17 février, 2013

Une histoire de Philippe - 7

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Nous avions bien sur aussi tenté de nous attaquer à sa consommation d’alcool mais bien que je lui aie trouvé quelqu’un capable de l’emmener aux Alcooliques Anonymes, il n’avait pas voulu, prétextant qu’il se sentait capable d’assurer tout seul son sevrage, ce dont je doutais. De fait, il avait fait des efforts en tentant de limiter sa consommation. C’était évidemment insatisfaisant d’un point de vue médical mais encourageant psychologiquement. Il était monté sur la première marche et c’était bien. Il faut parfois se contenter de minuscules victoires ! J’imaginais que parvenus à de meilleures conditions de vie, nous puissions enfin nous attaquer à ce problème.

De nous jours, on estime que la psychothérapie consiste en une approche bio-psycho-sociale. L’aspect biologique revenait aux médecins et Philippe en consultait, lesquels ne se lassaient jamais de le rappeler à une plus grande modération. Mais quoi qu’ils aient dit ou fait, rien n’avait fonctionné. Il avait effectué deux cures de désintoxication, un peu comme il serait parti en vacances. Durant huit jours à chaque fois, gavé de tranquillisant, il était parti en cure, chargé de livres comme il serait parti en vacances. Cela l’avait rassuré dans sa capacité de se passer d’alcool mais guère plus. Comme il me disait : « puis j’ai pu m’en passer durant huit jours sans me roulet par terre, je me sens capable de m’en passer si j’en ai envie, je ne suis pas un grand alcoolique ». Ces cures avaient donc largement raté leur but, l’installant au contraire dans une fausse confiance en lui-même. Dans un environnement calme et dénué de stress, soutenu par une équipe médicale et déchargé de tous soucis, il est certain que Philippe cessait de consommer de l’alcool.

Nous avions aussi porté nos efforts sur ses relations. Il avait conscience que certaines personnes lui étaient bénéfiques, à savoir qu’il pouvait partager avec elle de bons moments sans être entrainé à faire n’importe quoi. En revanche, il admettait que d’autres personnes soient profitaient de son argent tout simplement ou pire, qu’elles l’entrainaient encore plus dans son addiction. Il avait commencé à faire du ménage. Et tandis qu’il avait auparavant un peu douté qu’on puisse autant profiter de lui et de ses largesses, il avait finalement pris le réel dans la figure et constaté que bien des personnes ne le fréquentaient que pour on incapacité à dire non.

Je me souviens ainsi d’un jour où nous faisions notre séance alors qu’un de ses « amis » était venu lui rendre brièvement lui rendre visite. J’avais eu mal pour lui tant cette personne l’avait humiliée. Finalement, Philippe redoutait tellement le conflit qu’il préférait perdre sur tout que d’engager une bataille. Cette altercation était venue à point nommé afin de nous donner un prétexte lui permettant de s’affirmer. Il s’agissait comme l’enseigne tous les manuels sur le sujet de pouvoir affirmer ses droits en maintenant une bonne relation avec l’interlocuteur. Le pauvre Philippe ayant une image de lui-même extrêmement dévalorisée, voyait en chaque personne rencontrée un appui ou une menace potentiels. Et à force de vouloir être aimé de tout le monde, il avait réussi à se faire mépriser d’un bon nombre de personnes.

Il s’agissait de lui réapprendre à prendre conscience de ses désirs propres pour enfin être capable de dire « non ». Je l’avais entraîné afin qu’il puisse se débarrasser de ses pires tourmenteurs. Nous avions simplement développé le concept de « personnes toxiques » en sachant les reconnaître et déjouer leurs plans. La personne toxique est simple à reconnaître puisqu’une fois qu’elle disparaît, on a le sentiment d’être moins heureux, d’être un peu déprimé et vidé. Ce sont toutes ces personnes qui nous blessent, nous dévalorisent, nous critiquent se livrent à des insinuations ou profitent de notre gentillesse sans jamais rien nous offrir en échange.

C’est ainsi qu’une jeune femme en qui il avait pu envisager de trouver une future compagne, quelqu’un capable de le comprendre, s’était révélée comme étant quelqu’un profitant malhonnêtement de lui puisqu’elle avait abusé de son état d’ébriété pour lui faire signer quantité de chèques. Il avait pris une vraie claque ce jour là ! Il n’en revenait pas et m’avait demandé ce qu’il devrait faire, porter plainte ou non. Je m’étais abstenu de lui conseiller la marche à suivre en restant dans mon rôle de psy ce qui n’était pas toujours facile. Je lui avais enjoint d’en parler à des amis proches, ce qu’il avait fait, puis de prendre en compte ses désirs propres. Il avait ensuite déposé plainte au commissariat, ce qui m’avait semblé normal. L’adulte refaisait surface en lui au fur et à mesure que son sentiment d’auto-efficacité remontait.

J’avais aussi mis un autre Philippe sur l’affaire, Philippe le médecin. Ils se connaissaient depuis des années et s’estimaient. J’avais organisé un déjeuner chez le médecin par une belle journée ensoleillée. Philippe le médecin avait alors fait une ordonnance à Philippe le pharmacien et Philippe le psy était satisfait. Sauf que Philippe le pharmacien, non content des molécules prescrites n’avait pas suivi le traitement, ayant décidé de le modifier de lui-même. Comme il lui suffisait d’entrer dans n’importe quelle pharmacie en brandissant sa carte professionnelle pour obtenir ce qu’il voulait, ce n’était pas un patient facile. Mais bon, j’avais tenté et au cas ou, il saurait qu’un médecin sympathique et s’abstenant de le juger serait là pour l’aider. C’était finalement loin de la victoire espérée mais un point positif le jour où il souhaiterait arrêter l’alcool.

Mais je me dois de rester honnête et humble et durant une année, je ne peux pas dire que les progrès furent fulgurants. Je me contentais de maintenir un lien solide et d’enregistrer de petits succès. De fait, et j’espérais ne pas pêcher par excès de confiance, si les miracles n’étaient pas au rendez-vous, du moins avais-je l’impression d’enregistrer de timides avancées et de conforter durablement certains secteurs de la vie de Philippe. Il buvait un peu moins, s’occupait beaucoup mieux de ses affaires et avait fait le tri dans ses relations. Pour ma part, j’aurais bien aimé qu’il fréquente les AA mais il ne voulait pas en entendre parler. Il m’assurait que seul il y arriverait. Peut-être était-ce vrai mais je trouvais important qu’il ait pu partager avec des personnes ayant eu le même problème que lui. De toute manière, je ne pouvais pas le trainer de force.