29 avril, 2010

Derrières les coulisses !


C'est une amie, allons disons une relation, qui vit dans le quartier qui me parle de cet ami à elle. Elle me le présente comme un type proche du suicide, ayant plusieurs TS à son actif. Pas de diagnostic psychiatrique plus précis : à priori il s'agit d'une banale dépression un peu costaude. Je lui dis que c'est ok, qu'elle peut lui donner mon adresse. Tandis qu'elle me le décrit, je repense à un type avec qui je l'avais déjà vue. Oui, c'est bien lui. Je lui dis qu'à mon avis ce type est tout simplement homo et qu'il ne s'accepte pas. Curieusement, elle pense la même chose. Chez elle comme chez moi, ça a été très intuitif.

Comme le jeune homme a peur, je le vois débarquer accompagné de sa mère et de cette amie ! J'ai en face de moi, une vraie pleureuse, un type de trente ans dont le comportement émotionnel serait celui d'une gamine de huit ans. Le problème est qu'il a trente ans. Tout aussi intuitivement, je trouve qu'il en fait un peu trop. Je ne nie pas ses problèmes mais je suspecte une mise en scène. On sent du maniérisme, trop d'affectation dans la manière de raconter les choses. La belle sensibilité qui s'accompagnerait d'une forme de retenue sombre dans une sensiblerie dérangeante, une débauche émotionnelle pénible.

Enfin seul avec lui dans mon cabinet, le type change. La gamine de huit ans fait place à un type cultivé qui tient à me faire savoir haut et fort que son doctorat de philo le tient à distance des pratiques mécanistes et idiotes que sont pour lui les thérapies cognitives et comportementales. Il est juste venu pour voir, encouragé par son amie qui a confiance en moi.

Je le calme tout de suite en lui expliquant que je ne suis pas là pour me battre avec lui et encore moins pour vendre ma camelote. En gros, même si je ne lui demande pas une adhésion de cent pour cent au concept, j'exige de sa part un minimum d'engagement et à défaut de respect, une forme de doute constructif. Dans tous les cas, je n'ai pas de temps à perdre avec un intello vain qui ne s'engagera pas à fond.

Premièrement, vu son état je lui recommande de prendre un traitement. Je lui indique des médecins. J'entends évidemment ses arguments contre les médicaments qui seraient dangereux et un énième réquisitoire contre ces "salauds de laboratoires pharmaceutiques". Ce type me saoule. C'est très rare mais c'est ainsi. Je clos net l'entretien en lui disait que s'il ne prend pas un traitement, je ne le recevrai pas, parce que les risques de suicide sont trop importants. Accessoirement, ses symptômes dépressifs sont aussi trop importants pour que l'on puisse vraiment échanger. La séance est finie. Je lui demande s'il veut reprendre rendez-vous. Contre toute attente, il accepte. Mais bien sur, il me fait savoir que pour lui ma pratique thérapeutique est trop basique et ne prend pas en compte l'immensité de son mal-être. En gros, la bouche en cœur, il accepte de goûter du bout des lèvres la cuisine que je lui sers, comme un habitué des 3* Michelin accepterait de diner dans un restau routier.

Il reviendra une fois. Il me raconte ce qui le préoccupe. Rien de bien grave. C'est tout à fait le genre de trucs que je pourrais "bâcher" en trois mois avec n'importe quel individu moins pédant. Il reprend un troisième rendez-vous qu'il décommande trois jours avant fort aimablement non sans me faire comprendre que ce que je lui propose n'est décidément pas sa tasse de thé. Il est tellement spécial qu'il doute que je puisse jamais le comprendre, voire que jamais quiconque ne puisse jamais appréhender correctement sa mystérieuse psyché.

