04 février, 2011

Aménagement de la peine !

Cellule de la prison de sing-sing !

Une de mes chères patientes fêtera ses cinquante-six ans cette semaine. Lorsque l'on fait le tour de sa vie, on observe un grand désert jonché de ruines éparses. Mari absent et démissionnaire, enfants charmants mais totalement dépendants affectivement, profession prestigieuse mais exercée dans des conditions défavorables auxquels s'ajoutent des problèmes de santé récurrent forment un tableau clinique assez sinistre.

Après huit ans d'une analyse infrucutueuse, on lui a donné mes coordonnées. Je suis donc chargé de réparer les dégâts au moment où il n'y a plus grand chose à faire. Le feu a pris un peu partout, le brasier gronde, la chaleur est insupportable mais je suis là comme un crétin avec mon seau d'eau pour tout éteindre.

Et puis, quand les problèmes sont tellement installés, il est bien dur d'espérer améliorer les choses de manières tangibles. Divorcer ? A cet âge là, pour finir seule dans un deux-pièces à se morfondre avec des enfants qui lui en voudront à vie ? A quoi bon ! Ce n'est pas à cet âge que l'on change de vie. Et on a beau soutenir que "demain est le premier jour du reste de votre vie", parfois ce "demain" n'arrive jamais. On continue à vivre en espérant surtout que le "reste de sa vie" ne soit pas pire que ce que l'on a connu.

Bref, bien que je revendique le titre de meilleur psy du monde, parfois je suis dépassé par les événements parce que n'ayant pas de baguette magique, je ne peux pas changer le passé. Et que dans bien des cas, les problèmes actuels résultent de mauvais choix antérieurs que l'on n'a pas vus ou pire, que l'on a vus mais que l'on n'a pas voulu modifier. En bref, chaque fois que l'on constate un problème et que l'on se dit que "cela finira par s'arranger", on vit à crédit avec la vie. Le danger est qu'en contractant un crédit dont on ne connait ni le montant, ni le taux, ni la durée, on prend de sacrés risques. Parfois les choses s'arrangent et on aura peu à rembourser, parfois au contraire on se retrouve surendetté jusqu'à la fin de ses jours.

En bref, comme chaque fois que j'ai proposé des mesures à prendre et que ma patiente m'a intelligemment objecté que c'était impossible pour elle de prendre ces décisions, j'ai revu le problème. et étant très ferme parce que je suis payé pour remplir une obligation de moyens et non pour assister à un naufrage sans rien faire.

J'ai simplement mis cartes sur table en lui disant qu'aujourd'hui, elle avait e choix entre ne rien changer et finir malheureuse, mourir pour échapper à tout cela ou tenter tout de même d'apporter quelques modifications afin d'améliorer l'ordinaire de sa vie.

Utilisant un vocabulaire qu'elle comprendrait fort bien, je lui ai dit qu'effectivement elle "en avait pris pour perpète" sans possibilité de remise de peine comme on dit dans les feuilletons policiers américains. Toutefois, aussi sombre que cela paraisse, l'expérience carcérale pouvait être améliorée et on n'était pas obligée de croupir en QHS. Je lui ai dont simplement proposé que l'on réfléchisse à un aménagement de sa peine. Une cellule individuelle, plus de "douches", l'accès plus fréquent à la bibliothèque, des pomenades un peu plus longues, autant de micro-changements qui peuvent humaniser des conditions carcérales. 

L'image l'a amusée et elle a acceptée. Dans la mesure où changer trop radicalement lui semble impossible, elle a songé que prendre de petites mesures pour rendre sa peine plus humaine était déjà une excellente chose. Cette idée a suffi à lui rendre le sourire et nous avons même pu mettre quelque chose en place avant notre prochain rendez-vous.
Voilà comment parfois, je joue sans le vouloir au directeur de prison !

2 Comments:

Blogger Caroline said...

A quelques petites choses près que je vous ai trouvé un clone de votre cliente !!Dommage que vous habitiez Paris, sinon c'est à vous que je l'aurai adressé;;; C'est surtout à cet âge ci que l'on se rend compte que l'on a gâché sa vie, hélas c'est un âge fatal, comme pour le cancer, c'est beaucoup trop avancé... Trop tard.

Accès plus fréquent à la bibliothèque... j'ai hâte d' y être !!!!

4/2/11 9:58 PM  
Blogger Élie said...

J'espère que parvenue à cet âge-là, et même avant, je pourrai dire comme Paul Léautaud : "Et maintenant, foutez-moi la paix ! "
À cet âge-là, on n'est plus définie comme la fille d'untel, l'épouse d'un autre, la maman de quelqu'un, l'employée de je ne sais qui. Avec un peu de chance, on a aussi un minimum d'aisance financière. Bref, on vit dans une certaine indétermination qu'on peut considérer comme une forme de liberté. Jusqu'à ce que les problèmes de santé deviennent trop importants et qu'on redevienne dépendant de quelqu'un. Retour à la case départ que j'espère ne jamais connaître !

7/6/18 1:53 PM  

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