12 avril, 2007

Je hais ce genre de branleurs !


Rien de pire que les patients qui viennent consulter sans symptômes apparents !

Rien de pire que la clientèle masculine, passée l’âge de trente-cinq ans !


Voici peu de temps j’ai eu le droit à la combinaison des deux. C’est à dire que le pire avait pris les traits d’un sémillant jeune homme âgé de trente-six ans, venu dans mon cabinet, souriant et marrant, manifestement venu dans mon cabinet, pour boire, un café, se fumer une clope et me raconter des choses graves en faisant semblant de n’y attacher aucune importance : un homme de plus de trente-cinq ans sans symptômes apparents !

Mon radar personnel avait détecté le fossé entre le cinéma qu’il me faisait et la réalité de son état. Non que je sois devin mais simplement, si la bouche peut mentir, le corps ne le peut pas. Trop d’agitation chez ce jeune homme, trop de sourires forcés, et puis des comportements addictifs importants et incohérents chez un type a priori sérieux et doté d’une aussi sérieuse formation. Le prototype même du blaireau de mec qui, même à demi détruit ne veut pas renoncer à son image idéale à deux balles !

Dans ces cas-là, je suis dans la situation du dentiste qui voit arriver dans son cabinet, un mec avec un abcès dentaire qui lui gonfle la joue, mais qui persiste à dire : « non tout va bien docteur, je suis juste venu pour un détartrage ».

Comment faire face à ce genre de patients ? Soit, on écoute patiemment et on attend qu’il crache sa Valda, soit on peut provoquer les choses, faire décompenser gentiment le patient, après l’avoir mis en confiance, pour lui faire comprendre, que c’est mon métier d’entendre ce qu’il a me dire, que je ne suis pas là pour le juger mais pour l’aider, etc.

Sauf que cette méthode, si elle marche bien dans quatre vingt dix neuf pour cent des cas, présente des risques pour le pour cent restant. Parfois, les problèmes sont là depuis tellement d’années, avec de telles défenses, que si vous ouvrez la moindre brèche, cela vous saute à la gueule. Un peu, comme si vous ouvriez d’un coup de scalpel une plaie suppurante et que la sanie vous gicle au visage.

Mais, en chirurgie, j’aurais pu mettre un masque, alors que dans mon métier cela n’existe pas, on ne peut pas se protéger de la décompensation, c’est à dire de strates de problèmes accumulés les unes sur les autres, et qui s’écroulent. Si j’osais une autre métaphore, c’est comme si vous ouvriez doucement un placard de cuisine fort mal rangé et qu’à peine entrouvertes, les portes vous échappent des mains et que des piles d’assiettes vous tombent sur la tronche !

Le stress libéré trop rapidement produit des effets surprenants et parfois dangereux, qu’on nomme communément le « pétage de plomb ». Alors mieux vaut y aller doucement quand vous pressentez que la personne en face de vous est trop polie pour être honnête et, comme qui dirait, sous pression et prête à craquer. Aucune envie que le mec se jette sur moi dans une crise d’angoisse paroxystique ou bien que, pris d’une impulsion subite, il saute par la fenêtre !

C’est pour cela que j’ai coutume de dire, que plus il y a de symptômes, mieux c’est ! C ‘est que la plaie suppure, que les défenses sont à bout de souffle, et que je n’ai plus qu’à me pointer pour réparer tranquillement. Avec des symptômes, je suis face aux problèmes directement et je peux dans ma tête faire mon petit devis tranquille ! Ensuite, je peux annoncer à la personne, ce dont elle souffre, ce que l’on peut envisager comme stratégie, lui proposer une petite analyse fonctionnelle, et même lui dire le temps que cela prendra.

Sans symptômes apparents, avec juste les mensonges de mon patient qui joue les beaux, je suis comme un mec qui constate une panne et qui se demande où elle se situe, et si il ne va pas être obligé de tout démonter, en ne sachant rien de l’étendue du problème. Et en fin de journée, après onze rendez-vous, je n’ai pas forcément envie de mettre un moteur par terre et de trifouiller dedans au risque en plus de me faire mal en me coinçant les doigts.


Voilà dès le départ, ce mec me posait un problème. Pas tant techniquement, parce que si c’est psychologique, il n’y a rien que je ne puisse résoudre, que relationnels, parce que le mec est fuyant et qu’il ne me laisse pas approcher. Tout à fait le genre de mec que j’ai envie d’aiguiller chez un confrère parce que je sens les emmerdes arriver pour pas grand chose ; parce qu’en plus ce n’est même pas un beau cas qui flatterait mon narcissisme et justifierait des risques. Non, juste un cas banal de dépression survenant chez un nul qui est incapable de s’avouer un échec : le profil de l’immature type.