Je déjeune ensuite avec le médecin à qui je l'ai adressé. J'apprends encore une fois qu'il est venu avec maman. Qu'il n'a cessé de pleurnicher durant tout le rendez-vous. Qu'il n'a cessé de parler de suicide tout en refusant d'être hospitalisé. Que toutes ses réactions sonnaient faux, comme s'il se mettait en scène. Et que malgré notre empathie et notre vocation, c'est tout à fait le genre de type à qu'on a envie de secouer voire de claquer. Je sais : c'est très mal.

Le médecin et moi sommes d'accord : voici de jolis traits hystériques. Le type même de patient gonflant, qui va se mettre en scène sans vraiment vouloir s'en sortir. Le chieur type pour qui une thérapie doit absolument devenir une sorte de miroir grossissant dans lequel il va pouvoir se regarder, s'admirer et même se dire combien son malheur est différent de celui des autres, combien sa peine est immense, combien son chagrin est si spécial que nul ne pourra jamais le comprendre.

Pronostic : 50% de survie à trois mois. Tiens en septembre, je demanderai à cette amie s'il est toujours en vie.

Bon, on ne peut pas toujours être plein d'empathie ! On a aussi nos têtes !

7 Comments:

Blogger Unknown said...

Ce n'est pas la première fois que vous évoquez des patients qui refusent de se plier au protocole que vous mettez en place lors de la thérapie. Et donc ne suivent pas la thérapie. Souvent des dépressifs. Et vous concluez que c'est dommage car vous étiez assuré de le guérir en trois mois. C'est asssez bluffant de penser que ce délai suffit la plupart du temps.

30/4/10 10:23 AM  
Blogger philippe psy said...

On pourrait parler longtemps du terme "guérir" ... Sans doute qu'il ne s'agit pas de cela strictement. Disons qu'en trois mois oui, on peut ne plus souffrir de cette dépression, l'accepter, la comprendre, etc.

30/4/10 10:40 AM  
Anonymous Anonyme said...

C'est assez contradictoire. D'un côté vous dites que ce n'est pas bien grave, que vous sauriez le guérir en trois mois s'il n'était pas si pédant, etc.

De l'autre côté, vous lui dites que vous craignez son suicide et vous évaluez cette probabilité à 50 %.

Mais la pédanterie n'est pas une maladie mentale, que je sache, ou alors il faudrait enfermer beaucoup de monde.

J'entends bien que vous rejetez la responsabilité de la difficulté du traitement (ou de son impossibilité) sur le patient.

Mais si c'est le cas, cela montre bien que c'est grave et que le traitement n'est pas aussi facile que vous le dites, non ?

En d'autres termes, si ma tante en avait, on l'appellerait mon oncle, mais qu'est-ce que ça prouve ?

Un patient de trente ans qui consulte pour raisons psychiques accompagné de sa maman et d'une amie, je ne suis pas psychiatre, mais, d'office, j'aurais tendance à me dire qu'il est bien atteint...

3/5/10 4:50 PM  
Blogger Unknown said...

Merci de votre réponse.

En plaisantant, on pourrait même apprendre à être fier de sa dépression !

7/5/10 1:32 PM  
Blogger Bob Inette said...

Vous régleriez son problème en trois mois s'il n'avait pas cette pédanterie. Et vous n’en dites que ça. C'est une bonne chose que je sois assis.

Effectivement, à jouer avec le feu il peut se brûler et le danger est réel qu'il se tue, il faut traiter. Vous avez raison aussi, si son état dépressif le rend inaccessible à un échange constructif, le traitement peut s'imposer. Mais prendre sa pédanterie pour jouer au cow boy plus malin que lui dans votre blog, sans même mentionner que c'est (pesant et insupportable, ça c'est sûr) un symptôme sérieux, surtout dans l'écart de comportement seul/avec sa mère, j'en suis ébahistement épataté.

Un article de blog ne me permet pas d'affirmer mais à lecture, il est enfermé dans un jeu psychologique avec sa mère, et ses tentatives de suicide procèdent sans doute de ce jeu. Peut-être est-ce le problème que vous avez décelé, et qu'il est au bord d'un profond choc de conscience. La thérapie consisterait alors surtout à équilibrer les échos et conséquences de ce choc. Un sacré gros choc fondamental, alors, parce que trois mois, ça semble court.

