01 janvier, 2014

Au pays des soviets !


Mercredi, une ancienne patiente m'appelle paniquée en m'expliquant qu'une de ses amies, devenue l'une de mes patientes actuelles vient d'être internée. Cette dernière vient de lui envoyer un SMS en catastrophe pour la prévenir et demander qu'on lui vienne en aide. Malheureusement, ayant changé de téléphone récemment elle n'avait plus mon numéro de portable sous la main et n'a pu me joindre.

J'explique à mon ancienne patiente ce qu'est une HO qui est une mesure d'internement sans le consentement de la personne. C'est à dire que pour de bonnes raisons, le plus souvent, ou de mauvaises raisons, parfois, à la demande d'un tiers, lequel ne doit avoir aucun lien avec l'établissement qui recevra le patient.

Je reste calme car je connais très bien cette patiente. Je ne l'ai jamais jugée instable ni même encline à s'en prendre à elle-même ou à un tiers. Elle est redoutablement intelligente et dotée d'un caractère assez fort ce qui lui a valu une assez belle carrière. Je m'entends très bien avec elle et n'ai jamais eu à déplorer le moindre manquement aux règles de courtoisie élémentaire. Certes, compte-tenu de son caractère, si elle juge que vous êtes un toquard, elle ne se privera pas de vous le dire ou du moins de vous le faire comprendre. Toutefois, elle a toujours travaillé et même si ses collègues lui reprochent parfois certains excès, tous lui reconnaissent de grandes qualités.

Elle souffre d'une maladie inflammatoire chronique assez grave qui l'amène depuis la fin de son adolescence à être suivie mais surtout à endurer des crises qui la font souffrir. Outre l'amaigrissement spectaculaire entrainé par cette maladie, qui pourrait la faire passer pour ceux qui ne sont pas au courant de sa pathologie pour une anorexique, la souffrance répétée l'ont amenée bien souvent à déprimer assez sévèrement. Néanmoins jamais au point de de vouloir mettre fin à ses jours. Dans ces moments là, elle se replie sur soi, devient assez irritable et attend que cela se passe. C'est sa manière de gérer. Elle a en outre vécu un divorce assez difficile et reste fragilisée psychologiquement par cette épreuve.

Peu après l'avoir rencontrée, j'ai estimé qu'elle aurait plus d'intérêt à être suivie par un psychiatre que par son généraliste dans la mesure où lces derniers maitrisent mieux certaines molécules qu'ils utilisent plus couramment que les généralistes dans leur pratique. Je l'ai adressée à un ancien hopsitalier établi en libéral qui lui a manifestement trouvé un traitement qui lui permet de moins souffrir sans pour autant endurer une atteinte de ses capacités intellectuelles. Cependant, parfois, alors que ses capacités idéiques sont intactes, j'ai pu noter qu'elle avait un phrasé un peu lent qui encore une fois, pourrait donner à penser qu'elle est atteinte d'une pathologie mentale quelconque ce qui n'est pas le cas du point de vue du psychiatre. Sur ce point, il est en accord avec moi, et admet que si elle est en souffrance réelle, elle possède en elle suffisamment d'énergie pour mener uen vie à peu près convenable. Dans tous les cas, des diagnostics graves tels que la schizophrénie ou autres états délirants ont toujours été écartés. 

Bref, elle n'est pas toujours facile, il faut savoir lui parler mais vraiment, je ne peux pas dire que ce soit pour moi un cas compliqué. Parfois, il faut juste que je hausse le ton au même niveau qu'elle pour lui faire comprendre que si elle veut surjouer l'autoritarisme, elle aura quelqu'un à qui parler. Il faut juste être clair, lui expliquer correctement les choses et ne jamais se laisser prendre dans ses rêts de chef de service d'une très grande entreprise très connue et tout va bien. C'est d'ailleurs quelqu'un que j'ai vu progresser et reprendre confiance en elle-même. Si je sais que je ne pourrais jamais la rendre pleinement heureuse du fait de sa pathologie chronique vraiment invalidante, je sais qu'elle et moi avons déjà fait et pourrons encore faire suffisamment de progrès pour qu'elle vive mieux et j'espère le plus longtemps possible. 

