Une histoire de Philippes - 8
Et puis, il y avait le point
central qui était son divorce. Nous avons alors abordé le sujet. Ayant pris
contact avec deux avocats que je connaissais, les deux m’avaient expliqué que
son cas était désespéré au regard du droit et que la meilleure chose était de
transiger. Si la partie était perdue d’avance, du moins pouvait-il encore s’en tirer
plus honorablement et clôturer cette affaire rapidement. C’est un peu ce que je
lui expliquai sans me risquer à prendre la décision qui lui revenait. Le
progrès que Philippe réalisa, fut de changer son optique en transformant ce qui
était pour lui une bataille dans laquelle il mettait tout son affect en un
simple problème juridique. Ce n’était pas facile mais il comprit finalement que
ce divorce était un cancer qui le rongeait et était en grande partie
responsable de son mal-être actuel.
Afin de lui offrir un autre
point de vue, j’organisai une rencontre avec un de mes amis ayant son âge et
ayant vécu le même type de divorce difficile. Par pudeur, j’avais préféré les
laisser discuter entre eux m’étant contenté de faire l’entremetteur. Je savais
que cet ami avait vécu les mêmes affres et s’en était sorti non sans avoir
durant presqu’un an frôlé le précipice en se mettant à boire. A défaut de
partager avec les AA, cela permettrait à Philippe l’alcoolique de partager avec
quelqu’un ayant eu peu ou prou la même expérience que lui. De fait, il fut ravi
de l’entretien. Lui et mon ami avaient suffisamment de points communs pour que
cet échange ait été favorable. Je crois que ce qui avait marqué Philippe c’est
lorsque cet ami lui avait expliqué qu’un jour, il s’était simplement dit qu’il
était un type bien. Ces divorces difficiles entrainent souvent une blessure
narcissique extrême dont il faut sortir.
Finalement cette entrevue et
ses réflexions personnes l’amenèrent à changer d’avocat, lequel lui donna le
même conseil que ceux avec qui j’avais discutés. C’est ainsi qu’il transigea
avec son épouse à qui il n’octroya qu’une fraction de ce qu’elle exigeait et
qui représentait tout de même une somme plus que coquette. De son côté, lassée
elle aussi par son avocate et ayant pris un nouveau conseil, elle accepta l’offre,
peu désireuse de se lancer dans une procédure qui s’enlisait et risquait de
durer des années. Un protocole devait être signé bientôt.
Tout au long de ces mois
durant lesquels je le vis, nous nous entendions bien. J’acceptais sous
certaines limites ses errements et le fait qu’il ne puisse pas s’engager avec
plus de rigueur dans un processus thérapeutique. Je crois qu’il en avait tout à
fait les capacités dans la mesure où son niveau d’études donnait à penser qu’il
était capable d’efforts et de constance. Je pense qu’au fond de lui, il avait
l’angoisse que je ne sois plus qu’un psy faisant son boulot comme un autre et
qu’il voulait à tout prix qu’il reste de l’affection entre nous. Il avait aussi
très peur de manière générale de se retrouver seul dans la vie et d’être livré
à lui-même. De fait, même si nous parvenions à travailler, il fallait toujours
que la séance soit émaillée de quelque chose n’ayant apparemment rien à voir
avec ce que nous entreprenions. C’était sans doute sa manière à lui de savoir
avec certitude si je n’étais qu’un professionnel venu l’aider contre monnaie
sonnante et trébuchante ou aussi quelqu’un qui venait aussi en ami. J’avais
donc joué le jeu avec sincérité, comprenant cette demande dans la mesure où il
était à cette époque très isolé.
Je n’étais pas son ami stricto
sensu pas plus que je n’étais son psy stricto sensu, je marchais sur une corde
raide, évitant de tomber d’un côté ou de l’autre. Ce qui me permettait d’agir
comme cela, c’était que quoiqu’ait désiré Philippe de moi, je me rappelais sans
cesse ma mission. En tâche de fond, je ne perdais jamais de vue que quels
qu’aient pu être ma manière d’être, j’avais un travail à faire et une
obligation de moyens à remplir. J’ai joué son jeu parce qu’il n’y avait pas
d’autres moyens de faire, sous peine d’être éjecté tout en gardant tout au fond
de moi les règles essentielles à respecter. Je crois de toute manière que face
à des gens aussi sensibles que Philippe, il est impossible de se cantonner à
une aide purement professionnelle. Ce sont un peu des vampires affectifs et
leur immaturité psycho-affective rend nécessaire un autre type d’approche.
