Satan est de retour !
Chacun de nous connait la phrase de Baudelaire issue de ses Petits poèmes en prose qui explique que la plus grande ruse du diable est de nous faire croire qu'il n'existe pas. Chacun de nous, du moins ceux possédant un peu de culture et connaissant cette citation, trouvait après une seconde de réflexion qu'elle était fine et pleine de bon sens. Puis, on n'y pensait plus parce que justement, le diable, Satan ou quelque soit le nom qu'on lui donne, n'a plus vraiment droit de cité dans notre monde moderne. Aujourd'hui, les forces de l'enfer prennent plus l'apparence d'une centrale nucléaire ou de semences de Monsanto que celle d'un diable cornu aux pieds fourchu.
Bien sur, on lui permet d'exister occasionnellement dans quelques films quand on a envie de se faire un peu peur en voulant croire l'espace d'une heure et demie que l'on ne connait pas tout du monde qui nous entoure mais que des forces pourraient être là tapies dans l'ombre. Alors, on frissonne un peu en regardant la tête de la petite fille tourner à 360° tandis qu'elle profère des insultes d'un ton guttural et puis on l'oublie.
C'était chose vraie jusque là car croyez-moi, psy installé à Paris, si j'avais pensé que l'on m'aurait parlé du malin, je ne l'aurais pas cru. Ou alors j'aurais imaginé que de telles paroles émaneraient de quelques individus confits en dévotion à la mode américaine prompts à voir le diable partout (hutterers, amish, etc.) mais jusqu'à présent aucun patient n'est venu me voir en carriole. Il aurait pu aussi s'agir d'individus atteints de pathologies graves (paranoïaques, schizophrènes, etc.) et encore eut-il fallu qu'il s'agisse de grands délirants, lesquels ont bien peu de chance de se retrouver dans mon cabinet puisqu'ils sont détectés bien avant du fait de leurs conduites bizarres.
Bref malgré une éducation religieuse accomplie à Sainte-Marie au cours de ma scolarité, pour moi comme pour tant d'autres, Satan c'était un peu le pauvre type, un pauvre acteur cachetonnant de-ci delà, tout juste bon à effrayer des âmes simples. Au pire, je le revêtais des oripeaux du diablotin qui me pousse à reprendre d'un plat trop riche alors que je ne devrais pas ou à acheter un paquet de clopes tandis que je sais que je pourrais me contenter de ma e-cigarette. Bref, Satan pour moi c'était juste le laisser-aller des âmes, si ce n'est en carton, du moins en fer comme la mienne et non en acier comme j'en ai rêvé plus jeune.
Et paf, voici que Satan se rappelle à moi en juin dernier. Et une fois encore, il ne s'agit pas des radotages d'une pauvre vieille femme que l'on traite habituellement de grenouille de bénitier ni même d'un fou délirant la bave aux lèvres. Du tout ! Celui qui me parle de Satan que j'avais fini par oublier et auquel je ne pensais jamais est un jeune patient d'un peu moins de trente ans. On se connait bien et il se permet d'être libre avec moi. La séance était finie et comme j'avais un peu plus de temps que d'ordinaire du fait d'un rendez-vous suivant annulé, lui et moi nous mettons à papoter de tout et rien.
Notre discussion dérive sur l'état du monde et principalement sur l'état de la France. Et là ou mes petits camarades libéraux et anarcho-droitistes (ça se dit ça ?) voient plutôt dans les errements de la classe politique, la preuve de son impéritie crasse, de son amateurisme et de sa seule volonté de remporter les élections pour se maintenir coûte que coûte, voici que mon jeune patient soudain devenu grave m'explique que c'est bien plus compliqué et simple que cela et qu'il me sort "Satan est déchainé".
Tandis que je lui demande de préciser son point de vue, il m'explique très doctement que la nature du mal à changé. Il ne s'agit plus d'une prédation normale, celle que tout un chacun a déjà vécu (avoir plus et.ou avoir ce que l'autre possède) mais d'un mal plus sournois et incomparablement plus dangereux, une véritable volonté de destruction. Tandis que l'on connaissait cette cupidité que Marx a mis en musique dans son concept de lutte des classes, il s'agit là de quelque chose qui dépasse de loin cet antagonisme entre être et avoir, entre épanouissement et amassement ou spiritualité et matérialisme.
Selon mon jeune patient, il ne s'agit plus de combattre nos vilains penchants mais beaucoup plus d'affronter le mal en lui-même, cette distinction que les juristes américains font entre malum prohibitum et malum per se. Le premier se définissant par le fait que le mal résulte du non respect d'un interdit, lequel peut être juste ou non, tandis que le second, le fameux malum per ses résulte d'une action mauvaise en elle-même au delà de tous critères légaux. C'est l’opposition entre le "jussum quia justum" and "justum quia jussum,"le fait de faire quelque chose parce que c'est juste et celui de faire une chose parce que c'est exigé.
