J'ai lu le Nouvel Obs !
La semaine dernière, avisant l'état d'un kiosque, je vois la manchette du Nouvel Observateur, annonçant fièrement "Les secrets des psys". Je me dis que putain, ces enculés sont capables de dévoiler tous nos trucs comme on révélerait les secrets des magiciens et j'ai peur.
Je m'approche du kiosque et un peu honteux, comme le Gringeot quand il achète son "Veilles et nues magazine", je me saisis furtivement du Nouvel Obs et le paye. Je cours ensuite à une terrasse de café afin de savoir ce qu'ils racontent. Je prends évidemment soin de cacher la couverture du magazine parce que j'aurais un peu honte d'être pris pour un mec de gauche.
Je feuillette alors fiévreusement l'article et je comprends qu'en fait de secrets, le plumitif de service qui a torché l'article ne révèle pas nos secrets à nous, c'est à dire la manière dont on fait nos thérapies, mais simplement les secrets liés à l'intimité des psys. En bref, il s'agit de savoir si le psy assis en face de vous est aussi clair et parfait qu'il donne à voir ou s'il n'a pas lui aussi quelques problèmes.
Christophe André le cognitiviste qui trouve le temps d'écrire tout un tas de livres, se lâche en premier et semble plutôt sincère. D'autres parlent aussi de leurs cas et je n'apprends pas grand chose. Parce qu'à moins d'être le roi des cons, les psys étant des êtres humains il est évident qu'ils ont aussi des émotions et connaissent tant la joie que la douleur.
Le plus rigolo c'est surtout le débat consistant à se demander si le fait de parler de nous peut aider le patient ou si au contraire il faut se murer dans une "neutralité bienveillante" comme nos petits camarades psychanalystes qui sont de vrais "sphinx mutiques". Or cette "révélation sur soi", cette "self disclosure" fait débat car on se demande si c'est utile ou non, et si c'est utile comment il faudrait la doser. En bref la discussion tourne un peu en rond parce que les psys sont généralement des controlants voire des putains d'analysants pour qui la liberté est une angoisse. Tant qu'un confrère ne leur a pas donné un papier avec ce qu'il est autorisé de faire ou non et surtout comme le faire, ils ont peur. C'est même assez rigolo de choisir d'aider les autres en ayant si peu confiance en l'être humain, en refusant la spontanéité pour des recettes toutes faites.
Moi, j'ai toujours pensé que la révélation sur soi était un plus. Il ne s'agit pas de raconter sa vie parce que le patient est là pour raconter la sienne. Toutefois il est utile de faire comprendre que je suis un être humain et que ce que je propose, je me le suis appliqué à moi même. L'important dans une thérapie est l'alliance thérapeutique, c'est à dire la qualité du lien que vous aurez avec votre patient. Et c'est au psy de comprendre, de deviner ce qu'il faut dire ou non et quand le dire. On peut être très libre en restant responsable et respectueux.
Un psychologue génial nommé Albert Bandura avait formalisé tout ceci dans sa théorie du "modèle imparfait". De fait, s'agissant des thérapies cognitives et comportementales, on est en droit de dire que l'on fournit un apprentissage vicariant par imitation puisque l'on propose des règles simples à appliquer comme un prof de piano apprendrait à son élève à bien jouer. S'agissant d'un apprentissage social, on sait que le modèle parfait ne fonctionne pas en ce sens qu'il place le psy tellement loin du patient que ce dernier peut sembler décourager à l'avance.
Bandura, et Piaget avant lui, a démontré que dans l'apprentissage par imitation, il était important de devenir "imparfait" afin que la personne qui reçoit l'enseignement trouve dans son modèle suffisamment de petites failles pour le rendre humain et finalement proche de lui. En ce sens, en termes de révélations sur soi, il est parfois utile de dire à la personne assise en face de soi : "rassurez-vous ,'aj connu la même chose et on s'en sort très bien". C'est pour cette raison que je préfère privilégier l'alliance thérapeutique au transfert que je trouve souvent trop inopérant.
Je me souviens qu'il y a quelques années, j'avais reçu une jeune fille encore mineure dont la mère était terrorisée par l'absentéisme. La gamine était jolie et capable mais extrêmement réservée. J'avais vite compris que pour elle, je serais et resterais une sorte de mec bardé de diplômes incapables de la comprendre. J'étais une sorte de modèle parfait aussi amusant que cela puisse paraitre pour ceux qui me connaissent (même si on admet généralement que je puisse être presque parfait).