Il y avait de fait chez
Philippe une véritable hyper-sensibilité émotionnelle et un haut potentiel
intellectuel. C’était ce que l’on nommerait un surdoué qui n’avait jamais été
détecté. Durant toute sa vie, il s’était servi de ses facilités sans se donner
beaucoup de peine. Son intelligence alliée à ses capacités intuitives et à sa
grande empathie lui avait toujours à peu près permis de s’en sortir. Peu habile
au combat, il s’était alors écroulé lorsque son épouse était partie. Sans doute
représentait-elle pour lui, plus qu’une épouse, une sorte de médiation entre
ses affects très aigus et le monde qui l’entourait. En terrain connu, il
excellait alors qu’à la moindre modification de son environnement, il
s’écroulait. Il est sans doute un peu injuste de dire de lui qu’il agissait en
grand adolescent. Il agissait juste au mieux de ses capacités et force est de
constater qu’il recelait de vraies carences éducatives. Sans doute que n’ayant
jamais posé de véritables problèmes à ses parents, ceux-ci s’étaient contentés
de le laisser en paix, ne prenant pas la véritable mesure des problèmes qu’il risquerait
de rencontrer parvenu à l’âge adulte.
L’hypersensibilité n’est pas
une pathologie, loin de là, dans la mesure où elle constitue sans doute la base
avec laquelle travaillent tous les grands créatifs, qu’il s’agisse de
chercheurs ou d’artistes. Pourtant, le danger est grand, si elle n’est pas
détectée assez tôt, que la personne dotée d’une telle sensibilité, s’en remette
totalement à elle, oubliant de développer d’autres facultés. Cette sensibilité
doit aussi se canaliser et il est bon d’apprendre aux enfants qui en sont dotés
à la canaliser en les socialisant mieux, en se souvenant que ce qui semble
simple pour les autres, comme des activités de groupe, sera pour eux un
calvaire.
Les choses reprenaient
doucement leurs cours même si sa consommation d’alcool restait bien trop
élevée. Contre cela je n’ai jamais pu rien faire. Il buvait certes moins ayant
divisé selon lui sa consommation de plus de moitié. J’avais beau savoir qu’il
mettait sa vie en danger et le lui répéter, il m’assurait que tout allait bien.
Il aurait été possible de l’interner passagèrement de manière à ce que cela lui
serve de cure mais je ne me voyais pas faire cela. Le connaissant il m’en
aurait voulu à mort. Il aurait cessé de boire durant son internement et aurait
repris deux fois plus en sortant histoire de montrer qu’il nous emmerdait tous,
médecins et psys.
Par deux fois, comme je l’ai
dit auparavant, il avait effectué des cures de désintoxication et à peine sorti,
il s’était remis à boire. Et durant ces cures, son grand jeu avait été de jouer
au plus malin avec le psychiatre qui le suivait. C’était un peu la limite de sa
personnalité immature, pensant qu’il se battait contre une institution alors
que c’est contre ses mauvais penchants qu’il aurait du lutter. Il avait
confondu relation d’aide et hostilité. D’ailleurs plutôt que de se battre pour
lui, il aurait fallu que les professionnels rencontrés lors de ces cures lui
parlent directement en le mettant face à ses responsabilités. Au lieu de quoi,
durant dix jours, ils suivaient scrupuleusement le protocole en le rendant
sobre de manière tout à fait artificielle à coups de prohibition (pas d’alcool
dans la clinique) et de Valium mais en oubliant que si l’addiction est bien sur
physiologique, l’alcoolique a aussi un libre arbitre et une conscience à mettre
en œuvre !
1 Comments:
"Je savais que cet ami avait vécu les mêmes affres et s’en était sorti non sans avoir durant presqu’un an frôlé le précipice en se mettant à boire.
C'est fou le nombre d'alcolos que tu peux connaitre...
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