De fait cette distinction est importante car l'un tout en étant préjudiciable est moins grave que l'autre. Ainsi on peut imaginer que le diable revêt plusieurs acceptions, lesquelles sont plus ou moins graves car plus ou moins liées à notre condition humaine. Celui que l'on connait le mieux est indiscutablement lié à ce que nous sommes, c'est lui qui nous pousse à boire plus que de raison, à vouloir plus, à nous droguer, etc. Il reste finalement éperdument humain dans la mesure où il nous pousserait à n'être qu'humain c'est à dire à nous défier de toutes les vertus cardinales que sont la sagesse, la tempérance, la justice et la force (de caractère). C'est finalement, celui que je combats dans les thérapies. A ma manière, je suis un petit exorciste !
En revanche, l'autre part cachée du diable, celle que l'on connait le moins, celle qui échappe à notre entendement, celle que l'on présente dans les films d'horreur, n'a d'autre fin en soi que de combattre Dieu et d'imposer le royaume du monde en lieu et place du Royaume des cieux. Il n'a plus pour objectif de nous pervertir nous, en tant qu'êtres humains en nous détournant des vertus cardinales mais bien au contraire de mener un combat surnaturel qui nous dépasse.
Dans une certaines mesure, si l'on ramenait cette curieuse conversation à propos du diable à la psychopathologie, on pourrait dire que le diable que l'on connait le mieux est celui qui fait perpétrer un assassinat par jalousie, cupidité et de manière générale sous l'emprise de passions malsaines. L'autre partie, ce Satan dont parlait mon jeune patient, c'est cette partie diabolique que l'on retrouve chez certains malades mentaux dont on ne comprend pas le mobile alors même qu'ils ne sont pas fous au sens premier du terme c'est à dire pas privés de raison.
C'est la question que durent se poser les confrères qui analysèrent le cas de la petite Marie Bell lorsqu'en 1969, alors âgée de onze ans seulement, elle assassina deux très jeunes enfants après les avoir torturés. L'un d'eux, le docteur Orton expliquera ce qu'il ne peut que constater sans justement en trouver les raisons : "cette enfant offre tous les symptômes de sociopathie à un degré que je n'avais jamais constaté chez un être si jeune. Elle est dénuée de tous sentiments comme si elle était extérieur au genre humain".
C'est de ce diable là dont me parle mon jeune patient. Il ne s'agit plus de Moloch mais de Satan selon la distinction classiquement faite. J'ai évidemment conscience de la nature de ce texte et moi habituellement plutôt prompt à me défier de la supercherie et encore plus de la superstition, je crois peu ou prou adhérer à la vision de ce jeune patient. Du moins quand j'y pense car je suis trop dans la praxis pour réfléchir à ce point.
Le plus étonnant est qu'en septembre, tandis que je discutais avec un autre patient, du même âge que moi et exempt de toute pathologie grave, il me fit à peu près la même réflexion concernant le diable. Et alors que je lui expliquai que quelques mois avant un jeune patient m'avait dit être persuadé que Satan était déchaîné, ce patient me dit qu'il en était lui-même persuadé. Qu'après avoir analysé différentes crises et prises de position sur différents sujets, il était persuadé qu'il ne s'agissait plus d'erreurs mais bien d'une sorte de plan concerté, d'actions concrètes. Je crois que peu ou prou, il m'expliqua qu'à un certain degré d'erreurs et d’errements, on pouvait invoquer l'erreur ou ma bêtise mais qu'une suite ininterrompue d'erreurs ne pouvait être due qu'à un plan ourdi consciencieusement.
J'avais déjà eu cette discussion avec un vieux psychiatre de mes amis, hospitalier et peu enclin à sombrer dans les délires mystiques. Et lui même avait admis qu'à certains moments de sa longue carrière, face à l'inexplicable, il avait eu la nette impression d'avoir à faire au mal à l'état pur.
Quant à moi, bien que j'accueille ces discussions avec tout le sérieux nécessaire, j'en resterai à ma lutte contre les démons mineurs, ceux qui font picoler plus que de raison, ceux qui font se droguer, redouter l'avenir ou s'abattre dans le désespoir. Je ne me sens pas de taille à lutter contre Satan, pas encore ...
De fait cette distinction est importante car l'un tout en étant préjudiciable est moins grave que l'autre. Ainsi on peut imaginer que le diable revêt plusieurs acceptions, lesquelles sont plus ou moins graves car plus ou moins liées à notre condition humaine. Celui que l'on connait le mieux est indiscutablement lié à ce que nous sommes, c'est lui qui nous pousse à boire plus que de raison, à vouloir plus, à nous droguer, etc. Il reste finalement éperdument humain dans la mesure où il nous pousserait à n'être qu'humain c'est à dire à nous défier de toutes les vertus cardinales que sont la sagesse, la tempérance, la justice et la force (de caractère). C'est finalement, celui que je combats dans les thérapies. A ma manière, je suis un petit exorciste !
