27 mars, 2008

Ecrire : activité à risque !

Allégorie à la liberté d'expression en France (Auteur contemporain inconnu)

Ayant une épouse avocate, je lui fais parfois relire mes articles afin de savoir si je ne contreviens pas à la loi du 29 juillet sur la liberté de la presse ainsi qu'à quelques autres textes. Parce qu'on a beau dire, on s'agace, on s'énerve, on déconne, on se croit seul et pire on se croit libre mais ce n'est pas vrai. N'oublions jamais que nous sommes en France, pays où la liberté d'expression est très sévèrement encadrée. Encadrée à un tel point qu'elle est inexistante.

Injures, diffamation, incitations à la haine raciale, propos homophobes, handiphobes, sexistes, etc., autant de textes partis de bonnes intentions qui ont fini par bâillonner l'expression et stériliser tout débat en le plaçant sous la crainte de poursuites judiciaires. En France, on considère que les mots tuent ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays développés ou la liberté d'expression est garantie.

Ici, chez nous, pour notre bien disent-ils, il nous est interdit de proférer certaines paroles. Afin que tous, nous vivions mieux ensemble, il nous est gentiment imposé de nous taire. Pour autant, chacun sait bien que taire les choses ne suffit pas à les régler, cela s'appelle mettre la poussière sous le tapis. Vient un moment où il faut soulever le tapis, c'est reculer pour mieux sauter. Il est fort à parier que dans quelques années, nous paieront chèrement notre habitude d'évacuer du débat tous les sujets qui dérangent. On est entré dans une sorte de vie à crédit au cours de laquelle on se permet de faire "comme si", mais on ne connait ni le capital emprunté, ni le taux d'intérêt et la facture risque d'être salée.

Comme il est impossible de tuer la parole, une novlangue a vu le jour. C'est ainsi qu'aujourd'hui on parle des jeunes pour ne pas tomber sous le coup de la loi et risquer un procès. Ceux qui voudront me faire dire ce que signifie le vocable jeune en seront pour leurs frais. Je n'en sais rien, j'ai juste noté la recrudescence du mot jeune dans les informations et mon esprit a fait le reste en constatant que ce terme n'était plus associé à une classe d'âge mais à un type de population. L'envie de pénal dont parlait le regretté Philippe Muray a fait de tels dégâts que nous n'avons presque plus rien à envier à la défunte URSS.

Cette chape de plomb qui s'est abattue sur notre pays depuis quelques décennies et ne cesse de croitre a des conséquences étonnantes. Ainsi dans ma profession où la parole devrait être libre puisque je ne juge jamais les gens, j'ai noté que les patients employaient souvent des détours alambiqués avant d'exposer certaines idées. Ils vont dire quelque chose, et ils s'arrêtent comme si l'idée même qu'ils ont en tête leur semblait déplacée.

Pris sous le feu médiatique de l'Empire du bien, j'ai noté que la plupart avaient maintenant des réflexes inhibant la parole, à croire que je cache un procureur de la République dans un placard ! Hélas pour les censeurs, si l'on peut interdire l'expression des idées en pondant des lois liberticides, il est impossible d'interdire de penser. Alors, je constate que les gens réfléchissent et pensent mais qu'ils n'osent pas exprimer leurs idées.

C'est assez triste dans le cadre d'une thérapie puisque la parole est le seul outil dont je dispose. Régulièrement, j'ai donc le droit à des préambules destinés à m'expliquer que malgré ce qu'ils vont me dire, mes chers patients sont en état de grâce et non en état de péché mortel. Ainsi, avant de porter un jugement sur ce que l'on nomme aujourd'hui une minorité, j'ai souvent le droit à un "N'allez pas imaginer que je sois raciste, sexiste, antisémite, homophobe, etc., mais ... ". Et enfin, le patient s'exprime à mots feutrés. Certains s'excusent même d'avoir voté Nicolas Sarkozy ! C'est dire si la propagandastaffel est efficace !

Bien entendu de telles précautions n'existent pas toujours. On peut encore dire du mal du mâle blanc hétérosexuel de droite et chrétien. C'est bien la seule liberté qui subsiste. Dans le même registre, les critiques envers Nicolas Sarkozy, George Bush et les États-Unis sont aussi admises voire encouragées. Pour le reste, il faut faire attention, les murs ont des oreilles. J'assure aussi que l'on peut clamer de manière véhémente qu'on préfère le cake anglais au kouign amann, les bretons ne porteront pas plainte. Enfin pour le moment ...

