06 juin, 2011

Je ne suis pas du tout visuel !


Je ne sais pas qui a pu lui donner mes coordonnées mais toujours est-il qu'un scénariste a pris contact avec moi afin de me rencontrer. Comme il me l'a expliqué au téléphone, il a pour projet d'écrire une série dont le thème central serait les TCC. Si je comprends qu'on puisse faire une série avec des psys, j'ai du mal à comprendre en quoi les TCC seraient quelque chose d'intéressant hormis dans le cadre d'un documentaire ou d'un hors-série de Science et Vie.

Au jour et à l'heure dits, je reçois ce scénariste qui a vraiment un look de scénariste tel que je me les imaginais tout pétri de préjugés et bourré de stéréotype que je suis. Le type à qui j'ouvre la porte est ainsi une sorte de vieux jeune, c'est à dire un presque quadragénaire qui persiste à s'habiller comme un gamin de vingt ans en étant persuadé qu'il n'a pas vieilli.

Vêtu tout de jean, il porte des baskets grotesques, et je note qu'il porte les pattes assez longues sans doute pour compenser une tonsure naissante sur le haut du crâne qu'il tente de dissimuler en portant le cheveux très court. Je ne lui trouve pas un regard très vif ce qui ne m'empêche pas de lui serrer chaleureusement la main.

Bien entendu, je le reçois cordialement en lui proposant un café et en m'abstenant de tous commentaires désobligeants sur son apparence. Pas plus que je ne me permets de lui dire qu'il a vraiment une bonne tête de gauchiste, persuadé que je suis que c'est un lecteur assidu des Inrocks, de Technikart, voire même d'être un des derniers abonnés à Libération, ces huit feuillets qui se donnent encore l'illusion d'être un vrai journal.

Comme j'ai une grande habitude de recevoir des tas de gens différents en faisant taire mes jugements moraux, j'applique la technique avec lui ce qui est facile puisqu'il est assis en face de moi, à la place qu'occupent habituellement mes chers patients. C'est ainsi qu'affable, je lui demande, ce que je demande toujours: en quoi puis-je vous être utile ?

Le quidam me demande s'il peut enregistrer notre entretien ce que j'accepte sans problèmes. Il sort alors un drôle de petit dictaphone avec un chouette de petit micro directionnel qu'il fixe dessus. J'ai les yeux rivés sur ce minuscule micro chromé et je sens monter en moi une lubie. Durant un bref laps de temps, j'ai l'impression que je ne pourrais plus jamais vivre heureux si je ne me procure pas ce même micro qui est vraiment trop mignon !

Habitué à mes lubies, je fais mes petits exercices cognitifs et j'en viens aussitôt à me dire qu'acheter e micro serait une dépense inutile puisque je n'enregistre jamais personne. Après une brève tension, la lubie disparait et je peux enfin me consacrer à mon interlocuteur qui a sorti une page sur laquelle figurent sans doute les questions qu'il aimerait me poser.

C'est ainsi qu'il commence à me demander des précisons sur les TCC. Et comme j'ai lu tout Cottraux (et bien d'autres auteurs) je lui réponds très doctement afin de lui expliquer tout ce qu'il souhaite savoir. Comme je suis du genre prolixe et habile à faire des digressions et des circonlocutions, j'ai vite fait de le noyer sous un déluge d'informations qui semblent le satisfaire autant qu'elles le laissent pantois. Le pauvre s'attendait sans doute à un psy calme et mesuré, tels qu'on les imagine, et le voici qu'il a face à lui une sorte de camelot qui lui fourgue de la TCC comme un bateleur fourguerait ses batteries de cuisine ou ses fers à défroisser sous les arcades du BHV.

Noyé sous mes précisions techniques, je le vois un peu hésiter et perdre pied ce qui m'amuse passablement vu que je suis parfois cruel. Je lui demande s'il souhaite d'autres précisions et c'est là que ce cuistre m'explique qu'il imaginait mon métier autrement. Etonné, je lui demande de me préciser ce qu'il avait imaginé de ma profession.

Et c'est là qu'il m'explique qu'il avait imaginé quelque chose de plus "visuel", de plus pratique. Comme je me doute qu'il a du voir des reportages télévisés, je lui explique qu'il a sans doute du s'inspirer de ce que l'on montre habituellement sur le traitement des TOC. En effet, traiter un TOC peut devenir très visuel puisqu'il s'agit d'empêcher ou au contraire de forcer quelqu'un à accomplir un comportement en lui évitant des angoisses. Ainsi, un patient persuadé qu'il doit fermer trois fois sa porte ou se laver dix-huit fois les mains de suite, sera amené progressivement à adopter un comportement plus conforme à bases d'exercices enseignés par le thérapeute qu'il devrai ensuite refaire chez lui.

Je lui explique alors que les TOC sont généralement pris en charge en psychiatrie et que j'en reçois assez peu parce que ce sont des cas finalement peu passionnants bien qu'ils aient toute ma compassion. En effet, l'hypothèse de l'implication d'un dysfonctionnement du circuit orbito-fronto-striato-thalamocortical dans le TOC étant confortée par les données cliniques et la neuroimagerie fonctionnelle, leur traitement s'apparente plus à une forme de rééducation telle que la pratiqueraient par exemple des orthophonistes dans le cadre de la dyslexie qu'à une psychothérapie stricto-sensu et de fait me concerne à priori moins que d'autres pathologies dans lesquelles le vécu et donc l'aspect purement psychologique est plus prévalent.

