07 février, 2011

Décompensation individuelle et collective !

 
La "révolution de jasmin" a eu lieu, et on a pu lire que personne n'avait rien pu prévoir et que notre diplomatie se serait montrée au dessous de tout. Evidemment personne ne peut croire que cela soit vrai. On peut simplement imaginer que notre gouvernement, toujours au dessous de tout, s'est imaginé que Ben Ali tiendrait en place indéfiniment et qu'il saurait mater la révolte.

Parce que les conditions de vie en Tunisie étaient bien connues de tous. Et même si face à la crainte qu'inspirait la police politique de Ben Ali, les gens se livraient peu, on trouvait toujours quelqu'un pour vous expliquer comment cela se passait effectivement dans ce pays. L'un d'eux, en m'expliquant sa vie, m'avait même donné une belle explication de ce que pouvait être le malheur le plus épais et de comment les révolutions naissent.

C'était il y a neuf ans, en avril deux-mille-deux. Tandis que l'on venait d'annoncer que Jean-Marie Le Pen serait au second tour, des amis et moi nous étions envolés en Tunisie pour une semaine au bord de la plage à ne rien faire.

Mon épouse aimant ramener ces plats colorés que l'on trouve partout, je me retrouvais donc à marchander avec des boutiquiers. L'un d'eux, un jeune âgé d'une petite vingtaine d'années, s'était montré très sympathique aussi l'avais je invité à prendre un verre à une terrasse voisine. 

Il m'avait un peu expliqué ce qu'était sa vie. Diplômé d'un diplôme équivalent à ce qui serait chez nous un DUT de Génie civil, il m'avait expliqué qu'il n'y avait pas de travail dans cette branche, raison pour laquelle il vendait des poteries dans une modeste boutique. 

Je lui avais alors demandé si, quitte à ne jamais travailler dans un emploi pour lequel il avait été formé, il lui serait possible au moins de devenir propriétaire d'une modeste échoppe comme celle de son patron. 

Il m'avait alors très simplement expliqué les grandes lignes de son budget mensuel. C'était fort simple à comprendre puisque lorsque l'on soustrayait son loyer et sa nourriture à son salaire mensuel, il lui restait à peine de quoi subsister, c'est à dire à peine de quoi acheter quelques vêtements et autres babioles nécessaires. Comme il me l'avait sagement expliqué : il n'avait aucune capacité d'épargne. 

Ensuite, il m'avait dit que même en se "débrouillant" de toute manière même avec l'argent nécessaire, il ne lui serait pas possible d'acheter une des modestes échoppes que l'on voyait. Et quand je lui avais demandé pourquoi, il m'avait simplement dit que les ventes en Tunisie n'étaient pas conclues de gré à gré comme chez nous, à n'importe qui, pourvu qu'il ait l'argent nécessaire. Sans vouloir trop parler, il m'avait simplement fait comprendre qu'il était nécessaire d'être dans une sorte de "circuit", de connaitre du monde, sinon on naissait et on mourait pauvre.

Je lui avais alors demandé ce qu'il espérait de la vie et très simplement, il m'avait dit qu'il n'en attendait rien, si ce n'est vivre un jour après l'autre. Et que son seul espoir  pour changer de vie résidait dans l'émigration ou le mariage avec une européenne. Sa situation était celle qu'on peu ou prou du connaitre les siciliens au début du siècle dernier, ce qui les a poussés à s'embarquer par milliers pour l'Amérique.
En bref,ce n'était pas la misère, juste la pauvreté avec une économie mise en coupe réglée par un système mafieux. Compte-tenu de ces données, il ne fallait pas être grand clerc, pour savoir qu'un rien aurait mis le feu aux poudres. Quand un navire prend la mer en surcharge, la moindre vague le fait chavirer.

La seule hausse des matières premières en rendant les gens incapables de se nourrir suffisait à renverser le régime. De toute manière, il n'y à qu'à regarder la marche du monde pour noter que les grands bouleversements ont toujours été la suite de famines plus ou moins prononcées. L'histoire de ce jeune type qui s'est immolé par le feu, initiant par son sacrifice les les événements que l'on connait ,m'avait remis cette conversation en tête. Quand on n'a plus rien à perdre, alors on se met à bouger.

On peut donc supposer qu'il existe une différence notable entre ce que l'on nomme un despote éclaire et un despote tout court. Il y a fort à penser que si l'on peut admettre que le premier a une vision claire de ce qu'il veut pour son peuple, le second ne soit là que pour le pressurer encore et encore.Il y aurait donc des fous inspirés et des fous simplement pervers.

Aujourd'hui encore, même si ma formation initiale m'a enseigné l'économie,  j'ai changé de voie et je suis devenue très attentif à des marqueurs non financiers. Même si le PIB reste important, je suis toujours stupéfait que l'on passe à côté de renseignements aussi cruciaux que la consommation d'anxiolytique ou d'antidépresseurs.

On peut se faire à tout mais le véritable malheur ne dépend pas de ce que l'on vit mais de l'incapacité subjective que l'on a que rien ne pourra jamais changer. Alors, on se fait au malheur jusqu'au jour où l'on décompense sous l'influence de n'importe quel événement.

C'est ce que montrait Chute libre, un fil de Joël Schumacher avec Michael Douglas, dans lequel un cadre licencié et divorcé décompense brutalement à l'occasion d'un simple embouteillage. Que ce soit seul, via la décompensation, ou en groupe via la révolution, on peut aussi analyser ces troubles non pas comme le signe clinique d'une aggravation, mais comme la tentative désespérée d'individus tentant par tous les moyens mis à leurs dispositions de retrouver un équilibre, de redistribuer les cartes.

En bref, les romains disaient que pour mener un peuple il fallait du pain et des jeux, on peut aussi affirmer qu'il faut aussi redistribuer les cartes de temps en temps. N'avoir que de mauvaises mains et ne jamais pouvoir s'en remettre au destin en sachant que de toute manière on n'aura toujours que de mauvaises cartes donne effectivement envie de donner des coups de lattes dans la table de poker.