09 mars, 2007

Merde ! Il fait beau ! Je hais le printemps !

Proverbe de psy : "Quand Forsythia fleurira, patient partira"

Avant d’entrer dans le vif du sujet, entamons d’abord une digression dont j’ai le secret. Je voulais vous dire que j’aime mes habitudes, que je fais tout pour conserver mes habitudes et que je n’aime pas ceux qui veulent me forcer à rompre avec mes habitudes. Je n’étais pas dans les premiers à avoir un téléphone portable, et j’étais encore avec mon minitel alors que l’Internet débutait ! C’est assez curieux parce qu’en revanche, je suis plutôt ouvert d’esprit et difficilement choquable.

Est-ce bien ou mal, je n’en sais rien, je suis ainsi, j’aime mettre le monde en équations, c’est mon côté autistique. Même lorsque je voyage, et je ne voyage que parce que mon épouse aime les voyages, sinon je resterais chez moi, je n’ai de cesse de trouver d’autres habitudes. Peu de temps après être arrivé dans un endroit, il faut que je connaisse le plan, pour pouvoir me repérer, ainsi que deux ou trois endroits calmes où je me sens bien, afin de me ressourcer lorsque je suis gavé de nouveautés.

Tout cela pour vous dire, qu’ici même à Paris je fréquente globalement les mêmes endroits lorsque je travaille. Je bois mon café dans le même estaminet et déjeune soit au traiteur chinois du coin, soit exclusivement dans deux restaurants. Avant, j’avais mes habitudes au tabac en face de mon cabinet et j’y allais prendre mon café, le matin avant d’entamer mes consultations. Mais un personnel mal aimable, et manquant trop de professionnalisme, a eu raison de ma pratique. J’ai donc changé pour celui qui se trouve en face du métro.

Tous les matins donc, vingt minutes avant mes consultations, j’arrive au comptoir, je dis bonjour, et on me sert mon café. Pas besoin de demander, je ne carbure qu’au café, quelque soit l’heure du jour. Si on ne me connaît pas, je suis plutôt froid. Ainsi, même au bout de dix ans, dans le quartier, je connais peu de monde. Certains serveurs ont fini par me demander si je travaillais là, et j’ai répondu oui, sans rien rajouter. La gérante du café, passant outre ma froideur, m’a un jour demandé ma profession et je l’ai dite. Elle a du le répéter, car parfois on vient me poser des questions.

C’est ainsi que, voici quelques mois, ce devait être vers la mi-octobre, un jeune type, âgé de dix-sept ans, comme je l’ai su par la suite, m’a confié ses soucis psychologiques. Grand type poli, un peu timide, introverti et extrêmement sensible, il m’a décrit ses symptômes. Je l’ai rassuré, et lui ai dit qu’il s’agissait sans aucun doute d’une dépression saisonnière. J’ai eu un bon contact avec lui, je lui ai donné quelques conseils dont il a semblé satisfait.

Effectivement, le retour de l’automne marque, avec les jours qui raccourcissent, pour les vingt pour cent d’individus atteints de déprime saisonnière, l’entrée dans une période difficile dans laquelle ils auront moins d'énergie, seront plus fatigués, auront besoin de plus de sommeil et seront moins actifs. Toutefois, pour environ cinq pour cent de la population, ces symptômes sont tellement sévères qu’on peut vraiment parler de dépression saisonnière. Les femmes sont trois à quatre fois plus touchées que les hommes.

On imagine que la dépression saisonnière serait due à un déséquilibre biochimique, impliquant la mélatonine, provoqué par le raccourcissement des journées et le manque de lumière lors de la mauvaise saison. L´insuffisance de luminosité génère en effet la sécrétion de mélatonine en trop grande quantité. C´est cette hormone produite par l´épiphyse (glande pinéale) qui est à l´origine de notre besoin de sommeil. En hiver, l´intensité lumineuse se situant en dessous de 2000 lux, nous sécrétons une quantité trop importante de mélatonine agissant comme une hormone somnifère. Dès lors, nous sommes moins actifs et plus enclins à rester au lit ou chez nous. On invoque aussi un trouble du système sérotoninergique lié à cette absence de luminosité. La sérotonine est un neuromédiateur ou neurotransmetteur (substance transmettant l’influx nerveux entre les neurones et entre un neurone et un muscle) qui intervient probablement dans la régulation du sommeil, de l’appétit et de l’humeur : les personnes déprimées ou anxieuses ont souvent un déficit de sérotonine. Elle joue de multiples autres rôles : par exemple, elle participe à la régulation de la température du corps.


