19 janvier, 2007

Lutter contre la toute puissance ! La vie d'un fantassin !

J'ai eu un cas récemment fort intéressant, un type présentant des symptômes dépressifs d'une rare intensité. Il s'est présenté à moi, totalement désemparé, noyé dans une souffrance telle, que j'ai eu l'impression qu'il me remettait sa vie entre mes mains en me suppliant de le sauver. C'est un fort joli cas de mélancolie d'involution, une pathlogie qui touche ceux qui ont passé leur vie à se dévouer par sens du devoir en persistant toujours à s'oublier par culpabilité.

Cette reconnaissance que le patient place dans notre supposé pouvoir curatif, a quelque chose de grisant, de terriblement flatteur et c'est là justement, qu'il faut lutter contre la toute-puissance qui pourrait se manifester. La toute-puissance (omnipotentia en latin), dans la théologie chrétienne, est le pouvoir qu'a Dieu d'effectuer tout ce qui n'est pas intrinsèquement impossible. Le fait que Dieu ne puisse pas faire ce qui est intrinsèquement impossible n'implique aucune imperfection, dans la mesure où un pouvoir qui s'étend à l'ensemble de ce qui est possible doit être parfait.

Tout un chacun, et notamment dans les premiers âges de la vie, nous pouvons être tentés par ce sentiment de toute puissance, l'impression que tout et tout le monde pourra se plier à notre seule volonté, nos caprices ou fantasmes.

Dans le métier que j'exerce, et quelque soit mon égo que l'on estime boursouflé, lutter contre la toute-puissance est la première chose à toujours avoir en tête. La toute puissance se manifeste de deux manières, et vous retombe toujours dessus, soit directement parce que vous vous épuisez en voulant à tout prix sauver tout le monde, soit indirectement, parce que faute d'avoir su être humble, vous mettez la vie du patient en danger et que vous mettez votre responsabilité professionnelle voire pénale en danger.


  • Dans un premier temps, il ne faut pas oublier que face à certaines personnes par exemple, quelque soit notre motivation, nous échouerons pour diverses raisons, peu de coopération par exemple, et il faut l'accepter. Pour ma part, il m'arrive de me dire, face à certains patients, qu'il suffirait de peu de choses pour qu'ils s'en sortent mais je sais qu'ils n'agiront jamais, et je sais aussi que je ne peux vivre à leur place, qu'ils ne sont pas sous tutelle mais maîtres de leur destin. C'est pour cela que je pense échapper au burn-out qui mine tant de professionnels du secteur social qui à force de trop vouloir, de trop espérer et désirer, en ont oublié de garder la tête froide et en viennent à décompenser lorsqu'ils constatent qu'ils ont des échecs.

    Très souvent, on me demande si je n'en ai pas marre d'entendre des gens me raconter leur malheur et si cela ne finit pas par trop me toucher et me rendre à mon tour dépressif. Et je réponds toujours la même chose, à savoir que comme un bon plombier qui n'est pas ému par une fuite importante, même si l'occupant de l'appartement est terrorisée par l'eau qui jaillit, je n'ai pas peur des symptômes et sais les garder à leur juste place. Comme sur un ring, pratiquer la psychothérapie nécessite plus de technique que de rage.

  • Enfin, second écueil que pourrait amener la toute-puissance, il ne faut jamais être tenté d'instrumentaliser son patient pour se fabriquer de l'ego. Il y a obligation pour chaque être humain de renoncer à faire de l’autre un objet, de renoncer à la la toute puissance, de renoncer à la loi du plus fort. A ce sujet, j'expliquais dans un des premiers articles, intitulés "Comment j'ai foiré une patiente", ce genre d'erreur à ne pas commetre.

    Renoncer à la toute puissance amène à savoir comment poser, s’imposer et imposer les limites : c’est la notion d’interdit , ce qui est dit ou fait entre nous et qui nous permet de vivre ensemble, de respecter l’autre, même en désaccord. Les patients ne sont pas mes jouets et même si je sens qu'ils pourraient aller beaucoup plus loin et progresser encore et encore, je dois respecter leur choix quand ils s'estiment heureux et souhaite arrêter un processus thérapeutique. C'est sans doute sur ce versant là que je dois toujours faire attention car j'ai une mentalité d'entraîneur et quand je sens qu'un patient peut se présenter à un championnat du monde, j'ai du mal à le voir arrêter à un championnat de France.

Ce renoncement à la toute puissance est fondateur des sociétés humaines. Par exemple, dans le livre « Le seigneur des anneaux » , Gandalf, le magicien, ne veut pas être tenté par l’anneau qui symbolise la toute puissance, les humains qui ont voulu le détenir sont devenus des ombres hantés par la folie qu’elle représente. La survie de l’humanité passe par la destruction de cet anneau, il n’y a pas d’autre choix possible.


Alors après avoir écouté ce patient, qui me remettait vraiment sa vie entre ses mains, sitôt la seconde de griserie passée, j'ai imaginé de ce dont j'allais avoir besoin pour réussir, et notamment de l'envoyer vers un bon psychiatre pour qu'on lui prescrive enfin les molécules adaptées et non les bêtises que lui prescrit son généraliste habituel, aussi à l'aise avec les neuroleptiques que moi en danse classique.

Je me dis donc que quelque soient mes qualités, je ne suis que l'infanterie, un petit soldat qui combat à pied, que je ne peux occuper le terrain et gagner la guerre sur terre qu'à condition d'être suffisamment épaulé et que dans ces cas, j'ai souvent besoin d'un bon tir de barrage d'artillerie pour me préparer le terrain.


"Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, et se soumettre où il faut. Qui ne fait ainsi n'entend pas la force de la raison"
Blaise Pascal, "Pensées"

4 Comments:

Blogger Laure Allibert said...

Belle leçon de modestie, bravo... Professionnellement, je crois qu'il faut être "egoless" (j'essaye aussi autant que possible dans ma partie, l'informatique - non pas avec les machines, qui sont egoless par construction, mais avec les collègues)...

21/1/07 9:54 PM  
Blogger philippe psy said...

Croir que l'on peut tout, tout le temps, tout seul, est la pire des choses !

Merci pour votre commentaire !

22/1/07 2:37 AM  
Blogger Jonathan Bernier said...

" tentés par ce sentiment de toute puissance "

La personne qui a écrit ça est complètement délirante et doit quitter son métier. La

psychiatrie est tout juste bonne à jeter à la poubelle, elle ne sert à rien.

La personne pense à une représentation psychique de Dieu. Elle est dans une erreur totale.

Dieu est tout-puissant, dans une personne humaine, au contraire, l'apparence est d'une

faiblesse ultime.

Un homme croyant imiter Dieu avec une supposé toute puissance psychique ne fait que l'oeuvre

du Diable. Le psychiatre est donc un sataniste lui-même et il le sait.

- Jonathan Bernier

3/12/12 7:05 PM  
Blogger Unknown said...

Toi tu n'as rien compris.. Je suis pas sûr qu'en relisant tu comprennes mieux mais c'est exactement l'inverse de ce que tu as compris qu'il a développé ici. Et ce n'est justement pas un psychiatre mais un psychothérapeute d'où le fait qu'il ai voulu laisser le patient aux mains d'un psychiatre pour que le patient puisse avoir un traitement adapté à la sévérité de sa pathologie.

30/11/17 9:17 PM  

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