25 octobre, 2008

Moments de solitude !


En milieu d'après-midi, je suis passé chez mon ami Yves pour faire gonfler les pneus de ma Microcar RJ49. Je lance le moteur, un coup de marche avant, j'accélère et hop, le bout de mon avenue est déjà là.

Un coup à droite en grillant allègrement le stop pour ne pas couper mon élan, et me voici dans une rue qui monte. Et là, c'est l'embouteillage du vendredi soir. Un abruti a décidé d'arrêter sa poubelle pour charger quelqu'un, et c'est toute la rue qui est bloquée.

Ce qui m'amuse moins, c'est de me retrouver arrêté durant deux minutes, juste devant l'arrêt de bus. Parce que, c'est justement cet arrêt là qu'a choisi un groupe de cinq ou six minettes du lycée voisin pour attendre et papoter. Du coin de l'œil, je constate qu'elles sont plutôt mignonnes, avec cette agressivité sexuelle propre aux toutes jeunes nanas, qui sont girondes et le savent.

Et moi, planté là, coincé dans mon cube de plastique, ma voiture d'alcoolique, j'attends impavide en me disant : "pourvu qu'elles ne me voient pas". Je me dis intérieurement que de toute manière, pour une nana, une voiture quelle qu'elle soit, reste une voiture, et que cela ne les intéresse pas.

Mon cul ! Ces petites là savent parfaitement faire la différence entre une Porsche Cayenne et une Microcar RJ49. Ce genre de petit lot, ce n'est pas en vous pointant dans une Clio pourrie que vous les lèverez, elles connaissent le prix des choses et préfereront toujours Cartier à Kelton. Et d'un coup, je les entends rigoler. Leur manière de s'esclaffer me prouve qu'elle m'ont en contact visuel. Je constate soudainement que ma voiture manque cruellement d'un pare-soleil côté passager que j'aurais pu rabattre pour me cacher.

Je n'entends pas distinctement ce qu'elles disent mais je suis persuadé que je suis l'objet de leurs quolibets. Stoïque, je prie pour que le trafic reprenne. Ça y est, je vois la voiture de devant qui s'élance. J'appuie sur l'accélérateur et mon bolide pétarade pour s'éloigner dans un nuage de fumée bleue à la vitesse d'un escargot. Discrètement, observant mon rétroviseur, je vois les gamines gondolées de rire.

Je m'en fous je suis loin. Je songe alors à ces examens que faisaient passer les cyniques pour admettre de nouveaux jeunes adeptes. Il était tout le temps de question de faire des choses ridicules en public afin de prouver qu'on se moquait de l'opinion d'autrui.

Ainsi, un texte antique relate qu'un jeune adepte désireux de devenir cynique fut sommé de se promener une journée durant dans Athènes, en tenant un poisson mort en laisse. Au bout d'une heure, lassé des moqueries des passants, il laissa là son poisson et partit en courant : il rata son examen de passage.


Parce que j'ai beau jouer les sages, là, coincé dans ma caisse ridicule, je me suis senti misérable. J'ai beau avoir l'âge d'être leur père, me dire que je suis à des années lumières d'elles, je suis tout de même grotesque, du moins, c'est ainsi que je le ressens.

Voici quelques mois, j'avais rejoint des amis à une terrasse de café, j'avais pris ma seconde voiture, une sorte de poubelle sur roues. L'un d'eux m'avait dit qu'il ne pensait pas que je roulais dans une telle merde. Et moi, plein de morgue, je lui avais répondu "tu sais, je ne suis pas ma voiture, donc je m'en moque. Pour ce que j'en fais, elle me suffit". J'avais touché juste et je suis sur que le type avait du me trouver plein de sagesse.

Je jouais les affranchis, les sages à deux balles, parce qu'il est vrai que ma poubelle n'est qu'une voiture lambda, une vieille caisse, parmi tant d'autres. J'y suis anonyme, personne ne me dit rien, et je suis persuadé qu'en me croisant, personne ne pense rien de moi. Tout au plus, pourrait-on imaginer que pour moi, la voiture n'est qu'un outil dont je me moque. A la limite cela rehausse mon statut.

