23 février, 2013

Une histoire de Philippe - 10 fin !


Dans ce cadre, je crois que même si je ne peux crier victoire, force est de constater que nous avons obtenus quelques succès. Il s’était affirmé, coupé de certaines personnes trop toxiques pour lui, avait enfin laissé ce divorce derrière lui. Il était enfin débarrassé des bagages trop pesants qui l’avaient encombrés une bonne partie de sa vie. Bref, il allait mieux, j’en étais sur même si techniquement il restait alcoolique. Du moins, ne buvait-il plus pour oublier mais simplement parce qu’il aimait cela et qu’il avait trouvé dans la dive bouteille une sorte de remède qui lui plaisait.

Compte-tenu de son obstination à vouloir toujours boire, à ne jamais condescendre à aller aux réunions des AA, je m’étais dit qu’avec un peu de chance, il tiendrait jusqu’à soixante ans avant qu’une cirrhose ne le tue. Soixante ans c’était jeune mais suffisamment âgé pour qu’il soit au mariage de ses trois enfants. Cela semble cynique de s’exprimer ainsi mais j’avais rempli mon obligation de moyens. Je ne pouvais rien d’autre pour lui, j’en reste persuadé. Il avait tout en main.

Au bout d’un peu plus d’un an de consultations parfois irrégulières, les vacances sont arrivées. Septembre revenu, il n’a pas repris rendez-vous. J’aurais pu de moi-même lui demander s’il souhaitait que l’on se revoie. Je pense qu’il aurait été d’accord parce que l’on s’entendait bien. Mais de mon point de vue, je n’avais pas envie de tarifer mon amitié et je pense que j’avais conscience d’avoir fait le maximum. Alors je n’ai rien dit. Au mieux, je crois qu’il aurait fallu laisser passer une « période de rémission » pour qu’il continue à se reprendre en main. Peut-être aurait-il pris conscience que l’alcool loin d’être une aide était un frein à sn rétablissement total et que le bonheur ne se trouve pas dans la bouteille. Quand on s’est revus, on s’est salués chaleureusement. Et puis comme le petit café où nous avions nos habitudes a été fermé, on s’est moins vu sinon quand il faisait beau et que l’on se croisait dans les rues.

Il me semblait plus heureux. De temps en temps, je prenais de ses nouvelles et lui demandais si sa consommation d’alcool était en baisse et il me répondait qu’il avait diminué sans arrêter pour autant. Alors comme un rituel, je lui disais toujours « Philippe je ne veux pas jouer le père la morale mais fais gaffe, dans ton état, c’est la cirrhose assurée si tu persistes, tu vas crever ». Je lui rappelais que Philippe le généraliste était toujours prêt à le recevoir ou que des alcoologues spécialisés pourraient aussi l’aider. Il me rassurait alors en me disant que sa vie allait nettement mieux et qu’il était heureux. Et c’est vrai qu’il avait repris figure humaine même si un œil averti distinguait encore l’alcoolique sommeillant en lui. Il se conduisait mieux, de manière plus mature, toujours aussi sympa mais ayant regagné une dignité autrefois perdue. Une chose est sure, je ne le sentais plus déprimé comme lorsque je l’avais connu. Sa tristesse avait disparu.

Parfois, je l’observais me demandant sans cesse si j’aurais pu faire mieux pour lui. Et  ma foi, je me disais qu’il était heureux et que le reste ne m’appartenait pas. N’ayant plus de souffrance clinique significative, son addiction restait comme une survivance de son passé et si elle était un danger physique, elle ne l’empêchait pas de mieux vivre.

A toutes fins, utiles tous ceux qui avaient de l’affection pour lui et moi avions constitué une petite garde rapprochée. Comme il était seul, on lui rendait visite. Je sais qu’il faisait beaucoup de musique avec un ami commun qui ne risquait pas de l’entrainer sur une pente fatale. Et quand j’interrogeais cet ami à propos de la consommation d’alcool de Philippe, il me disait en souriant « oh il y a du mieux, c’est une bouteille de whisky par jour au lieu de deux, c’est déjà ça ». Et c’était évidemment bien trop.

Et puis la mauvaise saison est arrivée. Calfeutrés chacun chez soi au chaud, on ne s’est pas beaucoup vus. Nous sommes croisés durant les vacances de Noël. Il faisait la queue chez un commerçant. En me voyant, il est sorti pour me saluer et nous avons bavardé. Il semblait psychologiquement en pleine forme. On a discuté dix minutes comme deux vieux amis et il m’a dit qu’il fallait que je passe le voir chez lui après les vacances. Il m’a expliqué que son divorce était terminé et que tout était clôt et qu’il se sentait heureux et vraiment plus léger. J’étais content pour lui, c’était peut-être la victoire que j’escomptais lorsque j’avais accepté de le prendre en charge. On s’est quitté en nous faisant la bise et en se promettant de se voir bientôt.

Et puis, le temps a passé, janvier a été épouvantable et je ne suis pas beaucoup sorti. J’ai appris par une amie commune en février que Philippe venait d’être retrouvé mort chez lui, noyé dans son sang durant son sommeil. Il n’avait que cinquante sept ans. L’alcool avait fini par le tuer. Ses varices oesophagiennes avaient fini par se rompre entrainant son décès par étouffement du à l’hématémèse. J’avais pensé lui garantir quelque année de plus mais je m’étais trompé. Ceci dit, à ma décharge il était parfaitement au courant des risques qu’il prenait, ce n’était pas faute de l’en avoir averti.

Nous étions nombreux à ses obsèques parce qu’il avait finalement beaucoup d’amis. La cérémonie était sobre mais touchante et le sacré et le profane se sont mélangés. On a entendu sa Fender sonner une dernière fois dans l’église.

Curieusement, ce jour là, sur le banc, j’étais au milieu avec à ma droite Philippe le cafetier et de l’autre côté Philippe le médecin et en face de nous, allongé dans son superbe cercueil, Philippe l’alcoolique. L’histoire de Philippes était close. On s’est séparés pour aller vaquer à nos activités.

Peut-être que Philippe le cafetier s’est dit qu’il aurait du refuser de servir à boire à Philippe tout en sachant qu’il serait allé ailleurs. Peut-être que Philippe le médecin s’en est voulu de ne pas avoir fait interner Philippe en sachant que de toute manière une fois sorti, il aurait replongé.

Quant à moi, je suis sorti assez triste et partagé en me disant que j’aurais sans doute pu tenter d’autres stratégies tout en sachant bien que j’avais sans doute fait le maximum. Je crois avoir rempli mon obligation de moyens. Je suis sincèrement persuadé que je n’aurais pas pu faire mieux et que ce que Philippe et moi avons entrepris, lui aura permis de vivre ses deux dernières années en paix. C’est déjà cela.

Qu'il repose en paix.

1 Comments:

Blogger V. said...

"combien de psy pour changer une ampoule" ? (etc)

12/4/13 4:47 PM  

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