Une histoire de Philippe - 10 fin !
Dans ce cadre, je crois que
même si je ne peux crier victoire, force est de constater que nous avons
obtenus quelques succès. Il s’était affirmé, coupé de certaines personnes trop
toxiques pour lui, avait enfin laissé ce divorce derrière lui. Il était enfin
débarrassé des bagages trop pesants qui l’avaient encombrés une bonne partie de
sa vie. Bref, il allait mieux, j’en étais sur même si techniquement il restait
alcoolique. Du moins, ne buvait-il plus pour oublier mais simplement parce
qu’il aimait cela et qu’il avait trouvé dans la dive bouteille une sorte de
remède qui lui plaisait.
Compte-tenu de son obstination
à vouloir toujours boire, à ne jamais condescendre à aller aux réunions des AA,
je m’étais dit qu’avec un peu de chance, il tiendrait jusqu’à soixante ans
avant qu’une cirrhose ne le tue. Soixante ans c’était jeune mais suffisamment
âgé pour qu’il soit au mariage de ses trois enfants. Cela semble cynique de
s’exprimer ainsi mais j’avais rempli mon obligation de moyens. Je ne pouvais
rien d’autre pour lui, j’en reste persuadé. Il avait tout en main.
Au bout d’un peu plus d’un an
de consultations parfois irrégulières, les vacances sont arrivées. Septembre
revenu, il n’a pas repris rendez-vous. J’aurais pu de moi-même lui demander
s’il souhaitait que l’on se revoie. Je pense qu’il aurait été d’accord parce
que l’on s’entendait bien. Mais de mon point de vue, je n’avais pas envie de
tarifer mon amitié et je pense que j’avais conscience d’avoir fait le maximum.
Alors je n’ai rien dit. Au mieux, je crois qu’il aurait fallu laisser passer
une « période de rémission » pour qu’il continue à se reprendre en
main. Peut-être aurait-il pris conscience que l’alcool loin d’être une aide était
un frein à sn rétablissement total et que le bonheur ne se trouve pas dans la
bouteille. Quand on s’est revus, on s’est salués chaleureusement. Et puis comme
le petit café où nous avions nos habitudes a été fermé, on s’est moins vu sinon
quand il faisait beau et que l’on se croisait dans les rues.
Il me semblait plus heureux.
De temps en temps, je prenais de ses nouvelles et lui demandais si sa
consommation d’alcool était en baisse et il me répondait qu’il avait diminué
sans arrêter pour autant. Alors comme un rituel, je lui disais toujours
« Philippe je ne veux pas jouer le père la morale mais fais gaffe, dans
ton état, c’est la cirrhose assurée si tu persistes, tu vas crever ». Je
lui rappelais que Philippe le généraliste était toujours prêt à le recevoir ou
que des alcoologues spécialisés pourraient aussi l’aider. Il me rassurait alors
en me disant que sa vie allait nettement mieux et qu’il était heureux. Et c’est
vrai qu’il avait repris figure humaine même si un œil averti distinguait encore
l’alcoolique sommeillant en lui. Il se conduisait mieux, de manière plus
mature, toujours aussi sympa mais ayant regagné une dignité autrefois perdue. Une
chose est sure, je ne le sentais plus déprimé comme lorsque je l’avais connu.
Sa tristesse avait disparu.
Parfois, je l’observais me
demandant sans cesse si j’aurais pu faire mieux pour lui. Et ma foi, je me disais qu’il était heureux et
que le reste ne m’appartenait pas. N’ayant plus de souffrance clinique
significative, son addiction restait comme une survivance de son passé et si
elle était un danger physique, elle ne l’empêchait pas de mieux vivre.
A toutes fins, utiles tous
ceux qui avaient de l’affection pour lui et moi avions constitué une petite
garde rapprochée. Comme il était seul, on lui rendait visite. Je sais qu’il
faisait beaucoup de musique avec un ami commun qui ne risquait pas de
l’entrainer sur une pente fatale. Et quand j’interrogeais cet ami à propos de
la consommation d’alcool de Philippe, il me disait en souriant « oh il y a
du mieux, c’est une bouteille de whisky par jour au lieu de deux, c’est déjà
ça ». Et c’était évidemment bien trop.
Et puis la mauvaise saison est
arrivée. Calfeutrés chacun chez soi au chaud, on ne s’est pas beaucoup vus.
Nous sommes croisés durant les vacances de Noël. Il faisait la queue chez un
commerçant. En me voyant, il est sorti pour me saluer et nous avons bavardé. Il
semblait psychologiquement en pleine forme. On a discuté dix minutes comme deux
vieux amis et il m’a dit qu’il fallait que je passe le voir chez lui après les
vacances. Il m’a expliqué que son divorce était terminé et que tout était clôt
et qu’il se sentait heureux et vraiment plus léger. J’étais content pour lui,
c’était peut-être la victoire que j’escomptais lorsque j’avais accepté de le
prendre en charge. On s’est quitté en nous faisant la bise et en se promettant
de se voir bientôt.
Et puis, le temps a passé,
janvier a été épouvantable et je ne suis pas beaucoup sorti. J’ai appris par
une amie commune en février que Philippe venait d’être retrouvé mort chez lui,
noyé dans son sang durant son sommeil. Il n’avait que cinquante sept ans.
L’alcool avait fini par le tuer. Ses varices oesophagiennes avaient fini par se
rompre entrainant son décès par étouffement du à l’hématémèse. J’avais pensé
lui garantir quelque année de plus mais je m’étais trompé. Ceci dit, à ma
décharge il était parfaitement au courant des risques qu’il prenait, ce n’était
pas faute de l’en avoir averti.
Nous étions nombreux à ses
obsèques parce qu’il avait finalement beaucoup d’amis. La cérémonie était sobre
mais touchante et le sacré et le profane se sont mélangés. On a entendu sa
Fender sonner une dernière fois dans l’église.
Curieusement, ce jour là, sur
le banc, j’étais au milieu avec à ma droite Philippe le cafetier et de l’autre
côté Philippe le médecin et en face de nous, allongé dans son superbe cercueil,
Philippe l’alcoolique. L’histoire de Philippes était close. On s’est séparés
pour aller vaquer à nos activités.
Peut-être que Philippe le
cafetier s’est dit qu’il aurait du refuser de servir à boire à Philippe tout en
sachant qu’il serait allé ailleurs. Peut-être que Philippe le médecin s’en est
voulu de ne pas avoir fait interner Philippe en sachant que de toute manière
une fois sorti, il aurait replongé.
Quant à moi, je suis sorti
assez triste et partagé en me disant que j’aurais sans doute pu tenter d’autres
stratégies tout en sachant bien que j’avais sans doute fait le maximum. Je
crois avoir rempli mon obligation de moyens. Je suis sincèrement persuadé que
je n’aurais pas pu faire mieux et que ce que Philippe et moi avons entrepris,
lui aura permis de vivre ses deux dernières années en paix. C’est déjà cela.
Qu'il repose en paix.
1 Comments:
"combien de psy pour changer une ampoule" ? (etc)
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