05 avril, 2007

Le bonheur est à Vegas !


L’an dernier, j’ai résidé quelques temps dans un grand hôtel de Las Vegas aux Etats-Unis. J’aime bien Las Vegas, c’est une ville, qui à l’instar de New York, possède une énergie extraordinaire. Toujours en mouvement, active de jour, comme de nuit, tous les jours de la semaine, ça provoque une décharge d’adrénaline impressionnante. Je ne connais personne, sauf un crétin dont je vous parlerai un jour, qui soit allé à Las Vegas, et n’en soit pas revenu enchanté, quelques aient été ses à priori sur cette ville que l’on dit artificielle et sans âme.

Donc, dans ma chambre au 34ème étage d’une des tours composant ce gigantesque établissement, j’ai soudain un problème électrique. Je tente de le résoudre mais cela ne marche pas. J’appelle aussitôt la réception qui promet de m’envoyer un technicien rapidement.

Quelques minutes après, ça sonne à la porte et je vais ouvrir. Un type me salue courtoisement en français, ce qui m’étonne un peu quand on connaît l’aversion des américains pour les langues étrangères. La réception, ayant noté que nous étions en français grâce à nos passeports, a choisi ce technicien spécifiquement, ce qui dénote une excellente qualité de service.

Tant son accent, que son apparence laisse augurer que ce technicien est kabyle. On se salue chaleureusement, comme deux être civilisés, perdus au milieu des sauvages du nouveau monde. Il répare prestement le problème électrique et me raconte un peu son odyssée qui l’a amenée de Tizi Ouzou à Las Vegas.

Parti au moment des « évènements des années 90 », alors que l’Algérie est à feu et à sang, il se fixe tout d’abord en Allemagne, avant de s’installer en France. Titulaire d’un diplôme post-bac en électricité, il travaille quelques années, mais sa vie ne lui plait pas. Il est morose, persuadé qu’à moins d’un coup de chance inouï, sa voie est toute tracée et qu’il sait déjà à quel niveau il sera quand viendra l’âge de prendre sa retraite. Tout est tracé et balisé, dans un pays qui a tout prévu. Fuyant les convulsions politiques de son pays natal, il est tombé dans un pays, qu’il imaginait être l’Eldorado, et qui se révèlera être une maison de retraite.

Comme il aime le risque, il persiste à espérer et en surfant sur l’Internet, il découvre une loterie grâce à laquelle, on peut gagner une carte verte afin d ‘émigrer aux Etats-Unis. Il joue et par une chance inouïe gagne ce précieux sésame. Avec son épouse, il décolle vers un pays qu’il ne connaît qu’au travers des films et des documentaires, et dont il ne pratique que très imparfaitement la langue.

Arrivé en Californie, qu’il a choisie parce que le soleil lui rappelle celui de Kabylie, il trouve un travail immédiatement. Son niveau d’anglais médiocre lui barre la route pour tous les emplois un peu qualifiés auxquels il aurait pu prétendre compte tenu de son niveau de qualification. Qu’à ce la ne tienne, puisqu’il est au pays du « marche-ou-crève », il décide de marcher et passera près de deux ans, en poussant une poubelle, pour ramasser les détritus dans les rues de San Diego. Il m’explique que durant ce laps de temps, la vie n’est pas rose, que le salaire est médiocre et les conditions de vie très inférieures à ce qu’il avait en France. Mais il s’accroche.

C’est le temps nécessaire pour lui, de se faire aux us et coutumes américains, de parfaire son niveau d’anglais et aussi pour se constituer un petit pécule pour voir venir. Sitôt à l’aise dans son nouvel environnement, notre homme, ne se contente plus de ce travail médiocre et ambitionne autre chose. Il entend alors dire que Las Vegas, connaît une croissance insolente et que ce sont près de six mille nouveaux habitants qui viennent chaque mois s’installer dans ce nouvel Eldorado perdu dans le désert du Nevada. Las Vegas, les casinos, l’empire du jeu et du hasard : cela plait à notre homme qui emporte ses maigres biens nouvellement, pour courir vers cette nouvelle aventure.


Une fois là-bas, la demande de main-d’œuvre est telle qu’il n’a aucun problème pour trouver un emploi. La ville, par son état d’esprit et son dynamisme outrancier, lui plait. Il s’accroche et peut changer environ tous les trimestres d’emploi, parvenant enfin à faire valoir ses compétences techniques et son diplôme post bac. Tant et si bien qu’il se retrouve employé à la maintenance dans un des plus beaux hôtels de la ville, très peu de temps après y être arrivé. Tandis qu’il me raconte cela, son talkie-walkie, ne cesse de sonner, pour le prévenir de nouvelles interventions. Cela le fait rigoler car il me dit, que c’est cela l’efficacité à l’américaine : pas le temps de souffler, on doit bosser.

