19 février, 2013

Une histoire de Philippes - 8


Et puis, il y avait le point central qui était son divorce. Nous avons alors abordé le sujet. Ayant pris contact avec deux avocats que je connaissais, les deux m’avaient expliqué que son cas était désespéré au regard du droit et que la meilleure chose était de transiger. Si la partie était perdue d’avance, du moins pouvait-il encore s’en tirer plus honorablement et clôturer cette affaire rapidement. C’est un peu ce que je lui expliquai sans me risquer à prendre la décision qui lui revenait. Le progrès que Philippe réalisa, fut de changer son optique en transformant ce qui était pour lui une bataille dans laquelle il mettait tout son affect en un simple problème juridique. Ce n’était pas facile mais il comprit finalement que ce divorce était un cancer qui le rongeait et était en grande partie responsable de son mal-être actuel.

Afin de lui offrir un autre point de vue, j’organisai une rencontre avec un de mes amis ayant son âge et ayant vécu le même type de divorce difficile. Par pudeur, j’avais préféré les laisser discuter entre eux m’étant contenté de faire l’entremetteur. Je savais que cet ami avait vécu les mêmes affres et s’en était sorti non sans avoir durant presqu’un an frôlé le précipice en se mettant à boire. A défaut de partager avec les AA, cela permettrait à Philippe l’alcoolique de partager avec quelqu’un ayant eu peu ou prou la même expérience que lui. De fait, il fut ravi de l’entretien. Lui et mon ami avaient suffisamment de points communs pour que cet échange ait été favorable. Je crois que ce qui avait marqué Philippe c’est lorsque cet ami lui avait expliqué qu’un jour, il s’était simplement dit qu’il était un type bien. Ces divorces difficiles entrainent souvent une blessure narcissique extrême dont il faut sortir.

Finalement cette entrevue et ses réflexions personnes l’amenèrent à changer d’avocat, lequel lui donna le même conseil que ceux avec qui j’avais discutés. C’est ainsi qu’il transigea avec son épouse à qui il n’octroya qu’une fraction de ce qu’elle exigeait et qui représentait tout de même une somme plus que coquette. De son côté, lassée elle aussi par son avocate et ayant pris un nouveau conseil, elle accepta l’offre, peu désireuse de se lancer dans une procédure qui s’enlisait et risquait de durer des années. Un protocole devait être signé bientôt.

Tout au long de ces mois durant lesquels je le vis, nous nous entendions bien. J’acceptais sous certaines limites ses errements et le fait qu’il ne puisse pas s’engager avec plus de rigueur dans un processus thérapeutique. Je crois qu’il en avait tout à fait les capacités dans la mesure où son niveau d’études donnait à penser qu’il était capable d’efforts et de constance. Je pense qu’au fond de lui, il avait l’angoisse que je ne sois plus qu’un psy faisant son boulot comme un autre et qu’il voulait à tout prix qu’il reste de l’affection entre nous. Il avait aussi très peur de manière générale de se retrouver seul dans la vie et d’être livré à lui-même. De fait, même si nous parvenions à travailler, il fallait toujours que la séance soit émaillée de quelque chose n’ayant apparemment rien à voir avec ce que nous entreprenions. C’était sans doute sa manière à lui de savoir avec certitude si je n’étais qu’un professionnel venu l’aider contre monnaie sonnante et trébuchante ou aussi quelqu’un qui venait aussi en ami. J’avais donc joué le jeu avec sincérité, comprenant cette demande dans la mesure où il était à cette époque très isolé.

Je n’étais pas son ami stricto sensu pas plus que je n’étais son psy stricto sensu, je marchais sur une corde raide, évitant de tomber d’un côté ou de l’autre. Ce qui me permettait d’agir comme cela, c’était que quoiqu’ait désiré Philippe de moi, je me rappelais sans cesse ma mission. En tâche de fond, je ne perdais jamais de vue que quels qu’aient pu être ma manière d’être, j’avais un travail à faire et une obligation de moyens à remplir. J’ai joué son jeu parce qu’il n’y avait pas d’autres moyens de faire, sous peine d’être éjecté tout en gardant tout au fond de moi les règles essentielles à respecter. Je crois de toute manière que face à des gens aussi sensibles que Philippe, il est impossible de se cantonner à une aide purement professionnelle. Ce sont un peu des vampires affectifs et leur immaturité psycho-affective rend nécessaire un autre type d’approche.

