31 mars, 2007

Soirée aux AA ! Enfin un article sérieux !


Comme on ne peut pas passer sa vie à ne fréquenter que des gougnafiers, j’ai aussi des amis très bien, des gens de qualité. Ce soir, l’un d’eux m’a fait vivre une fort belle expérience dont je le remercie.

Alcoolique repenti, et sachant que j’avais dans ma clientèle ce genre de personnes, il m’a emmené à une réunion des AA, au cours de laquelle on fêtait les douze ans d’abstinence d’un des membres du groupe. C’était une soirée ouverte aux non alcooliques aussi mon ami en a-t-il profité pour m’y emmener.

Je suppose que sa démarche a été dictée par le fait qu’il ait voulu me montrer la réalité de ce qu’il a vécu, l’alcoolisme étant la pire des addictions. Je pense, qu’à travers cela, il a reconnu mes qualités professionnelles, et souhaité, en quelque sorte, que j’approfondisse mes connaissances de cette pathologie afin d’aider mieux ceux qui en souffrent. Je suppose, que, devant énormément à cette association, il s’en fait le propagandiste. J’imagine aussi que c’est une belle preuve d’amitié et de confiance parce que c’est étrange d’entendre quelqu’un que vous connaissez vraiment très bien, prononcer ces mots devant une assemblée : « Bonsoir, je m’appelle Machin, je suis alcoolique, et si je suis là ce soir, c’est pour.. ».

Bien sur, je lui ai demandé si je devrais dire quelques mots ou s’il était préférable de me taire. Cela ne m’aurait pas dérangé. Je vous avoue que j’avais l’impression d’être le mec en bonne santé qui va à une réunion de cancéreux en rémission. La sensation est étrange car j’étais partagé entre le fait de vouloir profiter de cette expérience clinique capitale, tout en me demandant si ma présence n’était pas déplacée. Mon ami m’a rassuré en me disant que je constaterai que la parole aux AA était vraiment libre et que je pouvais dire ce que je voulais.

Une fois là-bas, nous nous sommes d’abord rendus dans une salle où l’on peut fumer des clopes et boire un café sans qu’un quelconque décret liberticide ne nous emmerde. Arrêter de boire est un enfer, s’il faut en plus cesser la clope, ce serait mission impossible. Puis la réunion proprement dite commence à l’heure exacte et durera deux heures. Je prends place autour d’une immense table pas très loin de la modératrice qui coordonnera tout au long de la soirée les interventions des participants.

Un principe de base des AA est l'anonymat : tous les participants sont ainsi égaux, aucun ne peut donc être médiatisé ou stigmatisé plus qu'un autre. Il n'y a pas de thérapeutes, ni d'encadrement d'aucune sorte. La méthode repose sur un programme de relèvement en 12 Etapes, l'échange d'expériences forces et d’espoir et le partage d'émotions. La réglé est : « Un alcoolique qui parle à d'autres alcooliques ».

Les AA n'acceptent ni dons, ni subventions, afin de préserver leur indépendance, et s'autofinancent, pour le café servi au cours des réunions par exemple. Dans les cas où les mairies ou les églises prêtent leurs locaux pour la tenue de réunions, les AA préfèrent s'acquitter d'un loyer, toujours pour garder leur indépendance. A la fin de la réunion, un petit sac en tissu circule dans lequel, les participants sont invités à mettre la somme d’argent qu’ils désirent. Pour certains ce sera un euro pour d’autre plus, rien n’est imposé. Souvenez-vous que certains grands alcooliques peuvent fréquenter une réunion par jour voir plusieurs par jours tellement ils en ont besoin !

De même, les AA refusent d'être reconnus d'utilité publique. C’est une démarche tellement rare, à une époque ou tant d’«associations bidons», recherchent ce statut pour pomper le contribuable qu’il faut le souligner ! Les AA obéissent donc à des principes libéraux et c’est sans doute pour cela que cela marche ! Des gens préoccupés par un problème grave, se réunissent pour le traiter sans exiger la médiation de l’état ou de ses collectivités publiques ou de je ne sais quelle profession diplômée d’état !