Pour clore notre conversation, je lui demande s’il est heureux dans cette nouvelle vie. Sa réponse est immédiate. Il m’explique, qu’il regrette bien sur son pays, et qu’il a apprécié la France, et qu’il compte y retourner en vacances. Mais que toutefois, jamais il ne repartira d’ici et qu’il a même entamé des démarches pour devenir citoyen américain.

Comte-tenu de ce que l’on raconte chez nous des États-Unis, paradis du libéralisme, patrie des travailleurs pauvres, royaume des homeless réunis dans des cités de carton, je lui demande si la vie n’est pas trop dure ici ? Et là, sa réponse est amusante puisqu’il m’explique que par rapport à la France, la vie ici est incomparablement plus dure. Il me confie ensuite, qu’en France, il en venait à angoisser, non à cause de l’imprévu, des tuiles qui pourraient survenir, mais pour l’inverse, parce qu’il avait l’impression, qu’il savait exactement où il en serait en fin de carrière. Et pour conclure, il m’explique : « Ici, la vie est plus dure, bien plus dure qu’en France, mais vous voyez, chaque matin, je me dis que je joue ma vie au poker. Peut-être que je gagnerai ou non, mais l’important c’est de savoir que tout peut changer, chaque jour. Et c’est cela qui me plait ».


C’est effectivement une excellente définition du bonheur. Ce dernier ne dépend effectivement pas des conditions objectives de vie mais de nos capacités cognitives. Quelques soient les difficultés que l‘on traverse, l’important pour connaître le bonheur, c’est de maintenir une porte ouverte permettant d’imaginer autre chose, quitte à ce que cela ne se produise jamais. Lorsque cette porte se ferme, la dépression s’installe.

Dans ce cas, la personne réalise que, quelque soit sa manière de vivre et d’agir, l’environnement agit sur elle, mais qu’elle n’a plus les moyens d’agir sur cet environnement. C’est tellement vrai qu’une expérience, baptisée « Learned helplessness » (« désespoir appris »), a réussi à prouver que le désespoir, s’attrapait aussi bien qu’une grippe pourvu que certaines conditions fort simples soient réunies : c’est de l’épidémiologie qui démontre qu’on peut faire basculer un individu voire une population dans la déprime.

Pour cela, mettez un individu dans un carcan, sans lui laisser la possibilité de faire des choix, en lui ôtant toute possibilité d’action sur son environnement, et vous l’amènerez sans aucun problème au désespoir. Vous pouvez même tenter, cette expérience, en procurant à cet individu un environnement luxueux, la dépression s’installera inévitablement si vous lui ôtez tout choix. Le type de carcan n’est pas important, l’argent ne constituant qu’un filtre venant retarder l’apparition du désespoir, qui survient toujours.

L’absence de risques est un faux problème pour garantir le bonheur au cours d’une vie et un mauvais indice pour définir si cette vie, est heureuse ou non. Le risque est nécessaire, en tant que témoignage de la volonté d’un individu à s’inscrire comme sujet agissant dans son environnement, à quelque niveau que ce soit, même si parfois le risque pris peut sembler incohérent au regard d’autrui. La vie réussie s’entend comme une succession de stratégies d’adaptation réussies afin de poursuivre un but résultant de l’idiosyncrasie de chacun et non comme le fait de suivre un parcours balisé. Nous ne sommes pas des champignons !

Citoyens français d'élevage.

4 Comments:

Blogger El Gringo said...

Ce Kabyle n'avait-il pas déjà joué dans "vive la moto"? ;-)

6/4/07 1:23 AM  
Blogger philippe psy said...

C'est fort possible! Oui j'ai été pris d'un doute et je ne me suis pas abstenu !

Tant pis, c'est un exemple à méditer! Et puis cela me permettra de rédiger un article sur le "désespoir appris"

6/4/07 2:28 AM  
Blogger Laure Allibert said...

A propos de carcan dans lequel on met les individus, ce serait bien qu'un jour vous nous entreteniez de la notion de "double contrainte", qui existe dans les relations sociales. Par exemple avec la sinistre SS : "vous devez cotiser ET vous devez vous montrer responsables, ne pas dépenser trop, etc.". Vous n'êtes pas libres, mais vous devez être responsables, alors que liberté et responsabilité vont toujours ensemble.

6/4/07 10:55 AM  
Blogger philippe psy said...

Promis j'adore la psycho sociale, je vous ferai un article sur le sujet!

7/4/07 6:14 AM  

Enregistrer un commentaire

<< Home