Ce que l'on oublie aussi, c'est qu'en plus de ces textes que tout un chacun connait, existe en France le redoutable article 9 du code civil qui garantit le respect de la vie privée. Son application est extrêmement stricte et les people le savent bien. Ils désirent en effet les prérogatives de la célébrité (gloire, argent, pouvoir, etc.) tout en en refusant les contraintes (exposition de la vie privée, un certain glamour...). Des mauvaises langues ont même affirmé que les dommages et intérêts récoltés lors de ces procès pour atteinte à la vie privée rapportaient parfois beaucoup et étaient une source de revenus non négligeables. C'est bien tout le problème de l'article 9 du code civil qui protège la vie privée de personnes publiques.

Depuis quelques jours, une affaire défraie la blogosphère. Dans les faits, l'avocat d'un acteur a assigné un blogueur parce que son blog pointait vers un lien relatant sa liaison avec une chanteuse. C'est à dire que le blogueur ne fait lui-même pas état de cette liaison mais simplement via son agrégateur de liens. L'acteur peu connu, mais je ne suis pas cinéphile (je ne connaissais pas Olivier Martinez que je confondais avec Vincent Perez), demandait 30000€ de dommages et intérêts et n'aura finalement obtenu que 1000€ auxquels s'ajoutent 1500€ de remboursement de frais d'avocats plus les frais engagés par le blogueur lui-même pour se défendre.

J'ai pu noter que dans mes liens, figuraient certains blogs que j'apprécie mais dont je ne partage pas toujours les idées. Si l'un de ces blogs faisaient paraitre une information contraire à la loi, serais-je condamnable ? Ainsi suis-je responsable des propos parfois sexistes et souvent anti-ségoléniste de ce monsieur parce que j'ai mis un lien vers son blog ? Ceci dit, le monsieur étant balèze je pourrais toujours plaider l'intimidation en expliquant au juge que moi je ne voulais pas mais qu'il m'a menacé. C'est ce que m'a conseillé mon épouse et l'on a déjà commencé à faire rédiger des attestations en ce sens.

Certains pensent qu'alors que jusqu'à présent, le web était relativement épargné, ce n'est plus le cas à partir d'aujourd'hui, date de ce procès. D'autres pensent même que c'est la mort du web2.0. Je trouve ces positions ridicules. Comme je l'exprimais plus haut, la liberté d'expression n'existe pas en France qui est un pays liberticide dans lequel, je ne suis pas plus libre que dans une dictature.

Certes, entre de vraies dictatures violentes et la nôtre, les moyens pour nous faire taire diffèrent. Là où la bonne vieille dictature envoie ses nervis vous chercher pour vous emmener dans quelque sombre cave où vous serez liquidé après avoir été torturé, en France c'est la police qui initiera les festivités en vous cueillant à six heures du matin pour vous maintenir en garde à vue, après quoi c'est la justice qui finira le sale boulot en prononçant des condamnations pécuniaires qui auront vite fait de vous ôter l'envie de vous exprimer.

La police et la justice sont-elles pour autant responsables ? Non puisqu'elles ne font qu'appliquer des lois votées par des parlementaires élus tous les cinq ans. Nous sommes donc tous responsables de ces dérives liberticides. N'oublions jamais que nous sommes les électeurs.

Je ne pense donc pas que le web2.0 soit mort, parce qu'en France un tel moyen d'expression ne peut tout bonnement pas vivre. Le web2.0 dont tout le monde se gargarisait n'a donc jamais existé sauf s'il s'agissait de parler de recettes de cuisine. Je constate simplement que la répression s'accélère. Après les différents groupes de pression organisés sous forme d'associations reconnues d'utilité publique que tout le monde connait et craint à juste titre, les acteurs écument eux aussi le web à la recherche des déviants.

Comme la plupart des blogueurs je trouve assez ignoble la manière dont cet acteur a agi. Certes il était en droit de faire cesser ce qu'il estimait être une atteinte à sa vie privée. En ce cas, il aurait pu envoyer aux responsables des sites visés, une mise en demeure les enjoignant de retirer le lien incriminé. Nul doute qu'ils auraient obtempéré puisque manifestement ils étaient dans l'erreur de bonne foi, n'ayant jamais eu la moindre velléité de nuire à l'acteur et encore moins de se faire de l'argent avec l'information relatée sur ce site.

