Le boulot des autres !
Je discutais récemment avec un patient bossant dans le génie civil qui m'expliquait qu'il détestait reprendre le boulot d'un autre et repasser derrière lui. Pour ce patient, un dossier se gère de A jusqu'à Z. Reprendre le boulot d'un autre, c'est comme élever un enfant après qu'on l'ait adopté trop grand. De mauvaises habitudes sont déjà prises, et même si l'impossible doit se tenter, on sait que cela sera plus dur.
Je le comprends parce que je suis comme lui. Si, rencontrer un patient qui avait déjà fait une tentative de thérapie ne m'ennuie pas, j'ai toujours plus de mal avec ceux qui pensent s'être déjà engagés avec quelque succès dans ce processus.
A plusieurs reprises, j'ai rencontré des gens venus me voir après huit ou dix ans d'analyse accomplie chez un médiocre, c'est à dire un dogmatique qui suivra son manuel. Je me demande toujours ce qu'ils font chez moi après tant d'années à s'être regardé le nombril en analyse. Bien sur je ne leurs dis pas.
Ce qui est toujours amusant, c'est lorsqu'ils me disent que d'après leur analyste, la cure est finie mais que s'ils restent quelques problèmes, ils peuvent utilement consulter un comportementaliste. Un petit peu comme si un illustre chirurgien orthopédique confiait le patient qu'il vient d'opérer à un vague kinésithérapeute pour la rééducation. La noble tâche étant accomplie, on peut enfin confier à un sous-fifre le soin de régler les menus détails.
Pour ma part, je me demande et me demanderai toujours ce qu'on peut faire en dix ans dans le cabinet d'un psy ? Soit le problème est si lourd qu'il relève de la psychiatrie, soit il n'est pas correctement traité et perdure. Entre les deux, je ne vois pas bien ce qui pourrait exister hormis le fait qu'on se soit raconté durant des années, peut-être pour pas grand chose si ce n'est que le temps a passé. C'est vrai que le temps guérit tout puisqu'on finira par mourir. De toute manière, traiter tous ses problèmes est une erreur, la thérapie vise surtout à l'autonomie.
Alors, je vois parfois de ces patients quadragénaires qui après leur analyse de dix années, viennent me trouver pour régler d'infimes détails, un petit peu comme si le gros œuvre étant achevé, il me restait juste à les aider à choisir la couleur des papiers peints et de la moquette. Je les écoute patiemment et, je constate souvent que tout reste à faire. Mon sentiment est que souvent on s'est concentré sur l'arbre qui cachait la forêt, le phénoménal remplaçant ce qui est important.
Ou non, sans doute pas "tout", je constate simplement que moi, je n'aurais pas agi comme le confrère analyste. J'aurais fait "ci" ou "ça" mais surtout pas "ceci" ou "cela". J'aurais plutôt traité telle problématique, aurait ignoré telle autre, attiré l'attention sur tes problème en minimisant tel autre, etc. Bref, je trouve que le boulot a été "salopé" et j'ai l'impression de devoir me taper ce que je déteste : colmater les brèches et bidouiller pour que ça tourne tout de même. Face à quelqu'un, vous devez ressentir les forces et les faiblesses et les lignes de failles. La sculpture ce n'est pas comme la peinture, il n'y a pas de repentir, si vous ôtez de la matière, vous ne la remettrez jamais.
Bref, comme le patron d'une boîte de bâtiment à qui on demanderait de poursuivre un chantier arrêté en pleine construction, j'émets des réserve et je me dis que décidément, il y a des tas de choses mal faites et qu'il faudra reprendre un tas de trucs si on veut que le bâtiment ressemble à quelque chose, et encore, ce ne sera jamais parfait, et surtout pas comme si on l'avait construit soi-même dès le départ.
Et puis, il faut que je me taise, parce que je ne peux détontologiquement dire à patient, que décidément il a perdu dix années de sa vie chez un charlatan, et que tout est à refaire et qu'en plus, on n'y arrivera pas parce que justement dix ans ont passé. Non, je me tais et pour moi, ce n'est pas une chose facile.