Les AA ne prétendent pas se substituer à la médecine mais souhaitent uniquement apporter un soutien bénéfique aux alcooliques, abstinents ou non. Tout alcoolique ayant le désir d'arrêter de boire peut assister aux réunions des AA. Dans les villes ou régions où il existe de nombreux groupes, on peut ainsi assister à plusieurs réunions par jour. C’est ce que font les alcooliques extrêmement motivés et c’est le gage d’un meilleur succès. Il n'y a pas de notion d'inscription ou de cotisation : chacun est libre d'assister au nombre de réunions qu'il souhaite, de se présenter ou non, de parler ou non.

Les réunions AA proposent de suivre un programme de rétablissement en douze Étapes, et ce dans le respect des douze traditions de l'association. Vous trouverez ce programme détaillé sur le site des AA.

Il y a essentiellement deux types de réunions :

  • Les réunions ouvertes au cours desquelles les membres racontent comment ils ont bu, comment ils ont connu les AA et comment le programme les a aidés. On peut y amener des parents ou des amis. Habituellement, toute personne intéressée par les AA est aussi la bienvenue à ces réunions ouvertes. C’est à ce type de réunion que j’ai assisté.

  • Les réunions fermées Les réunions fermées sont réservées aux membres des AA ou à toute personne qui pourrait avoir un problème d'alcool. Elles donnent aux membres, l'occasion de parler entre eux des problèmes reliés à leur habitude de boire et des efforts qu'ils ont fait pour acquérir une sobriété durable. Elles permettent aussi d'explorer en détail les divers éléments du programme de rétablissement. Elles permettent aussi de créer un véritable lien social trop souvent négligé lors des thérapies dans lesquelles le patient se retrouve seul sitôt le cabinet du psy quitté. .

J’ai pu noter que les alcooliques étaient souvent des gens extrêmement sensibles ayant un véritable besoin de religiosité au sens étymologique « religare », c’est à dire un besoin d’être reliés ! Ce type d’association, en offrant un lien social extrêmement fort, édifié au travers d’un combat très dur, permet à ces personnes de substituer à la dépendance alcoolique négative, une forme de nouvelle dépendance bénéfique représentée par le lien social dérivant parfois vers l’amitié voire de l’amour, puisqu’il arrive que des couples se forment.

Les imbéciles pourraient me rétorquer que troquer une dépendance contre une autre n’est pas très intelligent. Ce à quoi, je rétorquerai que nous sommes tous dépendants : tentez de cesser de respirer et vous comprendrez combien l’oxygène est une dépendance !

Comme je l’expliquais dans un ancien article traitant de la cigarette, il existe parfois chez certaines personnes une tendance plus forte à la dépendance. C’est sans doute du à une vulnérabilité génétique, se traduisant par quelque phénomène neurobiologique encore méconnu. J’ai d’ailleurs pu constater chez ces alcooliques abstinents qu’une immense majorité fumait. La dépendance, qu’elle soit à l’alcool ou à la nicotine n’est donc pas affaire que de volonté mais bien le résultat d’un héritage génétique avec lequel on devra vivre.

Les témoignages que j’ai entendus étaient bouleversants de sincérité. Certains plus que d’autres bien sur car la qualité de l’orateur compte aussi de même que sa sincérité. Quelques uns m’ont vraiment touchés, et j’imagine quel courage il faut, et quel chemin terrible il a fallu parcourir pour pouvoir ainsi de mettre à nu sans pour autant jamais sombrer dans l’exhibitionnisme. Autour de la table, le prolo côtoie le chef d'entreprise, unis pour lutter contre le fléau de l'alcoolisme. Les timides et peu assurés, nouveaux dans le groupe côtoient les anciens qui sont abstinents depuis plus de dix ans. Tandis que certains hésitent, employant des mots simples, trébuchant, se hasardant tout de même à vouloir rendre compte de leur parcours, d'autres parviennent à développer un discours construit témoignant de leur culture.

J’ai pu constater combien le groupe, en ce qu’il permet à un individu de ne plus se sentir isolé par cette pratique tellement décriée et honnie, était important. J’ai aussi constaté que les femmes, chaque fois qu’elles témoignaient, expliquaient combien elles avaient eu honte de leur état, et combien elles avaient été rassurées de voir que d’autres femmes vivaient le même enfer. J’ai été touché par le fait que certaines, nouvellement arrivées avaient repris courage en constatant, que d’anciennes alcooliques, pouvaient après des années d’abstinence, retrouver leur dignité de femme, en se permettant d’être de nouveau féminines et coquettes.

Bien entendu, si vous attendiez plus de précisions sur ces témoignages, c’est impossible, car ce qui se dit aux AA, doit rester aux AA, c‘est une promesse que l’on fait et à laquelle on se tient. C’est pourquoi c’est justement anonyme.

