06 mars, 2007

Motivés !

J'avais promis de ne plus m'en prendre à notre ministre de la santé et je n'ai pas pu résister. Dans le fond, je suis d'accord avec lui, c'est très mal de fumer et effectivement il vaut mieux manger sainement et faire un minimum d'exercice. Dans les faits je reproche surtout à ce balourd sa manière stupide de faire rentrer les messages à grands coups de latte dans la tête des gens. Des moyens pour motiver les gens, lui et son chef Nicolas, n'ont retenu que la manière forte, l'intimidation et la judiciarisation du rapport humain. On est là dans la forme basique du comportementalisme qu'on appelle le dressage qui s'énonce ainsi :

"Si tu ne fais pas ce qu'on te dit de faire, tu vas t'en prendre plein la gueule".

Là ou certains ne voient que de la mauvaise foi de ma part, je leur opposerai que même aujourd'hui, on ne dresse plus un chien comme cela. Le comportementalisme a fait des progrès et les cent et quelques théories expliquant la motivation permettent fort heureusement d'amener l'immense majorité des gens à des choix raisonnables sans les mettre en tutelle. Mais d'abord, parlons de ma vie.

Je suis venu à la psychologie curieusement. Auparavant j’étais juriste, spécialisé en droit immobilier. Alors que je travaillais déjà, j’ai souhaité poursuivre mes études, aussi me suis-je présenté à plusieurs 3èmes cycles. Ayant toutefois une double formation, en droit et en gestion, j’ai présenté ma candidature aussi bien à des troisièmes cycles dans ces deux disciplines.

Pour certains, il n’y avait qu’un dépôt de dossiers, sachant que dans ce cas, lorsqu’il s’agissait de DEA ou DESS très prisés, un bon léchage de cul du directeur dudit 3ème cycle était souvent de règle pour augmenter son admissibilité.

Bien qu’ayant un excellent dossier, avec plusieurs mentions, je reconnais que j’ai toujours été un très mauvais lécheur de cul. Aussi ne me voyais-je pas faire ma petite soumise pour intégrer tel ou tel DESS ou DEA prestigieux en flattant éhontément le directeur ! Je me suis donc présenté aussi à des concours, ce qui me semblait le plus simple si tant est que l’anonymat fut préservé. J’ai finalement été reçu sur concours à un DEA d’organisation appliquée, appartenant à un UFR de gestion.

C’est durant les deux années que durait ce DEA que je me suis mis à une discipline que je ne connaissais pas et qu’on appelle psychosociologie des organisations. J’ai notamment été passionné par les cours portant sur la motivation. De fil en aiguille j'ai poursuivi en psychologie du travail avant de faire de la psychopathologie.

La motivation est l’ensemble des motifs qui expliquent un acte. C’est l’ensemble des processus physiologiques et psychologiques responsables du déclenchement, de l’intensité, de l’orientation, de l’assiduité, de la poursuite et de la cessation d’un comportement

Qu’il s’agisse de leur travail, ou de leurs loisirs, je me demande souvent ce qui motive les gens pour entreprendre telle ou telle activité. Aujourd’hui encore, dans la pratique qui est la mienne depuis dix ans, la motivation est au centre du travail psychothérapeutique. Sans motivation, qu’il s’agisse de cesser une addiction, de vouloir sortir d’une dépression ou encore de canaliser ses angoisses, la motivation reste centrale.

On peut dire que les gens adoptent tel ou tel comportement en fonction de leurs besoins : c’est la base de la théorie de Maslow. Toutefois, on peut noter que certaines personnes entreprennent des choses sans pour autant que préexiste un besoin quelconque.

Il fallait donc trouver un autre angle d'attaque que celui des besoins, qui permette d'avancer dans la compréhension du phénomène motivationnel. Cet angle concerne le processus même de la motivation. On ne se demande plus ce qu'elle contient, pourquoi elle se met en oeuvre, par quoi elle est suscitée, mais comment elle fonctionne, comment elle se déroule et provoque ces comportements spécifiques que sont les comportements motivés.

Passant du pourquoi au comment, on élague donc les discussions philosophiques jamais closes, du genre l’individu travaille-t-il pour seulement un salaire ou bien la reconnaissance, etc., et l’on aborde plus prosaïquement la motivation par un biais beaucoup plus comportementaliste. Pour ma part, j’ai toujours apprécié celle que l’on nomme VIE et que l’on doit à un chercheur nommé Victor Vroom, professeur de psychosociologie à l’université de Yale.

Cette théorie cognitiviste, appelée aussi « la théorie du résultat escompté », repose sur trois concepts lui ayant donné son nom : la Valence, l’Instrumentalité et l’attente (Expectation en anglais).

La valence (V) : C'est la valeur, positive ou négative, que l'on attribue au résultat de ses actions ou de sa performance : « ce que j'obtiens en retour de la performance accomplie, est-il important ou non pour moi ? »

Dans le cadre du travail, par exemple, l'important pour certains sera le salaire, pour d'autres de disposer de temps libre ou encore de la reconnaissance. La valence dépend bien entendu de l'ensemble du système de valeur de chacun, ensemble complexe dans sa formation comme dans sa composition. C'est le poids qu'aura la récompense attendue, le résultat escompté pour l'individu. « Je pense être capable de suivre telle formation, j’admets qu’elle est le bon moyen pour obtenir telle promotion, mais cette promotion a-t-elle vraiment de la valeur pour moi ? »
La valence se mesure sur une échelle de -10 à +10 qui mesure la valeur attribuée par l'individu à la récompense.