Donc le premier rendez-vous se passe correctement mais sur le ton de la discussion badine, genre coaching. Je le raccompagne à la porte en me disant que lorsqu’il sera décidé on avancera : après tout, je suis payé et je m’en fous, c’est lui qui souffre et qui paye !

Second rendez-vous, son état s'est naturellement aggravé. Il se plaint de troubles somatiques terribles, qui l’angoissent parce qu’il a peur d’avoir un cancer. Tous les examens s’étant révélés négatifs, je le rassure en lui disant que c’est sans doute un symptôme somatique sans réelle gravité et non une tumeur du cerveau. Que comme il a peu de symptômes psychologiques, de symptômes dépressifs apparents, son corps « prend le relais » et témoigne de son mal-être, en lieu et place de lui. Il me comprend mais son angoisse ne cesse tout de même de monter !

Pour plus de sécurité, je lui fais passer un IDB, un test pour mesurer l’amplitude de la dépression, laquelle se révèle grave. L’incohérence entre l’ampleur de la dépression et sa manière de se présenter me laisse craindre le pire, à savoir la décompensation brutale et sévère. De plus, alors qu’un médecin lui a prescrit des médicaments, cet abruti ne souhaite pas les prendre et je ne parviens pas à le convaincre. Il m’écoute mais reste buté. C’est tout à fait le genre de mec que vous avez envie de pousser vers la sortie en lui demandant d’aller péter les plombs ailleurs !

Comme je suis gentil, je ne le fais pas, et je reste sous contrôle, persistant dans notre conversation badine. Tandis qu’il surjoue le mec bien qui n’a pas grand chose, moi, je persiste, dans mon rôle de gentil coach en m’axant sur ses problèmes professionnels qui sont la partie émergée de l’iceberg.

Et voilà que, alors que je lui montre quelque chose en faisant un schéma, il me pète enfin un plomb, me coupant dans ma phrase. D’un seul coup, il se met à me dire que je ne lui conviens pas, que lui, il est venu pleurer, qu’il est venu se raconter, et non faire du coaching. Je ne l’arrête plus. J’ai le droit à tous les reproches de la terre. Si je le laisse, bientôt il va m’apprendre mon métier ce trou du cul !

Ma nature profonde a envie de le lever de son fauteuil, de le prendre par les cheveux, qu’il porte longs, et de lui botter le cul jusqu’à la sortie en le traitant de gros con ! J’ai envie de lui dire, que justement je n’attendais que cela, qu’il parle de ses problèmes, et que s’il avait été moins con, il aurait déjà commencé la semaine d’avant au lieu de jouer les beaux, que mon cabinet n’est pas là pour cela ! Je lui en veux terriblement de me faire porter le poids de sa connerie ! En plus, mon téléphone sonne et c’est Rantanplan qui me propose d’aller boire un coup ! Putain il tombe bien celui-là même si je préférerais boire un coup en terrasse avec lui que d’écouter les reproches de l’autre naze !

Mais comme je suis un professionnel, et que j’avais prévu ce genre de décompensation, même si je déteste ce genre de patients, je reste coi, faisant mes petits exercices cognitifs dans ma tête (« calme-toi Philippe, ne lui mets pas ton poing dans la gueule, il est malade, tu le sais, etc. »). Et l’écoutant patiemment, sans rien montrer de mon énervement, je me dis que dans dix minutes, il sera calmé, qu’il faudra que je le rattrape en douceur si je ne veux pas qu’il se barre en pleurant pour aller se jeter sous les roues du métro.

Finalement, après avoir ramé, beaucoup ramé et joué les faux calmes, je rattrape sa crise et je le reprends sous contrôle. Je le quitte en lui conseillant de se mettre au vert durant deux semaines, et de prendre ses médicaments. Je lui explique que si je ne lui conviens pas, qu’il n’y a aucun problème mais le rassure en lui redisant que ce qu’il a est plus phénoménal que vraiment grave. Il m’assure en partant qu’il me tiendra au courant. Je ne sais même pas s’il me rappellera.

Je mets ma veste, éteins les lumières et je suis tremblant de rage ! Comme il est difficile d'aller contra sa nature ! Je bouillonne de colère et lorsque je reprends le métro, j'ai l'impression d'être rouge et que tout le monde voit mon état de nerfs ! Et durant tout le trajet, je ne cesse de me demander si je n'aurais pas du lui faire fermer sa gueule pendant qu'il piquait se crise !

Dans les faits, et en étant carré, je me fous bien de le revoir ou pas, je ne suis pas à un patient près. Toutefois, je déteste, comme ce soir, m’en être pris plein la gueule, m’être laissé engueuler injustement, dans MON cabinet sur MON territoire, sans avoir l’espoir d’une belle revanche pour lui mettre enfin sa branlée en lui montrant que c’est MOI le maître et qu’on m’écoute si on veut aller mieux !