Lors de son arrivée à l'établissement hospitalier où elle a été internée, elle a donné l'adresse du psychiatre qui la suivait, lequel était malheureusement en vacances. Et depuis, elle attendait. J'imagien que compte-tenu de son caractère, le personnel soignant et en premier lieu le psychiatre qui la suit a du en prendre plein la figure, ce qui a du les amener à la juger peut-être dangereuse. Mais pour le moment, moi simple psy, je ne peux rien pour elle si personne dans cet hôpital ne m'appelle. Ils veulent, selon ses dire, la cerner. C'est vrai qu'elle est complexe et pourrait apparaitre comme un peu "barrée" pour qui ne la connait pas, mais elle ne l'est pas et ne mérite sans doute pas un internement. Qui a-telle vu ? Je ne sais pas ! Un interne, un chef de clinique, un praticien hospitalier, aucune idée de celui qui a décidé de l'interner. Il est vrai que je ne possède aucun élément en ma possession si ce n'est le fait que je la connaisse bien. Après tout, elle aurait pu avoir un comportement violent ou que sais je encore. Toutefois, le fait qu'elle réclame de l'aide me laisse à penser qu'elle s'estime injustement victime d'un internement abusif.

Comme je l'explique à son amie, mon ancienne patiente, je ne peux pas grand chose pour elle. Toutefois, comme ma profession m'a permis de me constituer un bon réseau, parce que je vois beaucoup de monde et que je m'entends plutôt très bien avec mes patients et ex-patients, je décide de "taper" une consultation juridique auprès d'un magistrat spécialisé dans ce domaine. Manifestement, l'idée lui plait beaucoup et il me garde une demie heure au téléphone en m'expliquant ce qu'elle doit faire et comment elle doit le faire.

Nanti de ces précieux renseignements j'explique à l'amie de ma patiente que cette dernière devrait me contacter par SMS ce qu'elle fait deux heures après puisqu'elle a pu manifestement conserver son téléphone. Toutefois, elle ne répond jamais immédiatement alors peut-être ne l'a-t-elle pas toujours à sa disposition mais se débrouille-t-elle pour savoir comme y accéder. Brièvement, je lui explique quels sont ses droits, quels courriers faire, à qui les envoyer et exactement ce qu'il faut y écrire. Notre conversation par SMS dure quelques heures puisqu'elle est entrecoupée de blancs durant lesquels je ne sais pas ce qu'elle fait.

Le lendemain, elle me fait état de ses progrès et m'explique que les courriers sont faits et qu'elle attend. La connaissant, je l'enjoins de rester calme et lui explique qu'elle n'aura pas gain de cause en insultant son psychiatre quels que soient les reproches justifiés (ou non) qu'elle peut avoir à son encontre. Manifestement ma remarque la fait sourire puisqu'entre deux smileys, elle me dit que je la connais décidément bien et qu'elle me promet d'être calme.

La journée se passe sans nouvelles mais j'ai conscience d'avoir fait ce que j'avais à faire en lui expliquant juste ses droits. Le reste ne m'appartient pas. C'est au procureur et éventuellement au juge des libertés d'agir dans les délais impartis par la loi. Toutefois le surlendemain, un SMS m'annonce qu'elle est enfin libre. Connaissant son érudition, sa grande intelligence, et sa capacité à tourner des courriers puisque sa profession implique justement d'écrire, je n'ose imaginer ce qu'ont pu ressentir les personnes responsables de son internement en lisant sa prose.  Sans doute ont-ils réalisé qu'elle était en pleine possession de ses moyens.