En revanche, l'autre part cachée du diable, celle que l'on connait le moins, celle qui échappe à notre entendement, celle que l'on présente dans les films d'horreur, n'a d'autre fin en soi que de combattre Dieu et d'imposer le royaume du monde en lieu et place du Royaume des cieux. Il n'a plus pour objectif de nous pervertir nous, en tant qu'êtres humains en nous détournant des vertus cardinales mais bien au contraire de mener un combat surnaturel qui nous dépasse.
Dans une certaines mesure, si l'on ramenait cette curieuse conversation à propos du diable à la psychopathologie, on pourrait dire que le diable que l'on connait le mieux est celui qui fait perpétrer un assassinat par jalousie, cupidité et de manière générale sous l'emprise de passions malsaines. L'autre partie, ce Satan dont parlait mon jeune patient, c'est cette partie diabolique que l'on retrouve chez certains malades mentaux dont on ne comprend pas le mobile alors même qu'ils ne sont pas fous au sens premier du terme c'est à dire pas privés de raison.
C'est la question que durent se poser les confrères qui analysèrent le cas de la petite Marie Bell lorsqu'en 1969, alors âgée de onze ans seulement, elle assassina deux très jeunes enfants après les avoir torturés. L'un d'eux, le docteur Orton expliquera ce qu'il ne peut que constater sans justement en trouver les raisons : "cette enfant offre tous les symptômes de sociopathie à un degré que je n'avais jamais constaté chez un être si jeune. Elle est dénuée de tous sentiments comme si elle était extérieur au genre humain".
C'est de ce diable là dont me parle mon jeune patient. Il ne s'agit plus de Moloch mais de Satan selon la distinction classiquement faite. J'ai évidemment conscience de la nature de ce texte et moi habituellement plutôt prompt à me défier de la supercherie et encore plus de la superstition, je crois peu ou prou adhérer à la vision de ce jeune patient. Du moins quand j'y pense car je suis trop dans la praxis pour réfléchir à ce point.
Le plus étonnant est qu'en septembre, tandis que je discutais avec un autre patient, du même âge que moi et exempt de toute pathologie grave, il me fit à peu près la même réflexion concernant le diable. Et alors que je lui expliquai que quelques mois avant un jeune patient m'avait dit être persuadé que Satan était déchaîné, ce patient me dit qu'il en était lui-même persuadé. Qu'après avoir analysé différentes crises et prises de position sur différents sujets, il était persuadé qu'il ne s'agissait plus d'erreurs mais bien d'une sorte de plan concerté, d'actions concrètes. Je crois que peu ou prou, il m'expliqua qu'à un certain degré d'erreurs et d’errements, on pouvait invoquer l'erreur ou ma bêtise mais qu'une suite ininterrompue d'erreurs ne pouvait être due qu'à un plan ourdi consciencieusement.
J'avais déjà eu cette discussion avec un vieux psychiatre de mes amis, hospitalier et peu enclin à sombrer dans les délires mystiques. Et lui même avait admis qu'à certains moments de sa longue carrière, face à l'inexplicable, il avait eu la nette impression d'avoir à faire au mal à l'état pur.
Quant à moi, bien que j'accueille ces discussions avec tout le sérieux nécessaire, j'en resterai à ma lutte contre les démons mineurs, ceux qui font picoler plus que de raison, ceux qui font se droguer, redouter l'avenir ou s'abattre dans le désespoir. Je ne me sens pas de taille à lutter contre Satan, pas encore ...
Mary Bell !
3 Comments:
Faudrait quand même réouvrir le cas Mary Bell un jour pour voir si sa mère ne l'avait pas inscrite à un concours de Mini Miss. C'est la seule atrocité qui me semble pouvoir expliquer son comportement.
Le mal revêt parfois, peut être même trop souvent de nos jours, le masque de ce cynisme actuel sans panache et qui s'introduit un peu partout et relativise des faits divers accablants; qu'il s'agisse de les récupérer pour en faire des débats médiatiques obscènes (cf l'affaire Fiona)ou encore des traits d'humour douteux qui diluent l'insupportable dans la banalité...
Chaton, tu es tellement droooole. C'est vrai qu'avec toutes les horreurs sur cette terre, les guerres qui impliquent les enfants, les femmes qu'on retrouve violées la gorge tranchée, les meurtres pédophiles, il y a quoi se marrer. Le commentaire de June doit viser le tien. Ça fait froid dans la dos la débilité de certaines personnes qui prennent les tueurs en série pour un objet de jeu et de sarcasme (pas drôle en plus). Cette société est vraiment malade.
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