Le fait que l'acteur ait directement assigné ces blogueurs en exigeant des sommes astronomiques eu égard aux faits reprochés, comme le lui autorise la loi, est légal mais sans doute pas très loyal. A défaut de prendre conseil auprès de ses avocats, il aurait du en référer à son agent, s'il en a un, qui lui aurait expliqué qu'en terme de publicité ce n'était sans doute pas la meilleure chose à faire. Aujourd'hui, il a gagné son premier procès mais il bénéficie d'un buzz sans précédent. Je n'ose imaginer les critiques de ses prochains films ! Cependant, cet acteur n'a fait qu'usage de son droit le plus strict, il n'y a pas hurler à l'attentat ! Nos internautes découvrent aujourd'hui les limites de l'expression.


Alors comment conclure, que dire de tout cela ? Après avoir muselé la presse et la télévision, il était normal que la web soit dans la ligne de mire du pouvoir. Quiconque s'intéresse à l'information ne lit plus la presse française depuis longtemps. Celui qui cherche de bons spectacles évitera soigneusement les productions françaises formatées dans lesquelles on sent l'empreinte épaisse de l'Empire du bien. Ne nous restait donc que le web pour être libre.

Pour autant, bien que libéral, j'admets que tout ne puisse pas être dit que l'on doive rester responsable de ses écrits lorsque l'on cite nommément une personne. Que l'injure et la diffamation soient condamnables me semble être une bonne chose. De la même manière, le respect de la vie privée est aussi une bonne chose. Dans la mesure le nombre respect de certaines règles peut créer un réel préjudice à une personne physique (ou morale). Le respect d'autrui est la base même du libéralisme.

Il est donc normal que le web2.0 soit soumis à ces règles. Encore faut-il que ce préjudice soit clairement établi et démontré et ne concerne que des personnes physiques ou morales afin qu'on ne dérive pas vers des procédures abusives. Il faudra aussi finir par admettre que le web, invention géniale, restera toujours un monde sous-terrain et fluctuant au sein duquel les informations sont à discriminer sévèrement. Peut-on traiter le web et ses apprentis journalistes comme on le ferait pour un média traditionnel ?

Dans les faits, ce qui me dérange aujourd'hui, ce n'est pas cette affaire. Cet acteur a le droit au respect de sa vie privée même si les moyens utilisés sont peu élégants, je le concède. Ce qui me gêne, c'est que ceux qui hurlent après cet acteur, l'accusant de tous les maux, se soient tus toutes les fois précédentes où la liberté d'expression a vraiment été bafouée en France stérilisant tout débat.

Nous n'avions en effet pas besoin de ce énième rebondissement pour savoir qu'en France, on doit se taire. Combien de petits gauchistes bien-pensant, qui pleurent aujourd'hui, se sont frottés les mains, chaque fois qu'un de leurs opposants était sévèrement condamné ? Les avons-nous entendu protester alors contre la chape de plomb qui s'abattait sur la France ? Non.

Alors que les textes liberticides pleuvaient, j'ai entendu peu de gens protester. Aujourd'hui, voilà leur tour d'en faire les frais. Et encore s'agit-il d'un cas de non respect de la vie privée très spécifique et non d'une interdiction de s'exprimer. Alors, aujourd'hui que les foudres judiciaires s'abattent sur eux, je les plains et les soutiens sans pour autant forcément me sentir de leur côté.

Tout le battage autour de cette affaire me rappelle un fort joli texte à méditer que je reproduis ci-dessous. Ne nous réjouissons jamais du malheur d'autrui, n'y soyons jamais indifférent ... Et évitons de mettre un insigne "Blog vigilant" de peur que certains prennent cela au pied de la lettre et deviennent vraiment ... trop vigilants !


Je n'ai rien dit

Quand ils sont venus chercher les communistes,
je n'ai rien dit, je n'étais pas communiste.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n'ai rien dit, je n'étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n'ai rien dit, je n'étais pas juif.

Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n'ai rien dit, je n'étais pas catholique.

Puis ils sont venus me chercher.
Et il ne restait personne pour protester...

Pasteur Martin Niemoller (1892-1984), Dachau 1942

3 Comments:

Blogger El Gringo said...

Moi je m'en fous, j'ai mis un lien vers un blog Nicolas Princen Friendly....

29/3/08 1:24 AM  
Blogger philippe psy said...

Je vais m'inventer une histoire avec une chanteuse ou comédienne connue et la publier sur mon blog or comme tu as un lien vers mon blog, je t'attaquerai pour non respect de la vie privée ! Je te préviens, je demande 500 000€ !

29/3/08 7:51 PM  
Blogger El Gringo said...

Tu sais bien que mon ex a déjà tout pris. Tu perdrais ton temps...

30/3/08 1:27 AM  

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