Je suis un peu comme Michel-Ange, qui voyant arriver un bloc de marbre dans lequel il aurait pu sculpter sa pietà, se retrouve en fait avec une ébauche d'une autre sculpture, qu'il devra de toute manière terminer parce qu'il est trop tard pour faire ce qu'il aurait estimé le plus adapté à ce bloc. C'est cela terminer le boulot d'un autre : achever son travail commencé avec l'idée qu'il s'en faisait mais en utilisant mon propre style. Ça ressemble à ces curieuses églises construites et reconstruites au gré des finances, des guerres ou des incendies. Ça commence en gothique, ca se poursuivit en classique avant de s'achever en n'importe quoi.
Parfois en revanche je gueule. Surtout lorsqu'au bout d'un mois, la personne n'a pas le résultat escompté et commence à geindre. Là, je sors de ma réserve et je leurs dis que je les trouve injustes parce qu'en un mois, je ne peux pas leur apporter ce que leur analyste favori ne leur a jamais apporté en dix ans. Non mais ! Et puis quoi encore ?!
En bref, comme tout artiste, je n'aime pas trop passer derrière un autre. Ou alors, il faudrait rebarbouiller la toile et repeindre dessus. Mais ça c'est impossible dans mon métier.
Je le comprends parce que je suis comme lui. Si, rencontrer un patient qui avait déjà fait une tentative de thérapie ne m'ennuie pas, j'ai toujours plus de mal avec ceux qui pensent s'être déjà engagés avec quelque succès dans ce processus.
A plusieurs reprises, j'ai rencontré des gens venus me voir après huit ou dix ans d'analyse accomplie chez un médiocre, c'est à dire un dogmatique qui suivra son manuel. Je me demande toujours ce qu'ils font chez moi après tant d'années à s'être regardé le nombril en analyse. Bien sur je ne leurs dis pas.
Ce qui est toujours amusant, c'est lorsqu'ils me disent que d'après leur analyste, la cure est finie mais que s'ils restent quelques problèmes, ils peuvent utilement consulter un comportementaliste. Un petit peu comme si un illustre chirurgien orthopédique confiait le patient qu'il vient d'opérer à un vague kinésithérapeute pour la rééducation. La noble tâche étant accomplie, on peut enfin confier à un sous-fifre le soin de régler les menus détails.
Pour ma part, je me demande et me demanderai toujours ce qu'on peut faire en dix ans dans le cabinet d'un psy ? Soit le problème est si lourd qu'il relève de la psychiatrie, soit il n'est pas correctement traité et perdure. Entre les deux, je ne vois pas bien ce qui pourrait exister hormis le fait qu'on se soit raconté durant des années, peut-être pour pas grand chose si ce n'est que le temps a passé. C'est vrai que le temps guérit tout puisqu'on finira par mourir. De toute manière, traiter tous ses problèmes est une erreur, la thérapie vise surtout à l'autonomie.
Alors, je vois parfois de ces patients quadragénaires qui après leur analyse de dix années, viennent me trouver pour régler d'infimes détails, un petit peu comme si le gros œuvre étant achevé, il me restait juste à les aider à choisir la couleur des papiers peints et de la moquette. Je les écoute patiemment et, je constate souvent que tout reste à faire. Mon sentiment est que souvent on s'est concentré sur l'arbre qui cachait la forêt, le phénoménal remplaçant ce qui est important.
Ou non, sans doute pas "tout", je constate simplement que moi, je n'aurais pas agi comme le confrère analyste. J'aurais fait "ci" ou "ça" mais surtout pas "ceci" ou "cela". J'aurais plutôt traité telle problématique, aurait ignoré telle autre, attiré l'attention sur tes problème en minimisant tel autre, etc. Bref, je trouve que le boulot a été "salopé" et j'ai l'impression de devoir me taper ce que je déteste : colmater les brèches et bidouiller pour que ça tourne tout de même. Face à quelqu'un, vous devez ressentir les forces et les faiblesses et les lignes de failles. La sculpture ce n'est pas comme la peinture, il n'y a pas de repentir, si vous ôtez de la matière, vous ne la remettrez jamais.