Un jour voyant que rien ne progressait, je voulus lui lire un extrait d'un livre qui cadrait parfaitement avec ce qu'elle vivait. Et tandis que je savais parfaitement où était ce livre dans mon border, je fis exprès de fouiller et farfouiller en lui disant d'un air penaud que je n'étais pas très ordonné ce qui est une putain de litote.
La gamine me regarda en souriant et me dit qu'effectivement elle avait noté le joyeux bordel qui régnait dans mon cabinet et que cela l'avait amusée. J'embrayais alors là-dessus lui disant que moi en revanche j'avais noté qu'elle était très carrée ce qui était vrai nonobstant sa situation d'échec scolaire.
Il n'en fallut pas plus pour que je cesse d'être le mec parfait brillant à diplômes pour devenir le même mais avec une sacrée faille consistant à être un gros bordélique. De modèle parfait je devenais le modèle imparfait et l'alliance thérapeutique commença à bien fonctionner. De fait, elle eut son CAP et tout rentra dans l'ordre.
Si je m'en étais tenu à n'être qu'une sorte de "sphinx mutique" muré dans "mon splendide isolement", la thérapie n'aurait pas fonctionné. La révélation sur soi fut donc une bonne chose même si je n'avais pas révélé grand chose si ce n'est une incapacité chronique à être ordonné.
J'ai donc apprécié que le Nouvel Obs fasse un article sur le sujet, d'autant plus que les propos étaient positifs? Mais comme nous sommes en France et que même en psycho, la police de la pensée veille, ce dossier a été conclu par un psychanalyste à qui l'hebdomadaire accorde une pleine page d'interview et qui nous rappelle que non la révélation sur soi ce n'est pas bien et que ce qui est bien, c'est la psychanalyse.
Tout est bien qui finit bien, on est en France, un des rares pays au monde où le réel est banni au profit de solutions éculées ayant prouvé leur inefficacité. Peu importe que ce que je fasse fonctionne, que j'ai du succès dans l'exercice de ma profession, le Nouvel Obs se soumettant à la doxa, me rappelle que je ne suis qu'un con qui ne soigne que les symptômes et qu'au-dehors de la psychanalyse il n'y a pas de salut.
7 Comments:
Le psychanalyste qui concluait reconnaissait que thérapies cognitives et psychanalyse pouvaient se compléter mutuellement (même si la psychanalyse, une fois le problème comportemental réglé, permettait d'aller plus loin, de comprendre ........)
je n'ai jamais acheté de magazines avec des vieilles femmes nues, par contre j'en ai vendu!
Sinon très bel article. Si j'étais riche, je viendrais te consulter.
:-)
Le Gringeot et moi, on préfère lire "Bald and Naked"...
@Emmanuel : voilà, aller plus loin et de comprendre comme si les TCC n'étaient qu'une sorte d'outil un peu frustre, une sorte de médicament de l'âme mais rien de plus et surtout pas une philosophie. Maman nous surveille et a la dernier mot dans les médias français.
Il faut bien que les psychanalystes défendent leur boutique ! Comme disait Onfray, dès qu'on s'attaque au portefeuille ...
Ça m'étonne toujours de voir à quel point la France est obnubilée par la psychanalyse...
Ici, dans les cours que je suis en psychologie au Québec, c'est limite si les étudiants ne rient pas dans leur barbe (accompagnés des enseignants) lorsqu'on aborde Freud ou la psychanalyse en règle générale...
Je me demande pourquoi on ne peut jamais rien dire anonymement chez vous ? Vous vous protégez ? Ce qui est techniquement idiot.
Il se trouve que Christophe André non content d'écrire des livres et de pouvoir les éditer éprouve encore le besoin de s'éparpiller sur la toile également.. J'ai beaucoup apprécier un commentaire d'un Capucin... "Anonyme a dit…
La méthode pour être un bon thérapeute:
se raser le crâne tous les matins (hommage aux "chauves à l'intérieur de la tête" de Prévert?), professer une philosophie de la vie à forte odeur de bénitier:
"tout le monde il est beau tout le monde il est gentil"
Se la jouer grande âme généreuse pleine d'empathie et d'attention.
Se montrer partout et tout le temps conférences journaux, télé...
Et comme nous sommes aujourd'hui vendredi cela va permettre au bon docteur André de méditer pendant le week end cet aphorisme de Nietzsche:
"Il y a des formes de bonté qui ressemblent à de la méchanceté."
Le capucin bête et méchant. "
Au revoir.
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