La fin des dinosaures !
De plus en plus, j’ai conscience de pratiquer un métier voué à disparaître. J’imagine que d’ici quelques années, même si je suis incapable de préciser exactement à quelle date, les psychothérapies n’intéresseront plus grand monde, voire plus personne. Peut-être de rares amateurs en suivront-ils à la manière de ces érudits de l’antiquité qu’intéressaient une formation philosophique afin de s’éprouver en tant qu’homme. A cela je vois trois raisons :
- D’une part, les gens exigent une immédiateté dans tout ce qu’ils entreprennent. Peu importe comment cela marche, ni pourquoi cela ne marche pas, il faut que cela marche. Or rien n’est plus risqué, à notre ère de technologie et d’immaturité, que l’aventure personnelle que représente une thérapie. Même dans les TCC que je pratique, et qui ont la réputation d’être plus carrées et scientifiques que les psychanalyses par exemple, l’alliance thérapeutique, c’est à dire le couple que mon patient et moi allons former, sa motivation, son désir de s’en sortir, ne peuvent jamais être garantis. De plus en plus, la souffrance est un déplaisir, contre laquelle on recherche plus le rétablissement du plaisir que la poursuite du bonheur. De fait, on cherche à guérir plutôt qu’à mûrir. Or une thérapie n’apporte pas une guérison au sens médical du terme mais un accroissement de l’être, ce qui est différent. La souffrance psychologique n’est plus formatrice comme elle fut naguère, mais juste un empêchement de jouir sans entraves. Mieux vaut promettre la lune à coup sur que prévenir des aléas que présente une thérapie. L’avenir sera-t-il aux charlatans, médecins ou non ?
- D’autre part, les gens exigent la gratuité. La sécurité sociale ayant étendu ses remboursements à tout et n’importe quoi, souvent sous la pression des médecins et des laboratoires pharmaceutiques, il semble effarant d’avoir à payer une thérapie. Puisque la dépression comme l’angoisse, sont des pathologies clairement établies, ils ne comprendraient pas que notre bonne vieille SS puisse prendre en charge la chimiothérapie (antidépresseurs, anxiolytiques, etc.) mais pas la partie psychothérapeutique. Dès lors, puisqu’il semble impossible, tant pour des raisons budgétaires (la durée d’une thérapie est variable) que pour des raisons thérapeutiques (responsabilité du patient), d’assurer le financement d’une thérapie classique, on verra se développer des thérapies médicales, prescrites par les généralistes, comme ils prescrivent des séances de kinésithérapie. On rééduque bien une articulation, pourquoi pas la tête ?
- Enfin, le développement des neurosciences permet de comprendre de mieux en mieux le fonctionnement du cerveau. Dès lors, on peut obtenir des résultats garantis grâce aux médicaments. Il serait faux d’imaginer que les individus veuillent se situer en tant que sujets libres et agissants. La plupart aujourd’hui même, se contentent d’un Prozac par jour, sans chercher à savoir ce qui a pu leur arriver. Peu importe qu’il y ait des rechutes, il suffira de repasser sous Prozac durant trois mois. Traiter le symptôme sera l’avenir. Après tout, quand on a mal à une dent, que nous sert de savoir pour quelle raison c’est arrivé ?
Pour conclure, depuis quelques années, les individus sont confrontés à des pratiques nouvelles qui grèvent leur budget. Internet, téléphone portable, jeux vidéo, chirurgie esthétique, etc., autant de postes nouveaux qui ont tôt fait de tondre un consommateur. Dès lors, il s’agit de faire des arbitrages ? Autant payer pour des plaisirs immédiats, qui se voient et permettent d’affirmer son statut face aux autres, seins refaits, dernier portable, etc., que d’investir dans le bonheur. Finalement, nous sommes ici à la croisée des trois raisons précitées.
Pourquoi payer de sa poche une thérapie plus ou moins longue et hasardeuse, alors qu’un bon prozac (neurosciences) gratuit (sécurité sociale), à l’effet immédiat (immédiateté) permet de venir à bout d’une dépression moyenne avec succès. Se poser des questions ? S’imaginer sujet de sa propre histoire ? Pourquoi donc ? A quoi cela sert-il ?
"Le plaisir est le bonheur des fous, le bonheur est le plaisir des sages."
Jules Barbey d’Aurévilly (1808 – 1889), Disjecta Membra
2 Comments:
Je te reconnais bien là Philippe!
Et, par le même biais...je comprends plein de choses ou elles s'affinent plutôt!
Ne désespère pas...courage!
Après les dinosaures, il devrait rester qqch!
Après les dinosaures, il y a eu plein de choses ! Et puis les dinosaures n'ont pas tous disparu ! Il reste des tas de reptiles ! Je ne pleure pas sur la fin des dinosaures, je ne fais que constater !
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