Bref, comme le patron d'une boîte de bâtiment à qui on demanderait de poursuivre un chantier arrêté en pleine construction, j'émets des réserve et je me dis que décidément, il y a des tas de choses mal faites et qu'il faudra reprendre un tas de trucs si on veut que le bâtiment ressemble à quelque chose, et encore, ce ne sera jamais parfait, et surtout pas comme si on l'avait construit soi-même dès le départ.
Et puis, il faut que je me taise, parce que je ne peux détontologiquement dire à patient, que décidément il a perdu dix années de sa vie chez un charlatan, et que tout est à refaire et qu'en plus, on n'y arrivera pas parce que justement dix ans ont passé. Non, je me tais et pour moi, ce n'est pas une chose facile.
Je suis un peu comme Michel-Ange, qui voyant arriver un bloc de marbre dans lequel il aurait pu sculpter sa pietà, se retrouve en fait avec une ébauche d'une autre sculpture, qu'il devra de toute manière terminer parce qu'il est trop tard pour faire ce qu'il aurait estimé le plus adapté à ce bloc. C'est cela terminer le boulot d'un autre : achever son travail commencé avec l'idée qu'il s'en faisait mais en utilisant mon propre style. Ça ressemble à ces curieuses églises construites et reconstruites au gré des finances, des guerres ou des incendies. Ça commence en gothique, ca se poursuivit en classique avant de s'achever en n'importe quoi.
Parfois en revanche je gueule. Surtout lorsqu'au bout d'un mois, la personne n'a pas le résultat escompté et commence à geindre. Là, je sors de ma réserve et je leurs dis que je les trouve injustes parce qu'en un mois, je ne peux pas leur apporter ce que leur analyste favori ne leur a jamais apporté en dix ans. Non mais ! Et puis quoi encore ?!
En bref, comme tout artiste, je n'aime pas trop passer derrière un autre. Ou alors, il faudrait rebarbouiller la toile et repeindre dessus. Mais ça c'est impossible dans mon métier.
5 Comments:
Je suis d'accord avec ce que vous écrivez. J'ai moi-même fait une thérapie analytique que j'ai abandonnée au bout d'un an quand je me suis rendue compte que ça ne m'aiderait pas du tout pour la dysmorphophobie, la phobie sociale et ma relation avec mes parents difficile en raison de mon éducation.Et j'ai entamé une thérapie comportementale.
J'ai donc perdu un an à tourner en rond, sans que mes angoisses diminuent. Mais mieux vaut perdre un an plutôt que 10 ans !
Je serais curieuse de savoir s'il existe des institutions où les psychanalystes et les thérapeutes TCC travaillent ensemble, rencontrent un patient en alternée,collaborent, se réunissent pour faire un point...un genre de plan à trois :)- est-ce que c'est théoriquement possible dans votre profession ou s'est forcement comme chien et chat. En guerre...? (bien évidement selon mon psychanalyste les thérapies TCC valent rien)
Ah, le démiurge à l'œuvre, c'est ça? J'ai bien compris?
@Anna : Du tout, pas comme chiens et chats ! Il y a des cognitivistes parfaitement pénibles et des analystes sympathiques. Parfois,je force le trait !
@Ikuulup : Aussi démiurge qu'un dentiste qui pense qu'il aurait fallu s'y prendre autrement que son confrère ne l'avait fait pour traiter une dent. Mais, je suis peut être un peu lyrique.
Ceci dit en Grèce antique, on appelait démiurge un travailleur indépendant, donc vous n'auriez pas tout à fait eu tort !
"en Grèce antique, on appelait démiurge un travailleur indépendant, "
Aah, ça a l'air chouette, vous n'avez pas envie d'en dire plus? S'il-vous-plait :D
Continuez dans le lyrisme! Oui, du lyrisme, du lyrisme!
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