03 juin, 2010

Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage !


Aujourd'hui mon gros égo aurait pu gonfler jusqu'à en devenir boursouflé. Deux patientes m'ont dit que j'étais vraiment le meilleur psy qu'elles aient jamais vu. La dernière, particulièrement convaincue de la séance au cours de laquelle je m'étais montré très en verve, n'hésitant pas à en rajouter une couche de mon inimitable style apologétique, m'a même dit que j'étais exceptionnel et que j'avais changé sa vie. Cela m'a fait très plaisir mais j'ai eu le triomphe modeste.

D'une part parce que ces deux cas n'avaient rien de bien compliqué. Dans les deux histoires, dans la relation thérapeutique bien nouée résidait l'assurance du succès car la problématique n'avait rien de très compliqué de mon point de vue. Enfin, en me gargarisant j'aurais eu peur d'apparaître aussi vain que par exemple ... euh Xavier Bertrand (ne voyez dans ce choix qu'un pur hasard). En effet, si passer du statut de petit assureur de province à celui de ministre peut apparaître comme un exploit inespéré pour notre ami replet dont la principale qualité semble être l'obséquiosité qu'il témoigne au chef de l'état, les succès que j'enregistre ne me semblent que la contrepartie légitime que me valent les honoraires que je perçois.

Bref, bien que les compliments m'aient fait plaisir, je suis resté stoïque parce que je suis payé pour réussir. Ainsi souvenons-nous que les succès légitimes ne rendent pas orgueilleux l'âme noble qui n'y voit que le juste tribut de son travail tandis qu'un poste honorifique peut combler d'aise un élu provincial dénué de tout talent ayant pour tout viatique un militantisme sans faille comme le sucre comble un chien obéissant.

Et puis, ayant en mon jeune temps étudié la mythologie grecque aussi bien que pratiqué les tarots, je sais trop bien à quoi peut conduire l'orgueil. L’hybris est une notion grecque que l'on peut traduire par «démesure». C'est un sentiment violent inspiré par les passions et plus particulièrement, par l'orgueil. L'homme qui commet l’hybris est coupable de vouloir plus que la part qui lui est attribuée par le destin. La démesure signifie désirer plus que ce que le destin nous a fixé pour nous. Le châtiment de l’hybris est la némésis, ce châtiment des dieux qui a pour effet de faire chuter l'individu qui s'en est rendu coupable en le ramenant à la réalité souvent cruelle. Dans les tarots, la lame numéro dix appelée Roue de fortune symbolise bien cet état en montrant que la position haute est toujours difficilement acquise.

Et puis demain (en fait aujourd'hui puisqu'il est 1h31), il se trouve que j'ai rendez-vous avec un patient m'ayant contacté via ce blog. Il se peut donc que ce brave homme abusé par ma verve se sente floué d'avoir cru rencontrer un phénix flamboyant alors qu'il lui aura semblé n'avoir vu qu'un paon ridicule et insignifiant plus prompt à faire la roue sur son blog qu'à le soulager de ses tourments.

"Gagnant un jour mais certainement pas toujours" : tel est le lot de votre auguste serviteur qui remet son titre en jeu face à tout nouveau patient. Parfois, lorsque mon légendaire courage semble me quitter et que je trouve ma vie bien difficile, je me dis que j'aurais du faire droit des assurances. Après une obscure carrière comme courtier dans un gros bourg de province, mon talent inné pour coller les affiches et lécher les fesses du premier satrape venu m'auraient valu une sinécure sous l'or des ministères.

Hélas, tous les astrologues vous le confirmeront, rien n'est plus contraire aux capricornes que la facilité, les succès non mérités et les parcours sans embûches. Ad aspera per astra, telle semble être notre devise.

Aujourd'hui vainqueur loué par deux jolies patientes, demain peut-être vaincu moqué par un nouveau patient, tel est le destin de l'humble gladiateur de la psychothérapie que je suis ! Ainsi, tel l'auguste législateur du Parnasse, je ne saurais trop vous conseiller :

Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

Boileau L'art poétique (Chant I)

4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

3/6/10 1:10 PM  
Anonymous Anonyme said...

Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

3/6/10 1:28 PM  
Blogger philippe psy said...

@Boudeuse : entêtez vous, entêtez vous, vous en avez encore l'âge :) Moi, je suis né vieux et je resterai vieux et prudent ! Donc pas d'hybris pour moi ! Je n'ai jamais été un aventurier de toute manière.

4/6/10 2:01 AM  
Anonymous Anonyme said...

Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

4/6/10 6:58 AM  

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