Le pauvre semble tout déconfit et j'imagine aussitôt les belles images qu'ils avaient envisagées dans sa tête mettant en scène des patients affligés de TOC ou mieux encore d'une belle maladie de Gilles de la Tourette qui sont des pathologies très visuelles et propres à réjouir le téléspectateur lambda. C'est vrai que la neurologie bien mise en scène peut réserver de très belles séquences pour un scénariste inventif même si la discipline reste moins "visuelle" que l'orthopédie dans laquelle le sang est toujours présent.

Parce que le côté visuel de la discipline semble être le maitre mot de mon nouvel ami scénariste, la trame même de la jolie série qu'il s'apprêtait à écrire, il me semble vraiment tout dépité. Sans me départir de mon calme, je lui explique que la thérapie étant basée sur la parole et l'échange, cela reste moins visuel que les métiers d'acrobate ou de cascadeur et que j'en suis désolé. Je rajoute en plus que détestant le sport et les sportifs, le dernier qui m'a vu courir doit avoir une longue barbe blanche.

Je précise aussitôt que je connais des tas d'auteurs ou de scénaristes talentueux, qui ont réussi à écrire de fort jolies choses passionnantes à partir de situations pas du tout visuelles et que par exemple il me semblait que le ressort psychologique, par exemple la tension induite par une situation chez les personnages pourvu qu'ils soient interprétés par des acteurs talentueux, était aussi quelque chose d'assez intéressant même si cela reste plus compliqué à écrire qu'une poursuite de voitures.

Ainsi quand j'étais petit, la série Columbo cartonnait alors que je ne pense avoir vu Peter Falk courir une seule fois dans un épisode ni même se servir d'un flingue. Plus proche de nous, on a même mis en scène un médecin boiteux et misanthrope pour qui aller vite nécessite forcément d'enfourcher sa Honda CBR. Je pense même que la profession d'avocat, par forcément très visuelle non plus, a permis de faire de très jolies séries. Et puis merde après tout, ça veut dire quoi visuel ! Ce n'est que la manière de capter quelque chose, une intensité, une tension, quelque chose de fin, de ténu, d'éthéré, et pas forcément du mouvement bête !

Je ne vais pas me mettre à faire un tsukahara comme un débile de gymnaste dans mon cabinet pour devenir plus visuel ! Putain rien que mon regard acéré, mes gestes mesurées, mes paroles justes, traduisent assez la vitesse de mes neurones en pleine action pour que mon corps se dispense de toute activité superflue. Si je bougeais aussi vite que mes neurones, putain je vous referai Matrix en courant sur les murs. En fait, je suis visuel à ma manière, je ne suis pas un visuel cheap, un mec qui a besoin de bouger pour montrer qu'il est plein de vie. Moi, je suis un visuel intériorisé, un adepte du sport cérébral. Je suis un visuel dont la "visualité" (pardonnez moi ce néologisme) ne se révèle qu'aux êtres fins.

Ne sachant pas vraiment si je suis sérieux ou si je me moque de lui, mon scénariste me regarde interdit. N'étant pas cruel par nature, je lui explique alors que s'il souhaite des situations vraiment plus visuelles, il peut alors prendre contact avec des consultations spécialisées comme celle de l'hôpital Sainte-Anne où il pourra rencontrer des spécialistes des TOC tels qu'il les imagine. Il note les quelques adresses que je lui donne. Je rajoute aussitôt que s'il veut ajouter de la tension à son scénario, il peut aussi visiter des UMD dans lesquelles il verra des cas vraiment terribles ce qui lui permettra d'avoir non seulement du "visuel" mais en plus du "dangereux".

L'entretien étant terminé, il se lève un peu déçu, me remercie et me salue avant de disparaitre. Ayant su qui me l'avait adressé j'ai de la peine pour lui. Pauvre scénariste, on avait du lui vanter les mérites d'un psy assez peu conventionnel, plutôt sympa et rigolo, et il avait du se faire son film dans sa tête en me caricaturant en personnage de série.

Manque de mot, si je suis sympa et parfois rigolo, je ne suis par contre pas visuel du tout comme il le voudrait. Je suis visuel autrement !

6 Comments:

Blogger Lucie Trier said...

La vache ! L'angoisse m'étreint, il va donc falloir que je sois rapide !
Le reste est sur ton téléphone.

16/6/11 11:14 PM  
Blogger Xix said...

Très bon celui-là !

17/6/11 1:50 PM  
Blogger V. said...

Il a peut être trouvé que vos explications étaient trop techniques... Ce qui était le cas, puisque vous le faisiez à dessein puisque vous êtes parfois cruel.

Quant à ne pas être visuel, assez, autrement ou comme les autres le voudraient, alors là, faut pas non plus vous moquer du monde en général et de vos lecteurs en particulier :o)

D'ailleurs ce type n'a pas parlé de vous mais de vos explications volontairement a-visuelles.

je crois que je n'ai pas trop compris le fil conducteur du post en fait...

18/6/11 9:47 PM  
Blogger odile said...

il existe une série fabuleuse qui se passe dans le cabinet d'un psy "in treatment"(en analyse) de la chaine HBO
comme quoi on peut voir à la télé ce qui sa psse dans un cabinet de psy et c'est très visuel dans les échanges de regards, les mains..
à conseiller à votre scénariste
cette série m'a aidée au cours de ma propre thérapie
cordialement

19/6/11 10:33 AM  
Blogger Lousk said...

Vous aviez déjà participé en tant que consultant pour une série abordant la thérapie, non ?

23/6/11 7:50 AM  
Blogger Lousk said...

Merci Odile pour cette info, j'espère qu'il s'agit de thérapie cognitiviste :)

24/6/11 8:16 PM  

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