Schéma qui tue ! Ca fait super sérieux non ?

La vraie dépression saisonnière est un épisode de dépression majeure dont la principale caractéristique est de survenir durant la même période à chaque année. Il peut cependant parfois s'agir d'un épisode de dépression faisant partie d’un trouble bipolaire (auparavant appelé maniaco-dépression). Dans ce dernier cas, il y a souvent présence de symptômes hypomaniaques pendant l'été. C’est pour cela qu’un diagnostic différentiel doit être posé.

Les symptômes de dépression saisonnière font généralement leur apparition en octobre (parfois dès septembre) et disparaissent en avril ou mai. Les symptômes fréquemment observés sont une humeur dépressive, un manque d'énergie, une tendance à l'hypersomnie, une augmentation de l'appétit, une diminution de l'intérêt et de la motivation. D'autres symptômes souvent présents sont une plus grande tendance à l'anxiété, une difficulté de concentration, une diminution de la libido, un gain de poids et une plus grande irritabilité.

Le diagnostic de dépression saisonnière est porté si les symptômes ont été présents au moins deux hivers consécutifs avec rémission (guérison) complète à l'été.


Selon qu’il s’agisse d’une déprime ou d’une dépression, les actions seront différentes. Dans les cas de déprimes, on encouragera l’individu à ne surtout pas abandonner ses activités. On prescrira par exemple une marche quotidienne de 30 minutes à la lumière du jour, de préférence le matin, permet de bénéficier à la fois de la lumière (autant qu'une séance de luminothérapie) et de l'activité physique qui a aussi un effet antidépresseur. Des études ont prouvé que les bénéfices de la marche sur l’humeur croissent proportionnellement au nombre de pas et on a pu constater une amélioration immédiate de l’humeur au bout d’environ trente minutes.

Si vous avez simplement constaté une baisse significative de votre moral à l’approche de l’automne, ces simples règles seront généralement suffisantes. Si les troubles sont un peu plus importants, on pourra éventuellement utiliser la luminothérapie, c’est à dire l’exposition à une lampe spéciale permettant d’inhiber l’épiphyse et donc la sécrétion de mélatonine.

Dans les cas plus sérieux, on prescrira en plus de la luminothérapie, des antidépresseurs, accompagnés de quelques séances de thérapie. La thérapie n’a pas pour but de régler des problèmes qui, comme nous l’avons vu, sont essentiellement physiologiques, mais plutôt d’amener le patient à reconsidérer son état d’une manière plus sereine, plutôt que de s’abandonner à des symptômes qui peuvent être graves dans certains cas. Dans les formes sérieuses, on établira un diagnostic différentiel afin de savoir si l’on n’est pas face à un trouble maniaco-dépressif, dont le rythme coïncide par un pur hasard avec les saisons.

Bref, le mauvais temps, la grisaille, le crachin, le froid, mais surtout pas le froid vif qui revigore, non, le froid humide, sont mes alliés en tant que pourvoyeurs de patients.

Cette année, le printemps a un mois d’avance. Dans mon jardin, les forsythias sont déjà en fleurs. Il faut doux et j’ai vu des terrasses de café déjà bondées aux heures les plus « chaudes » de la journée.

J’ai recroisé le jeune homme qui m’avait parlé de son état en octobre dernier. Il m’a dit que j’avais raison (de toute manière j'ai toujours raison), que depuis quelques jours il se sentait nettement mieux, qu’il a envie de faire plein de choses, et qu’il trouve que les filles sont belles. Il va mieux.

Je hais le beau temps !

Beau temps pour les affaires !