08 avril, 2007

Sean et le management pas participatif du tout !


Hier soir, lors de la soirée chez Sean, j’ai bien ri en l’entendant parler de la manière dont il gère sa boîte. Bon, c’est sûr que ses salariés doivent moins rigoler eux ! Mais, comme je n’en fais pas partie, je peux me permettre de rire puisqu'on a coutume de rire du malheur des autres !

Sean, tire peut-être de ses origines slaves, une manière bien à lui de gérer, un peu comme un koulak, sous le règne de feu Nicolas II. Ses connaissances en management sont simples, pas besoin de faire un MBA à Harvard pour apprendre les recettes de son succès : il y a un patron tout-puissant, lui, face à des salariés, taillables et corvéables à merci, qu’il appelle la friture. Le droit social, qu’il subit plus qu’il ne le respecte, est juste là entre eux et lui, pour leur éviter les coups de knout.

Sean est pourtant intelligent et très sensible, mais en termes de management, il n’a jamais pu se faire à des méthodes plus évoluées. Il est un peu comme ces gamins épais, qui veulent un jour jouer du piano et prennent des cours. Après une dizaine de cours durant lesquels, ils se contenteront de massacrer un morceau simple, de leurs doigts gourds et malhabiles, en martelant le clavier, ils cesseront frustrés en cassant le piano.

Sean, est comme eux, il ne manque pas d’envie mais de capacités. Dans sa tête, c’est simplement binaire, sans aucune place pour les demi-teintes, il n’y a que le noir et le blanc. Le blanc, c’est quand on fait comme il l’exige, et le noir, c’est l’inverse. C’est simple et presque militaire. Je dis bien, presque militaire, parce que l’armée a fort heureusement des constantes, que Sean n’a pas. Avec Sean, ce qui est blanc un jour, devient noir, le lendemain et vice-versa, sans prévenir : c’est binaire et très fluctuant. Comme vous le voyez, la règle est stricte mais son application erratique au grès des humeurs de Sean, parce que c’est un grand sensible et pas un psychorigide.

Un jour vous êtes à un poste, le lendemain à un autre, le surlendemain, vous reprenez votre ancien poste, et à la fin de la semaine vous recevez votre lettre recommandée de convocation à un entretien préalable de licenciement. Il suffit de déplaire à Sean pour être viré, et déplaire à Sean est facile ! Vous lui aurez souverainement déplu, parce que vous n’avez pas voulu travailler quinze heures par jour, ou parce que vous ne l’avez pas salué assez bas, ou que vous aviez les mains moites, ou parce que Sean était dans un mauvais jour. Avec Sean, il y a des jours avec et des jours sans, il est comme tout le monde. Sauf qu’avec lui, ce sera un jour avec vous et le lendemain sans vous.

Sean peut cependant être très sympa avec les esclaves qui restent encore à travailler pour lui. Ainsi Urbain, nous a raconté que vendredi en fin de journée, juste avant notre soirée, Sean avait payé un pot à ses salariés à la brasserie d’en face. Urbain nous décrivait les salariés pétrifiés, serrant d’une main aux jointures blanches leur verre, le visage luisant de sueur, la bouche crispée en un rictus hésitant entre la peur et le sourire forcé. Au milieu d’eux Sean, pérorait, rigolard et tranquille, gros Staline débonnaire, persuadé d’être un patron moderne et cool. C’est sympa d’être convié à prendre un pot avec Sean, c’est très détendu, un peu comme si vous aviez le rôle d’un souriceau aculé dans un coin de pièce face à un énorme chat qui meurt de faim.

Le problème, c’est que Sean ne lira jamais un ouvrage de management, parce que j’imagine qu’il est persuadé que sa manière de faire est la meilleure et sans doute l’unique. Mais j’ai la chance d’être lu par Sean, et c’est pour cela que je propose aujourd’hui un article simple dédié management.


Alors, voilà, affirmons le à un Sean ébahi, il existe plusieurs styles de management. Si ! Je l’assure à Sean qui décidément n’en revient pas, qu’une société n’a pas forcément à être gérée comme un goulag ! Là, j’imagine Sean en pleine dénégation, remuant sa grosse tête, avec l’air ahuri du mec à qui on vient d’annoncer qu’il a un deuxième anus !

Ainsi, on peut pour définir ces styles de management, utiliser la grille issue des travaux de Blake et Mouton. Cette grille permet de les définir simplement en utilisant deux dimensions que l’on place dans un repère orthonormé :

  • En abscisse, on place l’accent sur les résultats, sur une échelle allant de 0 à 10. Il s’agit de l’intérêt porté à la production, aux activités et aux procédures permettant de les atteindre ;

  • En ordonnée, on place l’accent sur l’humain, sur échelle allant de 0 à 10. C’est la prise en compte des besoins, des attentes des salariés et même de la personnalité des collaborateurs ;

  • En croisant ces deux dimensions, on identifiera 5 styles de management, comme sur e schéma ci-dessous :


Les cinq styles de management sont donc, comme sur la photo :

  • Le style 1.1 est dit permissif, où le manager laisse faire ou s'efface devant les procédures, ou les règles du métier. Un effort minimum permet aux salariés de faire le travail et de maintenir leur adhésion avec l’organisation. C’est le management appauvri. Bienvenue dans l’administration où l’on se fout du résultat, l’important étant de respecter la procédure, ce qu’il y a dans le manuel !