L'instrumentalité (I) : C'est la probabilité que l’on perçoit du lien entre la performance à atteindre et ce que l’on escompte en retour : « si je fais ceci, alors est-ce que j'obtiendrai cela en retour ? ».

C'est le fait que le résultat escompté puisse être obtenu grâce à tel comportement. « Je pense être capable de suivre cette formation, mais est-ce le bon moyen pour obtenir la promotion que je vise ? »

L’instrumentalité se mesure sur une échelle de 0 à 1 car c’est la probabilité que tel comportement permette bien d'accéder à telle récompense.

L'attente (expectation en anglais) (E) : c’est le lien entre l’effort consenti et la performance effective : « si je me mobilise pour faire cela, est-ce que j'arriverai à cette performance ? » C'est la réponse à la question de savoir si l’on est capable ou non. L’attente est donc basée sur ce que l'on pense de ses propres capacités, de ses chances de réussite par rapport à une situation précise et est largement fonction de ses aptitudes réelles. Elle concerne les attentes par rapport à ses propres efforts.

C'est donc une autoévaluation, une probabilité que l'on porte sur ses chances de réussite. « Suis-je capable de suivre cette formation, ai-je les bases suffisantes, la forme d'esprit nécessaire, etc. ? »

L’attente se mesure sur une échelle de 0 à 1.



L'intérêt de ce modèle est que des recherches quantitatives ont pu montrer un lien entre la motivation, ainsi mesurée, et les efforts déployés dans un travail ou un apprentissage.
Vroom propose une formule calculant la force de la motivation (F) s’écrivant de la manière suivante :

F=E x (∑ V x I)

Ou, plus simplement par :

F = V x I x E

Tout d’abord, puisqu’il s’agit d’un produit on se souviendra que la multiplication étant associative, il suffit qu’un des facteurs soit nul, pour que la force de motivation (F) soit nulle.

Imaginons qu'un individu veuille suivre une thérapie pour sortir d'une dépression. Dans cet exemple :

  • La Valence est la valeur qu'il attribuera au fait de sortir de la dépression ;

  • L'Instrumentalité est l'utilité qu'il attribuera ou non pour sortir de sa dépression ;

  • L'Attente ou Expectation est le fait de se se sentir capable ou non de suivre une thérapie ;
Appliquons cela et nous voyons comment fonctionne la théorie VAE :

  • Par exemple, si je me sens incapable de suivre une thérapie (E=0), je ne serai pas motivé, même s'il apparaît que c'est le bon moyen de sortir de ma dépression (I=1) et que je rêve de cette situation (V=10).

  • Si je me sens capable de suivre une thérapie (E=1), mais que je ne vois pas en quoi cela me permet de sortir de ma dépression (I=0), ce dont j’aie envie pourtant (V=10), alors je ne serai pas motivé.

  • Enfin, si je me sens capable de suivre une thérapie (E=1) et que je sais que cela me permettra de sortir de ma dépression (I=1) mais que je n'ai pas envie d’en sortir car j’ai des bénéfices secondaires tant que je déprime (V=-10) alors, je ne serai pas non plus motivé voire carrément démotivé.


Notons au passage que la valence - ce que l'on espère - a un rôle peut-être plus important que les deux autres termes en ce sens qu'une valence très forte peut "supporter" une instrumentalité moyenne ou un niveau d'expectation faible.

Si la récompense a une forte valeur pour l'individu, il est possible qu'il se dépasse et qu'il adopte un comportement motivé. Les théories du processus sont d'ailleurs souvent appelées « Théories du résultat escompté », ce qui revient en fait à survaloriser la valence.

Que penser de cette théorie ? Première constatation, cette théorie est applicable dans toutes les organisations qu’ils s’agissent d’entreprises, d’associations, de politique, mais aussi de psychothérapie dans lesquelles l'alliance entre le patient, le psy et la théorie pscyhtohérapeutique, constitue une véritable organisation. En effet, en venant faire une thérapie, l’individu adhère à une organisation dans laquelle il vient chercher un mieux-être.

Le point important est qu’il ne suffit plus de connaître les besoins, il faut aider les individus à connaître leurs attentes qui seront à la source de la motivation. Par rapport aux décrets liberticides de notre sinistre de la santé, on n’est plus dans le diktat ou dans l’oukase dans lesquelles on postule les besoins des citoyens mais dans un système beaucoup plus fin respectant l’individualité tout en parvenant aux mêmes buts.

C'est en effet à partir de ces attentes que l’on pourra proposer des récompenses extrinsèques et intrinsèques efficaces parce que cohérentes avec les attentes des individus.

C'est aussi en matière de communication sur les valeurs promues par l'organisation que l'on peut utiliser l'approche de Vroom ; en effet, les valeurs ne sont pas étrangères aux valences qui motivent les individus.

C’est en créant et en maintenant des attentes à un niveau élevé, on peut contribuer à développer une motivation réelle.

A partir de ces trois termes - niveau d'expectation, instrumentalité, valence on peut donc définir simplement les composantes du processus motivationnel. La motivation d'un individu pour entreprendre une action passe toujours par l'évaluation plus ou moins inconsciente de ces trois probabilités en fonction du résultat escompté. Si l'on en croit cette théorie, c'est en fonction des réponses que l'on apporte à ces trois questions que se décide l'action motivée et ceci qu'il s'agisse de la décision de suivre une thérapie, de cesser de fumer ou d'aller au cinéma ou de celle de changer de carrière.

Ce qui est étudié, c'est bien le processus même et non pas le contenu de la motivation. Avant toute chose, il faut préciser que le système VIE procure un excellent moyen de diagnostic et de recherche pour l'entreprise dans le domaine de la motivation.