Enfin libre, elle m'explique qu'ayant eu depuis plusieurs jours des impatiences (syndrome des jambes sans repos) qui l'ont laissée sans repos durant plusieurs jours, elle a voulu consulter son généraliste qui était en vacances. Ayant du temps, elle s'est juste rendu aux urgences de l’hôpital le plus proche de son domicile. Et là, quelles qu'en soient les raisons, mais je pense que le médecin qui l'a reçue a pu être abusé par sa maigreur et son élocution, il a été envisagé une prise en charge psychiatrique. Et là, le caractère fort et irascible de ma patiente a du faire le reste. J’imagine que le psychiatre a du se faire injurier et menacer copieusement ce qui n'a pu qu’aggraver le risque de mauvais diagnostic psychiatrique. 

Et de fil en aiguille, la voici qui a été proprement internée sans son consentement. Hélas, je le sais mais peut-être que les psychiatres ont oublié Jean de la Fontaine, on ne met pas une lionne dans des rets. Quant à ma patiente, se souvenant sans doute de la fable du Lion et du rat, elle aura oublié que la morale de l'histoire est que patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.

Elle m'a chaudement remerciée, estimant que j'avais fait bien plus que mon travail en lui communiquant ces renseignements. Pour ma part, je pense que cela fait partie du contrat tacite que j'entretiens avec les patients et qui font que je dois remplir mon obligation de moyens et dans le cas précis, ne pas la laisser croupir en HP pour de mauvaises raisons.

Bientôt sitôt sortie, n'étant pas du genre à se laisser abattre, elle m'a juste rappelé que compte-tenu de son carnet d'adresses, de ses moyens et du caractère qui est le sien, ceux qui avaient pris cette décision, ne lui permettant pas de s'expliquer, allait bientôt entendre parler d'elle. Manifestement, il y a du papier bleu dans l'air pour cette personne, peut-être un simple chef de clinique, qui s'en est pris impunément à la lionne terrible. J'espère pour lui qu'il a un dossier en béton et un bon avocat. Qu'elle subisse éventuellement un internement abusif me peinait autant qu'il m'inquiétait compte tenu des problèmes que cela aurait pu provoquer dans la thérapie. En revanche les éventuelles suites judiciaires ne me concernent pas.

Connaissant très bien cette patiente, je comprends que l'on puisse être abusé par son apparence comportementale. Sa maigreur (anorexie), sa difficulté d'élocution (dysarthrie), sa colère (irritabilité de caractère, paranoïa), autant que le motif de consultation (impatience) pouvaient donner à penser qu'il s'agissait d'un trouble psychiatrique ou neurologique évident et peut-être grave. Ceci dit, je ne possède que des éléments fragmentaires de ce qui s'est réellement passé et uniquement rapporté par ma patiente. Je ne peux donc incriminer personne.

Pourtant, moi qui ai reçu cette femme dans les mêmes conditions, qui ai été aussi alerté par ces symptômes très visibles, et notamment par sa maigreur et ses difficultés d'élocution, il ne m'a fallu qu'une demie heure pour que j'aie enfin l'explication me permettant de comprendre qu'il s'agissait de symptômes et de séquelles d'une grave maladie inflammatoire chronique et non d'une pathologie mentale même si ce n'était pas évident. Certes cette pathologie a entrainé des conséquences psychologiques mais sans pour autant faire de cette femme quelqu'un à interner.

Parler aux gens ne semblent pas bien compliqué, pas plus que les écouter patiemment en évitant de se faire son idée de son côté. Se souvenir que si vous ne le faites pas et vous adressez mal à eux provoquera des crises de colères bien légitimes est aussi compréhensible. Bref, l'alliance thérapeutique reste sans doute la meilleure des choses à obtenir pour faire son petit diagnostic. Peut-être est-ce plus facile à faire dans un cabinet tranquillement que dans un cadre institutionnel dans lequel les patients se suivent.