S'il se tue, ce qui est possible, ce sera probablement par accident : ses TS sont un élément de la relation avec sa mère et il n'aura aucune intention de mourir.

Pour une raison ou une autre, il ne prend pas la vie au sérieux. Possible que la mère ait voulu, ou dû, aussi être le père (qui semble très absent) et n'aura réussi qu'à donner à son enfant une guimauve molle en place d'une colonne vertébrale.

Dans ce cas, le doctorat de philo lui est un super-outil intellectuel, à la fois de compensation du manque d'estime de soi, et de démantèlement de ce qui pourrait être pris au sérieux (carrément une bombe atomique du genre. Il a bien trouvé. C’est aussi un moyen de rester théorique et de ne pas se confronter à la réalité concrète, ça protège quand on en a peur)

Lorsqu'ils sont tous les deux seuls, le jeu entre lui et sa mère montre certainement des facettes beaucoup plus riches, toute une palette d’attitudes et d’interactions subtiles ou brutales ou sombres ou toute combinaison de ces éléments (mais bon sang, où est le père ? son absence a autant d'importance qu'une présence, sans doute surtout auprès de la mère, et ça aura pesé sur toute la vie du fils, distordu son existence jusqu'à le rendre presque inapte à se prendre en charge, aujourd'hui)

Voilà ce que je perçois de la relation dépendante qui occupe ce morbide duo maman-fiston, à travers ce que vous en décrivez. Evidement, vous en savez bien plus, et puis je peux me tromper (mais bon, quand même, enfin peut-être avez-vous gardé la discrétion sur certains éléments plus graves)

Son immaturité satisfaite a de quoi hérisser, et même faire éclater de rire, je vous comprends. Le coup des médicaments contre le suicide, qui seraient plus dangereux que le suicide, j'adore. Ils sont en balle de fusil ou en poison violent, ces médicaments, c'est connu.

Sa prétention sujette à raillerie, bon sang oui aussi, ça soulage. Mais ne pas l'intégrer, avec le reste de son comportement, au motif global de ses dysfonctionnements, voilà quelque chose qui me surprend beaucoup. Je ne sais si c'est un exutoire seul, ou aussi le risque de passer à côté de quelque chose.

(mais je relativise, pas de souci : c'est un blog ici, pas une conférence. Je me doute que votre pratique ne se limite pas à ce que vous en dites dans ces pages)

(d'ailleurs, ma prétention à moi atteint aussi des sommets, mais je me suis quand même résigné : ceci n'est qu'un commentaire de blog et ça sert à me défouler de la morne réalité. Quand je pense que juste avant que le bouton de la porte ne me crie dessus pour me ramener à mon existence réelle, j'étais le maître du monde...)

Bonne journée à tous

10/5/10 10:03 AM  
Blogger Unknown said...

Je tente une hypothèse à laquelle vous avez peut-être déjà pensé.

Ce jeune homme n'a pas appris à vivre pour lui, à poursuivre ses objectifs propres. Petit, il avait pour unique but de faire plaisir à maman (et à papa). On a fait en sorte qu'il se sente une béquille pour ses parents. Maintenant autonome, il ne sait plus vers quoi tendre, dans quelle direction aller. La présence de sa mère auprès de lui témoigne de son inexistence, de son incapacité à décider pour lui-même. Peut-être est il dans la plainte exhibitionniste pour montrer à sa mère ce qu'il est devenu.

10/5/10 4:45 PM  
Blogger Unknown said...

Cher psychothérapeute que je lis régulièrement,

qu'advient-il lorsqu'un patient, traité par médocs et thérapie depuis des années, finit par désespérer d'une amélioration de son état ?

Et que se passe-t-il en hospitalisation pour les dépressifs ?

Cordialement

11/5/10 10:36 PM  

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