Tandis que là, dans ma Microcar RJ49 rutilante, j'imagine forcément les commentaires des gens, je ne peux m'en empêcher. Il y a les regards amusés et sympathiques, et puis tous les autres. Ça va des gens courroucés parce qu'ils sont obligés de me doubler alors que je roule à 25/30 km/h et que je constitue une chicane mobile, une sorte de piège. Et puis, il y a les autres, ceux qui doivent penser que je n'ai plus de points sur mon permis. Je pourrais dire que je m'en fous mais au fond de moi, je n'ai aucune envie de passer pour l'alcoolo de service, le pauvre type qui s'est fait choper dix fois avec 2 grammes dans le sang et à qui on a annulé son permis.

Ainsi, ce soir, alors que j'avais garé ma Microcar devant le café où je buvais un coup, un type que je connais un peu, m'a ainsi demandé si elle était à moi. J'ai répondu par l'affirmative en précisant toutefois que j'avais toujours mon permis. Ça a été plus fort que moi.

Alors à défaut de pouvoir renoncer à mon orgueil monumental, je l'augmente encore et je parviens à me dire qu'après tout, je les emmerde tous. Ma Microcar RJ49 devient dès lors le symbole même de cette grande indépendance d'esprit. Ce qui est naturellement faux, parce que sauf si l'on est autiste, on ne se définit que par rapport aux autres. D'ailleurs l'ermite, ou l'anachorète, ne se définissent sans doute pas par le refus des autres, mais par une autre manière d'envisager leurs liens avec le monde. La sainteté elle-même n'est pas l'ignorance du genre humain. Il faut être écologiste pour croire qu'on peut à la fois aimer la nature et détester les hommes. De même qu'il faut être moi pour songer qu'on peut viser l'humilité en attirant tous les regards dans une mini caisse en plastique qui fume autant qu'un haut fourneau.

D'ailleurs le grand Diogène lui-même ne m'aurait pas épargné, arrêtant ma Microcar RJ49 d'un geste solennel, il aurait pointé du doigt mon orgueil démesuré perçant derrière ma fausse humilité. Diogène Laërce rapporte ainsi qu'avisant un certain Antistène, qui voulait se faire passer pour un cynique, en portant avec ostentation un manteau troué, Diogène le cynique lui aurait dit "c'est au travers des trous de ton manteau, je découvre ton orgueil".

Avant de repenser à cet épisode de la vie de Diogène le cynique, je songeais qu'avec ma voiture, je pourrais sans doute créer un business. De nos jours, la course à la réussite et le marketing putassier des grandes marques, amènent les individus à se constituer un égo aussi démesuré que fragile pour tenter d'exister.

Je me disais que je pourrais organiser un stage, ou mieux, une sorte de formation spirituelle, destinée à lutter contre les égos boursouflés. Traders arrogants, starlettes bouffies d'orgueil, apprentis artistes rongés d'arrivisme, péteux de grandes écoles gangrenés de certitudes, voici des candidats idéaux pour la nouvelle forme de thérapie que je pourrais mettre en place.

Plutôt qu'aller perdre son temps dans un ashram perdu dans le Loir-et-Cher ou la Meurthe-et-Moselle en train d'écouter un bonze raconter des conneries au sujet de la simplicité et du renoncement à l'égo, on viendrait faire l'expérience de la médiocrité avec moi.

Mais la réalité, c'est qu'on ne découvrirait rien, si ce n'est qu'on est, dans cette recherche d'humilité, encore plus orgueilleux qu'on ne l'imaginait. Un peu comme ces abrutis de cadres sup' qui font des stages de survie mais qui retourneront compter leurs stock options dans leur multinationale. On n'est que ce que l'on est, tout au plus peut on arrondir les angles.