Le pire est que cette patiente m'avait été adressée à l'époque par un psychiatre que son généraliste lui avait demandé de consulter suite à des douleurs cervicales terribles. Le psychiatre m'avait alors totalement assuré qu'il s'agissait d'une douleur issue d'un conflit intrapsychique provoqué par le divorce difficile qu'elle vivait. L'ayant vue à l'époque et ayant grandement douté de cette explication farfelue, je n'avais eu qu'à appeler une généraliste qui l'avait reçue en lui prescrivant simplement une radio (ou un irm) des cervicales, lesquelles avaient montré la présence d'ostéophytes la faisant souffrir.

Comme quoi, certains n'ont pas de pot avec la médecine et comme quoi aussi, comme je le disais deux paragraphes au dessus, c'est bien d'écouter les gens quand ils vous parlent des symptômes. Et surtout, c'est aussi utile de ne jamais se servir de son statut pour tenter de dominer les gens qui se confient à vous en imaginant qu'on saura forcément mieux qu'eux.

En revanche, quand vous vous retrouver dans un système institutionnel coercitif (hôpital, commissariat, etc.), évitez la colère qui n'a jamais rien réglé mais rajoutera des problèmes à ceux que vous avez déjà. Face à un système tout-puissant, la stratégie frontale n'est jamais la meilleure, le contournement est plus intelligent. 

Comme nous sommes toujours le premier janvier et que cela ne me coûte pas plus cher, je vous réitère mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année 2014. Puisse-t-elle vous combler ! 



7 Comments:

Blogger TheMonk said...

Très en forme en ce premier jour de l'an ! :)

1/1/14 2:34 PM  
Blogger chantal said...

Concernant votre patiente, je crois que se présenter aux urgences étaient la dernière chose à faire, ce n'est pas le meilleur lieu pour recevoir de l'écoute. Un HO se fait dans un cadre précis, il serait intéressant d'avoir la version de l'hôpital, n'aurait-elle pas été menaçante, voir violente ? . Bref j'imagine qu'elle est aujourd'hui un peu traumatisée par cet évènement, j'espère qu'elle prendra un peu de recul afin de comprendre à quel moment et pourquoi cela à dérapé. Attaquer le médecin en justice soulagera seulement sa colère. Je ne défend pas l'hôpital (comme vous, je ne connais pas les faits) mais on reproche si souvent de laisser des personnes sortir de l'hôpital alors qu'elles présentent un danger pour autrui.

1/1/14 6:18 PM  
Blogger V. said...

un petit con qui avait voulu jouer les kékés
effectivement elle fait preuve d'une grande érudition :-)
bises et bonne année

1/1/14 7:05 PM  
Blogger philippe psy said...

Merci !
@Chantal : quand j'étais jeune, les généralistes faisaient des gardes et se déplaçaient même de nuit. Maintenant, ils partent en vacances et sur leur répondeur, il y a "en cas d'urgence faites le 15". Alors on va aux urgences pour tout et n'importe quoi. Mais effectivement, la connaissant je suppose qu'elle n'a pas été d'une grande patience ni d'une grande mansuétude envers ceux qui l'ont reçus. Je verrai cela la semaine prochaine.

1/1/14 7:42 PM  
Blogger chantal said...

Oui c'est vrai maintenant les généralistes ont envie d'avoir une vie en dehors du travail, mais je pensais qu'il existait des médecins de garde, j'ai même une fois appelé SOS médecin...(bon ça douille !) Les urgences sont maintenant en surcharge et j'imagine que le speed ne favorise pas le discernement. Arrivez-vous à limiter les sms des vos patients ? Comment faites vous pour ne pas être submergé par les appels à l'aide ?

1/1/14 8:29 PM  
Blogger philippe psy said...

Je ne suis pas généraliste et je ne sais pas comment ils s'organisent ! Quant à moi, bien que tous mes patients aient mon portable, je n'ai jamais eu à subir de désagréments. A part de très rares cas, comme celui que j'évoque aujourd'hui, je n'ai pas eu à me plaindre d'appels intempestifs ! Mais il est vrai que n'étant pas prescripteur de médicaments, je ne suis pas le premier en ligne.

1/1/14 8:33 PM  
Anonymous Anonyme said...

Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

7/1/14 10:29 PM  

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