  • Le style 9.1 est dit transmissif. C’est celui du despote autoritaire qui demande la soumission totale du subordonné afin de parvenir aux objectifs. L’efficacité est atteinte en ne se souciant jamais des attentes psychologiques du salarié : on est là pour produire pas pour faire de la psycho ! Dans ce cas, vous êtes chez Sean, patron du XIXème siècle, et je vous souhaite bon courage ;

  • Le style 1.9 est dit associatif. On cherche avant tout à combler le salarié, à travailler dans un cadre agréable au détriment de la productivité ;

  • Le style 9.9 est dit incitatif, et recherche l'intégration optimale des deux types d'exigences. C’est la quadrature du cercle puisque la productivité est au top et les salariés choyés ;

  • Le style 5.5 est dit institutionnel, et privilégie les compromis réalistes mais souvent peu ambitieux entre bon moral des collaborateurs et productivité correcte : c’est l’antimanagement ;


Le style pratiqué est en général un mélange de plusieurs styles types, mais l'un d'entre eux est dominant. Il convient de distinguer les styles « de façade » et les styles réels.

Blake et Mouton, qui ont créé cette grille, expliquent que le style 9.9, dans lequel on est parfait à tout point de vue, est celui vers lequel on doit tendre. Ils admettent que parfois on puisse dériver vers le 9.1 ou le 5.5, pour cadrer les choses, selon les circonstances. Selon eux, l’efficacité s’accroît avec le leadership du manager pour aller du style 1.1. au style 9.9. Avec eux, donc on va en haut à droite, mais on y va en godillant. C’est simple et un peu simpliste.

Comme en management, il y a toujours un nouveau gourou pour remplacer l’ancien gourou, et se faire des couilles en or, en faisant des bouquins, et en vendant des formation, Blake et Mouton, ont été critiqués !

Ce modèle à deux dimensions est en effet incomplet. Il a certes le mérite de définir cinq styles de management mais son application est limitée. En effet, remarqueront Hersey et Blanchard, un même style peut-être efficace ou inefficace selon les situations et perçu de façon positive ou négative selon les collaborateurs. Le monde de l’entreprise n’est pas un monde idéal dans lequel, vos collaborateurs vuis suivrotn simplement parce que vous êtes charismatiques et que vous managez en style 9.9 ! Comme l’a bien saisi mon ami Sean, parfois les salariés sont des feignants qu’il faut cravacher pour en tirer quelque chose, ou alors il se reposeront, attendant leur paye entre deux arrêts de travail. Et comme ces deux chercheurs ne sont pas des cons, ils dégagent leurs prédecesseurs, pour se faire du blé à leur place, et crèent leur propre théorie : Le Leadership situationnel !

Par exemple en termes négatifs, on dira du manager 9.1 tel que l’est Sean, que c’est un salaud qui ne fait pas confiance et ne s'intéresse qu'aux résultats. Toutefois, dans certaines situations bloquées, il fera merveille, notamment lorsque des manières fondées sur le dialogue ont échoué ! Pour les amateur d’histoire, c’est une sorte de Patton qui vous refait la percée d’Avranches, et vous évite d’être rejeté à la mer par les allemands !

Le manager 1.1 qui peut sembler, dans les cas défavorables, totalement absent, passif et se désintéressant de tout ! Dans les cas favorables, structures bien précises, rassemblant des gens de très haut niveau et fortement indépendants, il sera considéré au contraire, comme permettant à ces derniers de décider par eux-mêmes en intervenant le moins possible : c’est le parfait secrétaire de club de golf !

Hersey et Blanchard font ainsi l'hypothèse que n'importe quel style peut être efficace ou inefficace selon le degré de maturité professionnelle des collaborateurs. En gros, il n’existe pas de style idéal mais un style adapté aux gens qu’il faudra manager, ce style évoluant en fonction de l’évolution des collaborations.

Cette maturité professionelle ne doit pas être confondue avec la maturité psychologique: elle est uniquement relative au travail. On rira qu’un individu est « professionnellement mature », s’il est capable de s'autodiriger dans sa tâche, se sentant responsable et motivé par ses propres résultats. Ce degré de maturité dépend donc de la compétence et de l'intérêt pour le travail. Le schéma ci dessous vous l’explique fort bien :

Ces deux chercheurs distinguent 4 niveaux de maturité :

Maturité faible D1: connaissances faibles et peu motivés.

Maturité moyenne-faible D2 : connaissances faibles et motivation élevée.

Maturité moyenne-élevée D3 : connaissances adaptées mais motivation faible.

Maturité élevée D4 : connaissances adaptées et motivation haute.

