10 juin, 2013

Les mots pour le dire !





Voici qu'un bon ami médecin m'appelle en catastrophe pour savoir si je peux déjeuner avec lui un jeudi. Je regarde mon emploi du temps et me dis qu'en déplaçant un rendez-vous je peux me faire un offrir un repas chaud en terrasse par un de ces nantis de médecins !

 
Même si on se connait bien, et si on se voit régulièrement, je me doute que cette invitation à grailler en urgence, au débotté, alors qu'habituellement il est submergé de boulot, cache quelque chose de louche.

Me voici donc au jour et à l'heure dits installé en terrasse en face de son cabinet en train de fumer ma clope lorsque je le vois débarquer tout souriant. Je me dis que ce sourire qui illumine son visage cache quelque chose de louche.

Et voici qu'on papote, et qu'on papote, et qu'on me demande comment vont les affaires, et la famille, qu'on me redemande si les affaires et la famille vont vraiment bien et moi je me dis qu'autant de sollicitude cache quelque chose.


Et voilà que la serveuse arrive, même que c'est une jolie brune aux yeux bleus, un peu masculine mais souriante comme je les aime et que je suis sur qu'elle est scorpionne même si je ne lui demande pas pour ne pas passer pour un con. Et voilà qu'elle nous donne la liste des plats du jour et que le médecin me dit qu'on va se prendre un bon truc à la carte. Et là, sans rien laisser paraitre, je me dis que tant de munificence cache quelque chose.

Alors comme on se connait bien, je lui demande ce qu'il attend de moi et quel service je peux lui rendre. Et faux-jeton, il me répond que rien du tout, que cela lui fait un immense plaisir de me voir. Et comme je le connais comme si je l'avais fait, je lui demande en quoi je peux lui être utile.

Et voilà qu'il m'explique que cet après midi il reçoit un patient dont il vient d'obtenir les résultats et qui se trouve avoir un cancer foudroyant. D'après lui, si le mec a fait une location en août, peu importe qu'on lui ait vendu une vue sur une décharge pour une vue sur mer parce que de toute manière, il sera mort avant.

Je lui réponds que tout cela est bien triste mais que je ne vois pas comment je peux l'aider car bien que né sous le même signe que le Christ, je ne fais pas encore de miracles. Et c'est alors qu'il me demande comment on doit annoncer ces choses là. Je suis un peu étonné parce qu'après quelques dizaines d'années en tant que généraliste, je pense que ce n'est pas le premier cas dramatique qu'il doit affronter.

Et ce fourbe m'explique que non, qu'il a déjà eu ce genre de cas mais que généralement, il y avait une chance sur un milliard dans les pires cas, ce qui lui permettait de dire au moribond en face de lui, que certes c'était grave mais qu'il y avait un espoir. Et ceci étant dit, il refilait le bébé à un oncologue quelconque qui lui aurait annoncé l'issue fatale en cas d'échec du traitement. Et sans se déballonner, il m'explique : "tu comprends les hospitaliers, ce sont des bourrins, ils annoncent les trucs sans sourciller, ils n'ont pas le même lien que nous avec les patients, parce que nous, on les connait bien".

Je lui dis alors que si un jour, il m'explique que tout va bien, j'ai plutôt intérêt à prendre un autre avis ou à aller acheter un cercueil que de lui faire confiance, et que j'ai bien noté l'information. Il se récrie et me dis que non, mais qu'en fait il y a toujours un mince espoir. Bref, il assume dans le cas d'une chance sur un milliard parce que celui lui permet de vendre de faux espoirs mais quand la partie est finie et perdue, là il n'y a plus personne.

Il est tout penaud mais avoue que c'est ainsi. Alors moi très prosaïquement, je lui explique qu'il n'y a pas vraiment de bonnes manières d'annoncer à un quidam que l'on connait, qu'il va calancher après une agonie merdique dans un service de soins palliatifs. Que même avec un nez de clown et une langue de belle-mère, je suis sur que le mec ne prendra pas bien les choses. Qu'en fait, il faut le dire comme il le sent bien et puis rien d'autre et qu'ensuite, il aura à assurer la colère ou les larmes du condamné.

Et c'est justement ce qui l'ennuie mon médecin. Ce n'est pas tant d'expliquer au mec qu'il va mourir que de gérer la crise émotionnelle que cela va susciter et que par contre-coup cela provoquera chez lui. Bref, il a peur de ses propres émotions.

Alors, je lui dis qu'il peut ne rien dire et remettre le truc à l’oncologue qui prendra en cahrge le cas, qu'il peut aussi attendre que le patient soit dans la rue, ouvrir la fenêtre et lui gueuler qu'il va crever ou bien lui faire un courrier. Rien de tout cela ne lui plait bien entendu, vu qu'il cherche la solution parfaite. Je lui dis qu'il peut aussi picoler avant l'annonce et que le fait d'être bourré l'aidera à créer une sorte de filtre entre lui et les réactions émotionnelles du patient condamné. Cela ne lui plait pas non plus.

Et comme il me parle du patient, je m'aperçois que je le connais puisque c'est un ancien à moi aussi, que j'avais traité pour des problèmes d'alcoolisme. L'espace d'un instant, je me dis que c'est un peu con d'avoir cessé de picoler voici huit ans, sans y avoir touché pour finalement mourir d'un cancer à la con. La vie est injuste, si on avait su ! Mais on ne savait pas.

Je lui propose alors d'être présent vu que je connais très bien ce patient, même qu'on se tutoyait. Le médecin est emmerdé aussi parce qu'il me dirait bien oui mais qu'il sent que c'est un truc qui doit faire seul sans qu'on lui tienne la main.

Je lui dis alors que je n'ai pas de solutions, et qu'il n'y a pas de honte à être triste parce qu'un patient meurt quand on a tout tenté. Et que son problème, c'est son envie de toute puissance alors qu'il n'a qu'une obligation de moyens et rien d'autre. Bref, on se quitte sur ces bonnes paroles et moi je rentre à mon cabinet digérer dans la fraicheur de  mes murs du XVIIème siècle. Parce que de toute manière, il n'y a pas de bonnes solutions. Dire à un mec qu'il va mourir alors qu'il a cinquante-cinq ans, un bon job, une femme et des enfants et que tout va bien dans sa vie, c'est pas facile. C'est pas facile mais c'est inhérent au métier de médecin  ou de soignant en général et puis voilà. Sinon, faut bosser dans une boutique de robes de mariées ou dans un magasin de faces et attrapes !

Bon, une semaine après, je l'ai eu au téléphone et je lui ai demandé comment ça s'était passé. Il m'a dit qu'il n'avait pu rien dire d'autre que l'annonce du cancer et refiler le cas aux hospitaliers d'un service d'oncologie ad hoc. 

Bon, côté fair play y'aurait sans doute à revoir mais, c'est un médecin qui a la vocation, il avait choisi ce job pour sauver des gens et non pour leur annoncer leur condamnation alors, je comprends. Et puis, il n'est pas capricorne alors forcément, il ne pourra jamais être stoïque et vraiment sage ni philosophe.



1 Comments:

Blogger El Gringo said...

"Ne t'inquiète pas, la bête est solide!"

Ce furent ses derniers mots quelques jours avant sa mort, mais à qui mentait-elle?

24/7/13 5:40 AM  

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