Il y avait de fait chez Philippe une véritable hyper-sensibilité émotionnelle et un haut potentiel intellectuel. C’était ce que l’on nommerait un surdoué qui n’avait jamais été détecté. Durant toute sa vie, il s’était servi de ses facilités sans se donner beaucoup de peine. Son intelligence alliée à ses capacités intuitives et à sa grande empathie lui avait toujours à peu près permis de s’en sortir. Peu habile au combat, il s’était alors écroulé lorsque son épouse était partie. Sans doute représentait-elle pour lui, plus qu’une épouse, une sorte de médiation entre ses affects très aigus et le monde qui l’entourait. En terrain connu, il excellait alors qu’à la moindre modification de son environnement, il s’écroulait. Il est sans doute un peu injuste de dire de lui qu’il agissait en grand adolescent. Il agissait juste au mieux de ses capacités et force est de constater qu’il recelait de vraies carences éducatives. Sans doute que n’ayant jamais posé de véritables problèmes à ses parents, ceux-ci s’étaient contentés de le laisser en paix, ne prenant pas la véritable mesure des problèmes qu’il risquerait de rencontrer parvenu à l’âge adulte.

L’hypersensibilité n’est pas une pathologie, loin de là, dans la mesure où elle constitue sans doute la base avec laquelle travaillent tous les grands créatifs, qu’il s’agisse de chercheurs ou d’artistes. Pourtant, le danger est grand, si elle n’est pas détectée assez tôt, que la personne dotée d’une telle sensibilité, s’en remette totalement à elle, oubliant de développer d’autres facultés. Cette sensibilité doit aussi se canaliser et il est bon d’apprendre aux enfants qui en sont dotés à la canaliser en les socialisant mieux, en se souvenant que ce qui semble simple pour les autres, comme des activités de groupe, sera pour eux un calvaire.

Les choses reprenaient doucement leurs cours même si sa consommation d’alcool restait bien trop élevée. Contre cela je n’ai jamais pu rien faire. Il buvait certes moins ayant divisé selon lui sa consommation de plus de moitié. J’avais beau savoir qu’il mettait sa vie en danger et le lui répéter, il m’assurait que tout allait bien. Il aurait été possible de l’interner passagèrement de manière à ce que cela lui serve de cure mais je ne me voyais pas faire cela. Le connaissant il m’en aurait voulu à mort. Il aurait cessé de boire durant son internement et aurait repris deux fois plus en sortant histoire de montrer qu’il nous emmerdait tous, médecins et psys.

Par deux fois, comme je l’ai dit auparavant, il avait effectué des cures de désintoxication et à peine sorti, il s’était remis à boire. Et durant ces cures, son grand jeu avait été de jouer au plus malin avec le psychiatre qui le suivait. C’était un peu la limite de sa personnalité immature, pensant qu’il se battait contre une institution alors que c’est contre ses mauvais penchants qu’il aurait du lutter. Il avait confondu relation d’aide et hostilité. D’ailleurs plutôt que de se battre pour lui, il aurait fallu que les professionnels rencontrés lors de ces cures lui parlent directement en le mettant face à ses responsabilités. Au lieu de quoi, durant dix jours, ils suivaient scrupuleusement le protocole en le rendant sobre de manière tout à fait artificielle à coups de prohibition (pas d’alcool dans la clinique) et de Valium mais en oubliant que si l’addiction est bien sur physiologique, l’alcoolique a aussi un libre arbitre et une conscience à mettre en œuvre !

1 Comments:

Blogger El Gringo said...

"Je savais que cet ami avait vécu les mêmes affres et s’en était sorti non sans avoir durant presqu’un an frôlé le précipice en se mettant à boire.

C'est fou le nombre d'alcolos que tu peux connaitre...

9/4/13 11:01 PM  

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