Lorsque l'on est orgueilleux, on a beau s'imaginer libéré de l'opinion d'autrui : n'est pas Diogène qui veut ! Moi, plutôt que lui dire "ôte toi de mon soleil !" comme Diogène répondit à Alexandre le Grand lui demandant ce qu'il pouvait faire pour lui, j'aurais sans doute répondu autre chose dans le genre "titulaire d'une chaire d'humilité". Enfin, un truc un peu glorieux dans lequel j'aurais pu mettre en scène ma fausse simplicité.

En roulant en Microcar RJ49, à défaut de découvrir le chemin de la simplcité, ce qui est bien, c'est que ça rame tellement, qu'on a le temps de se poser des tas de questions métaphysiques.

11 Comments:

Blogger marcel said...

il y a 18 ans j'avais acheté un petit vélo pliable . Il était beau et marchait euh roulait bien avec ses petites roues. Mais y'en a qui me regardaient d'une drôle de façon. Un jour alors que je l'avais garé devant le Codec ou franprix ou je sais pas quoi, j'm'ai fait voler la selle et son tube. C'était un vélo américain et le diamètre et la forme du tube sont spéciaux et en pièce détachée coutait plusieurs millions de dollars, du coup ça m'a soulagé d'avoir à l'utiliser.

25/10/08 12:12 PM  
Blogger marcel said...

"Je constate soudainement que ma voiture manque cruellement d'un pare-soleil côté passager que j'aurais pu rabattre pour me cacher"
:o)

25/10/08 12:48 PM  
Blogger Sylvain JUTTEAU said...

Chouette, un nouvel article après un petit creux de quelques jours !

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Alors, un petit coup de pouce de la part d'un spécialiste pour travailler l'humilité :


Vous vouliez sans doute écrire "cénobite ou anachorète" plutôt que "ermite ou anachorète", qui sont synonymes.

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Je raille, je raille, mais au fond ...comme cet article est magnifique de sincérité !

Sincérité sans exhibition.

Merci, et bravo pour ce beau moment.

Toju, le biblogueur.

25/10/08 1:46 PM  
Blogger philippe psy said...

@Marcel : Dieu pris pitié de vous et un bon larron s'empara de ces accessoires et vous vous retrouvâtes avec un vélo sans selle. Poursuivez ..
@Toju : vous avez raison, je voulais mettre "stylite" ce qui est pareil. Quant aux cénobites, jamais je n'aurais utilisé ce terme puisque étymologiquement, il signifie "vie en commun", ce qui n'était pas du tout mon propos. Je gage que vous vous serez retrouvé dans mes modestes lignes.

25/10/08 4:29 PM  
Blogger El Gringo said...

Tu es vraiment un mec bien Philippe, je suis heureux de pouvoir te côtoyer...

25/10/08 11:31 PM  
Blogger Sylvain JUTTEAU said...

Gagez, gagez, mais évitez de gager auprès d'une banque...

Toju le biblogu.

26/10/08 12:01 AM  
Blogger Sylvain JUTTEAU said...

....Bon, il est minuit cinq, dans une poignée d'heure je décolle vers Ouarzazate direction le Sahara.

Je gage que l'on finira bien un jour par utiliser le soleil et l'espace du Sahara pour en tirer l'énergie nécessaire à continuer de rouler dans des gros 4X4 de parvenus.

En attendant, il n'y a personne et la beauté de la création divine demeure intacte.

Toju, l'anachorète provisoire.

26/10/08 12:07 AM  
Blogger GCM said...

Vous vous aites offert le même dixionaire de cinonimes les 2 là ?

Vous voulais vous lancé dent le slam quome moua ?!

26/10/08 2:15 AM  
Blogger BLOmiG said...

ça t'apprendra à accorder autant d'importance à une bagnolle...quel adolescent, alors, ce philippe !

27/10/08 8:21 AM  
Blogger Marino said...

Je vous attends en Meurthe et Moselle avec votre Microcar RJ 49...
Hi, hi, nâânn je me moque pas !!!

27/10/08 4:58 PM  
Blogger philippe psy said...

@Toju : ça doit être chiant le désert non ? Tu aurais du aller dans le NEvade, quand tu en aurais eu marre de jouer l'ermite et l'intello, tu serais allé à Vegas.

28/10/08 2:28 AM  

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