laquelle ils se persuadent qu'ils réussiront là où leurs vieux confrères n'ont pas réussi, qu'ils sont meilleurs parce qu'ils ont un œil neuf, des connaissances récentes et cette envie de bien faire. Cette bouffée d'amour pour autrui qui fait que l'on veut pour lui et à sa place, qu'on veut le sauver alors que lui même n'a pas vraiment cette volonté. Nous sommes tous partis un jour comme en 14 la fleur au fusil en songeant qu'on serait de retour à Noël et nous avons tous connus notre Verdun thérapeutique, le cas qui nous laisse exsangue, déçu, dépité, qui nous fait douter de nous même et qui nous fait même songer à raccrocher les gants.

C'est le prix à payer pour devenir un bon professionnel et l'usage veut que l'on appelle cela renoncer au sentiment de "toute puissance". Mais quoiqu'il en soit, connaissant les troubles limites, tout en ne me posant pas en spécialiste, il ne me viendrait pas à l'idée de traiter un cas pareil sans aucun bagage technique. Parce que là, ce ne sera plus Verdun mais Waterloo.

Mais, je n'ai jamais voulu décourager les psys en herbe parce que je suis libertarien et aussi parce que je pense qu'on ne pèche jamais par excès d'amour mais simplement par manque.

11 Comments:

Blogger Unknown said...

Votre article me parle : il y a quelques années, j'ai eu une grosse hésitation sur le comportement à adopter avec un ami un peu spécial, qui m'avait causé une forte déception. L'aider ou couper les ponts ? Son profil narcissisque, mythomane et escroc le rendait potentiellement nocif pour son entourage mais je ne pouvais m'empêcher de le voir comme une victime de sa "maladie".
La question m'avait tellement tarabustée que je m'étais mis à poser sur le papier son profil psychologique : des pages et des pages pour mettre en cohérence son comportement et en tirer les conclusions...
J'ai finalement coupé les ponts brusquement, jugeant qu'il était absurde et prétentieux de vouloir "redresser" la personnalité tordue de quelqu'un qu'on apprécie. Ceci dit, au bout de 3 ou 4 ans nous avons renoué progressivement, sans reparler de cette période de froid : lui semble avoir compris qu'il était allé trop loin et qu'il avait "cassé" quelque chose, et moi j'ai mieux balisé notre amitié : j'attends simplement moins de lui, je garde une distance. Personne n'a guéri personne mais ce compromis ne se passe pas si mal désormais.

21/10/10 2:11 PM  
Blogger Caroline said...

Mr psy, je sais que j'agace tout le monde ici et davantage avec mes histoires. Il s'avère que le lecteur de Saint Cloud a définitivement déserté mon blog, mais que d'autres passent sans que je m'en aperçoive ! Un peu périmé les logiciels de statistiques. Je m'en fiche aujourd'hui car au fond je suis d'accord avec vous sur 99% des éléments de votre prose.

J'ignore si je suis Bordeline, bien qu'il n' y ait pas de fumer sans feu chez moi, et je ne suis pas quelqu'un qui en a après quelqu'un "par hasard". Néanmoins,je reviens d'une consultation d'avec un rhumatologue, apparemment celui qui m'y avait envoyé m'avait perçu comme une petite idiote qui ne voulait qu'une chose que l'on s'intéresse à elle! Hélas, lorsqu'il a compris le but de ma visite au bout d'une heure ( Je peux vous garantir que vous allez avoir de la concurence) il m'a flanqué aimablement, à la porte!

Aussi je m'interroge, j'ignore quelle image je donne de moi physiquement oralement, mais à l'écrit ? Si vous étiez le lecteur, vous me perçeviez comment ?

Si ce n'est pas vous escusez moi.

21/10/10 5:52 PM  
Blogger V. said...

J'ignore si je suis Bordeline, bien qu'il n' y ait pas de fumer sans feu chez moi, et je ne suis pas quelqu'un qui en a après quelqu'un "par hasard"
---
Oui d'ailleurs vous fumez quoi ?
Et vous savez ce que disent les paranoïaques ? Qu'ils ont de bonnes raisons d'en vouloir aux autres.
Sans compter qu'il n'y a pas de hasard...
Que vous prenez les V... essies pour des L... anternes et du coup, ben vous vous brûlez !

(merci à Pierre Dac)

22/10/10 9:01 PM  
Blogger 100hp said...

Bonjour,

Est t-il possible d'avoir un mail pour vous contacter ?

Cordialement.

23/10/10 4:39 PM  
Blogger 100hp said...

Bonjour,

Est t-il possible d'avoir un mail pour vous contacter ?

Cordialement.

23/10/10 4:40 PM  
Blogger Caroline said...

V: Très drôle.Bien que je n'ai pas compris le lien entre ce que j'ai écrit et la paranoia. J'ai seulement posé une question auxquel personne n'a répondu cependant le ramdam a suffit à faire fuir l'habitant de Saint Cloud, peut être était ce un lecteur.!
Parfois être parano peut sauver des vies ! C'est un mécanisme de précaution. Mieux vaut être parano que bête à manger du foin par exemple...

Au passage jamais je ne fumerai je ne retournerai déjà jamais voir de psy, je ne vais tout de même pas commencer à me faire abuser par des psychotropes. Hélas rien n'explique ma paranoia si ce n'est une possible séquelle au cerveau! Je suis gauchère je crois que tout s'explique non ? Défaillance au cerveau! Soyez grande et ne m'en tenez pas rigueur!

Je m'escuse encore pour mon amalgame entre le L et le V. Je peux concevoir que cela soit impardonnable!

23/10/10 8:36 PM  
Blogger Lousk said...

Garçon, la même chose pour moi ! :)

J'aimerai bien vous contacter. Je lis votre blog depuis quelques jours (je suis remonté jusque 2008), je l'ai trouvé en effectuant des recherches sur la profession de psychothérapeute cognitiviste.

Beaucoup de vos articles sont très intéressants, et j'aimerai vous demander plusieurs conseils sur la profession.

Merci d'avance

23/10/10 10:19 PM  
Blogger V. said...

à 100hp
oui c'est possible !!
vous pouvez même vous rendre ce possible possible !

24/10/10 12:59 PM  
Blogger 100hp said...

Bonjour Caroline,

Je pense que la réaction à votre premier commentaire vient tout simplement du fait qu'il est incompréhensible. Je l'ai moi-même lu plusieurs fois et je n'ai pas réussi à le moindre sens.

Cordialement.

Arnaud

24/10/10 8:10 PM  
Blogger Lousk said...

Caroline en effet, vous avez l'air d'avoir envie qu'on s'intéresse à vous ;)

24/10/10 8:15 PM  
Blogger Alexis said...

Magnifique cet article.

25/10/10 12:40 PM  

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