Par exemple, un jeune qui débuté, sera probablement moins mature qu'un ingénieur engagé dans la réalisation d'un projet passionnant. Avec le premier, un style à dominante 9.1 risque d'être efficace au départ; mais il serait désastreux avec le second.

Cette maturité professionnelle évidemment est susceptible d'évolution et c’est au manager d’accompagner cette évolution en adaptant son comportement. Très présent et exigeant au départ, il doit peu à peu développer les aspects relationnels puis laisser de plus en plus place à l'initiative des collaborateurs pour finir par gérer ses affaires du pont d'un bateau superbe dans les Caraïbes.

Toutefois, méfions-nous, car cette évolution n'est pas irréversible. Le salarié n'est pas fiable, on sait que c'est une feignasse qu'il faut sans cessez surveiller, alors n'imaginez pas qu'une fois sur les rails, il va faire ce que vous lui aviez prescrit pendant que vous glandez au soleil! Il peut y avoir des régressions et l’on enregistre parfois une baisse du moral ou de l'efficacité. Cela se passe parfois en cas de rachat de l’entreprise ou bien quand un manager respecté laisse sa place à un autre. Le manager doit alors adapter son attitude à cet état de fait pour revenir à un style plus directif avec des collaborateurs de maturité moyenne par exemple tandis qu’il témoignera de plus d'attention et de considération, à ceux étant déjà à un niveau de maturité élevé.

Le problème le plus fréquent (c’est bien celui de Sean) dans les relations hiérarchiques habituelles, c'est un comportement stéréotypé du manager qui répondra de la même façon en toutes circonstances. De ce fait, l'évolution de la maturité des collaborateurs sera généralement bloquée à un niveau moyen.

C’est là tout le problème de mon ami Sean. Recruté pour reprendre une entreprise ayant de gros problèmes, il a été choisi pour ses méthodes de tueur. Tandis que son prédécesseur, plus empathique, plus disponible et souple, s’était cassé les dents face à des salariés peu efficaces, englués dans des habitudes contreproductives, Sean, lui, a plutôt cassé les dents des salariés. Son management de boyard très typé 9.1, qui lui a valu le doux surnom de Léon, s’avère aujourd’hui, totalement inadapté à une entreprise remise à flot et dotée de salariés ayant une maturité plus élevée.

L’idée de délégation, est précisément un passage à une forme adulte de la relation managériale entre manager et collaborateurs. Le retrait relatif du manager par rapport à l'initiative du collaborateur devrait être l’aboutissement naturel et désirable ; ce qui n'exclut pas sa disponibilité et sa vigilance constante. En gros, il laisse faire des salariés formés et sérieux, les surveille tout de même et vient mettre ses mains velues dans le tiroir caisse en fin de semaine.

Urbain, qui rigolait lors du pot que Sean offrait à ses salariés tremblants de peur, occupe à peu près les mêmes fonctions que Sean dans une autre entreprise. Il a fort bien compris cette idée de délégation car ses salariés sont dotés d’une maturité élevée de type D3 ou D4. Tandis qu’ils bossent, Urbain peut glander tranquillement se goinfrant aux tables étoilées Michelin de France et de Navarre. C’est aussi cela la recette d’un bon management.

Mais la recette idéale, c’est de mettre Sean en frontal pour laminer le terrain, genre tapis de bombes, et une fois la paix réalisée, d’imposer Urbain.

Le coin des passionnés qui aiment lire et approfondir :
  • "Les deux dimensions du management", Robert R. BLAKE, Jane S. Mouton, Éditions d'Organisation, 1972.
  • "Management of Organizational Behavior: Leading Human Resources", Paul HERSEY, Ken BLANCHARD, Dewey E. JOHNSON, Uniquement en angliche !


Les salariés de Sean attendant le patron le matin. Notez les sourires épanouis !

3 Comments:

Blogger El Gringo said...

Presque 2 heures du mat, il serait temps d'aller au lit, surtout pour ceux qui veulent voir le Grand Prix tout à l'heure. Un petit tour sur l'excellent blog "PSYCHOTHERAPEUTE" et … rien.
Pss, on peut être un psy génial et partir gambader bêtement dans un jardin provincial à la recherche de mauvais chocolat industriel dissimulé entre les nains de jardins et le mini-bassin ornemental en béton bleu; chacun fait ce qu'il veut de ses fins de semaines.
Ce matin, après le Grand Prix, je me rends compte de la dimension iconoclaste de mes viles suppositions: Trois posts (pardon, trois articles) rédigés pendant que je ronflait immodérément.
Pourrais-je jamais expier ma faute?

8/4/07 1:00 PM  
Blogger philippe psy said...

Ben non, me critiquer est la chose la plus grave qui soit !

En plus j'ai écrit ces articles les doigts plein de chocolats !

8/4/07 3:07 PM  
Anonymous Anonyme said...

finalement on se demande s'il aurait pas mieux valu qu'il ait effectivement un deuxième anus...

9/4/07 2:27 AM  

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