Si vous vous demandez ce que j’ai pu dire, c’est simple. Etant le seul nouveau venu, on me dévisageait et la plupart se demandaient qui j’étais et ce que je venais faire. Certains imaginaient que j’étais sans doute un alcoolique honteux, ayant des scrupules à me présenter. Et un des participants m’a encouragé. J’ai donc simplement dit : « Bonjour, je suis Philippe, je suis psy. Je sais combien l’alcoolisme est la pire des choses. Je sais aussi que seul, je suis totalement impuissant pour aider efficacement mes patients alcoolo-dépendants car je ne peux être qu’un catalyseur. L’enfer commence pour eux dès qu’ils sortent de mon cabinet pour se confronter à la vraie vie. C’est pourquoi, j’ai toujours encouragé chacun d’entre eux à venir vous voir et à fréquenter vos groupes pour bénéficier de votre soutien. Ce soir, je suis donc particulièrement touché d’être parmi vous et je vous remercie sincèrement de votre accueil. ».

La réunion a pris fin. Nous nous sommes donnés la main, et nous avons tous récité la prière rituelle, que l’on attribue généralement à Marc-Aurèle et qui dit :

Mon Dieu, donne-nous
La sérénité d’accepter les choses que nous ne pouvons pas changer,
Le courage de changer les choses que nous pouvons,
Et la sagesse d’en connaître la différence.


J’ai toujours aimé le stoïcisme et j’étais ravi de retrouver la sagesse limpide et simple de cette philosophie en ces lieux.

Alors que bien souvent, mes patients alcooliques me mentent, venant me raconter leur messe, par crainte d’être jugé par quelqu’un qu’ils imaginent trop peu concerné par la gravité de leur problème pour en comprendre l’étendue, j’ai pu ce soir me confronter à leur réalité livrée sans fard.

J’ai aussi pu constater ce soir que lorsque des personnes motivées cherchent par elles-mêmes le moyen de s’en sortir, leur créativité aboutit, avec peu de moyens à de grands résultats. Je persiste donc à faire confiance à l’initiative privée et continue de croire en la créativité de l’individu confronté à ses problèmes qui lui permet de bâtir des solutions au travers d'une vraie solidarité et non d'une pseudo-solidarité frelatée et gonflée d’argent public comme nous l'impose toujours l’état.

Je reste donc viscéralement attaché à l’idée de détermination, qui se rapproche de la motivation véritable, que j’opposerai toujours à la volonté imbécile qui ne donne jamais rien parce que lutter contre soi n’amène que désespoir et frustration. Pour cela, je conspue encore et toujours Xavier Bertrand qui aurait du rester dans les assurances. Je note aussi que le pouvoir est plus prompt à jouer les durs face aux cigarettiers essentiellement américains, que face aux producteurs d'alcool souvent français et électeurs.

Je remercie encore une fois mon ami de sa confiance qui m’a permis de vivre cette expérience unique et cliniquement passionnante.

3 Comments:

Blogger El Gringo said...

Une réunion libérale… c'est pour ça que Renaud n'a pas pu y aller ;-)

31/3/07 12:24 PM  
Blogger philippe psy said...

Oui, ça a du l'emmerder que l'état ne soit pas partie prenante ! C'est pour cela qu'il a longuement hésité avant d'aller aux AA.

Renaud devait boire pour oublier qu'il était Renaud !

31/3/07 3:14 PM  
Blogger Oxymore said...

Bonjour,

Merci pour vos écrits. Je dois dire qu'au début, le personnage du mégalo qui s'amuse de lui même m'a un peu agacé mais une fois habitué, c'est un réel plaisir de vous lire.

Bon, la pommade est passée, on rajoute le "plus culturel" du pack de lessive et on est bon.

Le fondateur des alcooliques anonymes était venu voir Jung. Soigné, puis rechutant, celui ci lui avait conseillé de se rendre dans une église, espérant que "Dieu" pourrait l'aider (Bon, je la fais courte, sans le blabla théorique). Ca a marché apparemment puis non seulement il n'a plus bu une goutte mais il a fondé la structure des AA.

Ca explique notamment le coté ritualisé/religieux qu'on peut trouver dans ces structures au premier abord.

Bon allez, il reste encore deux ans d'archives, j'y retourne !

22/10/10 12:20 PM  

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