Je déteste rester sur un échec ou semi-échec. Finalement, je rêve de le voir revenir pour que dans quelques semaines, enfin grandement amélioré, il puisse s’excuser platement et sincèrement afin que, grand comme je sais l’être, je puisse lui dire « je vous en prie, vous étiez stressé, ce sont des risques inhérents à mon métier ».

J’ai beau détester ce genre de clientèle, POURVU QU’IL REVIENNE !

Mais pour relever le débat, ne pas se laisser emporter par des ondes négatives, laissons la parole à un sage stoïcien. Je crois que Marc-Aurèle conviendra parfaitement :

« Dès l'aurore, dis-toi par avance : Je rencontrerai un indiscret, un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un insociable. Tous ces défauts sont arrivés à ces hommes par leur ignorance du bien et des maux. Pour moi, ayant jugé que la nature du bien est le beau, que celle du mal est le laid, et que la nature du coupable lui-même est d'être mon parent, non par la communauté du sang ou d'une même semence, mais par celle de l'intelligence et d'une même parcelle de la divinité, je ne puis éprouver du dommage de la part d'aucun d'eux, car aucun d'eux ne peut me couvrir de laideur. Je ne puis pas non plus m'irriter contre un parent, ni le prendre en haine, car nous sommes nés pour coopérer, comme les pieds, les mains, les paupières, les deux rangées des dents, celle d'en haut et celle d'en bas. Se comporter en adversaires les uns des autres est donc contre nature, et c'est agir en adversaire que de témoigner de l'animosité ou de l'aversion.»
Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre II, pensée 1, Edition Garnier-Flammarion

8 Comments:

Blogger Laure Allibert said...

Malheureusement il n'y a pas d'âge pour être immature... Et je me demande si pour les dépressifs le traitement "en douceur" est la meilleure solution (j'entends, pour ceux qui ne sont pas au bord du suicide).

12/4/07 6:50 AM  
Blogger Alexis said...

Je suis aussi un "fan" du grand Marc-Aurèle.

12/4/07 11:47 AM  
Blogger El Gringo said...

Rabattre le caquet d'un client agressif en piétinant au passage le principe qui veut que ce client soit "roi", est une grande satisfaction.
Le goût de cette victoire est une des saveurs indispensables de la vie et en être privé est insoutenable.
Si tu viens pisser sur mon territoire, je n'aurai de repos qu'après t'avoir détruit!

NB: C'est fou le nombre de gens n'ayant pas compris que la flatterie est beaucoup plus efficace que l'agressivité.

12/4/07 11:59 AM  
Blogger philippe psy said...

L'agressivité est quelque chose de naturel mon cher Gringo. Et tu auras noté que je reste humain et que je ne me vante pas d'être une machine.

Et puis il s'agit là d'un cas spécifique, d'un petit con à qui je dois donner une leçon dans un but thérapeutique ! La rège ou le respect de la règle fait partie de la thérapie. Parfois,d u fait des risques de décompensation, je suis obligé de m'effacer, ce qui ne veut pas dire que cette "gentillesse" doive etre assimilée à de la "faiblesse". C'est à moi de gérer la relation.

13/4/07 4:50 AM  
Anonymous Anonyme said...

Pour ma part, sans m'ériger en défenseur de Philippe...il n'a justement pas été agressif car ce n'était pas possible apparemment dans le cas exposé!
Mais je peux témoigner que si on ne m'était pas "rentré dedans" pour me démontrer les défenses mises en place et bien je serai toujours dans la repetition du même schéma!

Simplement, merci!

P.S: Dois-je claquer mon salaire de "ministre" chez tous les bouquinistes de Paris où as tu des ouvrages de stoiciens à prêter?
Car très intéressant!

13/4/07 10:49 AM  
Anonymous Anonyme said...

oho... que de stress et de refoulement dans tout cela... boddisatva phillipe aurait-il perdu de sa sérénité? Une petite thérapie serait peut être une bonne idée? Je préconise une séance chez un psy, juste pour le plaisir de l'envoyer se faire voir...

13/4/07 1:51 PM  
Blogger El Gringo said...

J'ai parlé de clients agressifs qui n'ont pas compris qu'ils obtiendraient plus par la flatterie.
J'en ai rencontré, moi aussi, dans ma vie professionnelle et je comprends totalement qu'on ait la volonté d'avoir le dernier mot face à ce type d'individus.
Me serais-je mal fait comprendre?

13/4/07 9:22 PM  
Blogger philippe psy said...

cher Lapin jaune, j'ai jamais été serein ni zen. Beurk !

Cher Mc Fly, tu n'as rien de commun avec ce type, heureusement !

Cher El gringo, effectivement, je ne t'avais pas compris !

14/4/07 1:33 AM  

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