20 janvier, 2014

Psychologie du travail !


C'est vrai que durant ce qu'il conviendra d'appeler la crise de la quenelle dans les futurs livres d’histoire, ce qui permettra à messieurs Hollande et Valls de se couvrir de ridicule pour les siècles à venir, je n'ai pas été très emballé par la manière dont beaucoup d'auteurs de Contrepoint ont géré l'affaire. 

Pour de grands libéraux, ils se sont tous drapés derrière leur bonne conscience pour hurler avec les loups leur dégoût profond de l'artiste avant de rajouter du bout des lèvres, que quand même, interdire un spectacle ce n'était pas tellement bien non plus. Bref, heureusement que Baudelaire n'a pas du compter sur eux pour être publié sinon, personne ne connaitrait Les fleurs du mal. Mais sitôt passé la crise, voici qu'on fête de nouveau les grands libertariens et qu'on rappelle que Lysander Spooner est né un dix-neuf janvier. Lui, c'est pas le genre de type qui aurait eu peur de notre ministre de l'intérieur. Mais c'est sur que la dissidence, c'est un tout. Ce n'est pas un truc qu'on pratique juste le weekend ou entre midi ou deux ou le temps de rédiger un article.

En revanche, dans les derniers articles, j'ai particulièrement apprécié celui ci. Pour une fois, dans le maquis de textes tous plus stupides les uns que les autres, parlant du travail, en voici un qui taille des croupières à ces conseils idiots souvent prodigués par des cabinets de conseil ne connaissant pas grand chose à la psychologie du travail. Trop souvent la vision idéalisée du travail correspond aux fantasmes de jeunes diplômés d'ESC persuadés de s'épanouir pleinement dans leur activité tertiaire qu'ils veulent à tout prix faire partager à tout un chacun.

Ça donne ensuite des séries idiotes comme Suits, que mon filleul Lapinou m'avait vantée, dans lesquelles de jeunes loups prêts à tout pour faire de l'argent et s'assurer des promotions rapides, travaillent à la limite du surmenage dans un grand cabinet d'avocats dirigés par une bande de sociopathes sachant tirer profit des faiblesses de ceux qu'ils encadrent en leur proposant des hochets imbéciles. Alors qu'il s'agisse de se taper les meilleurs restaus (très chers), les filles les plus belles (très chères), les plus belles bagnoles (tout aussi chères), tout est bon pour grimper dans la hiérarchie et perdre son âme à la vitesse grand V en se persuadant que c'est vraiment ça la vie.

Et puis dans tout cela, il y a les vrais métiers comme les avocats de cette série, et puis les faux. Enfin, je suis un peu méchant quand je parle de faux métiers, disons de vrais métiers un peu moyens, finalement assez médiocres, à la limite d'un boulot d'OS en costume-cravate, mais que la terminologie anglaise un peu toc et des réunions verbeuses à répétition en compagnie de gens qui jouent les importants tentent de rendre attractifs. De vagues boulots commerciaux, de ternes emplois d'assistants et de confus postes de conseil deviennent ainsi par la magie de la langue de Shakespeare à la sauce yankee, des postes enviés fortement connotés jeune winner. Bon, dès que l'on gratte un peu, c'est moins joli et on se dit que l’Ecclésiaste avait raison et qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. C'est un peu l'histoire du type qui avait sur sa devanture "gros et demi-gros" et qui maintenant écrit "B to C", ça ne fait parler que les demeurés.

Finalement seuls ceux qui manipulent les autres monteront dans le système. Bien sur il restera toujours quelques idiots utiles prêts à croire aux trucs vendus par les conseils en management, les coachs autoproclamés et les vendeurs de livres. Allez dans une librairie, au rayon dédié au management et constatez le nombre de livres où l'on vous apprend à ne plus être vous même mais à développer votre leadership ou votre charisme, à être super efficaces en peu de temps, à mieux classer, organiser, gérer, maîtriser votre vie, bref à surtout ne pas composer avec la réalité mais à tenter de devenir un autre pour bien coller à votre statut d'esclave de votre boîte du CAC 40. Ceux-là peu nombreux je suppose, continueront encore à perdre leur vie en la gagnant et démotiveront les plus intelligents des jeunes venus travailler à coups de culture d'entreprise minable ou encore de slogans creux "ne déjeunez jamais seul" comme le rapporte l'auteur de l'article de Contrepoint.

Et puis certains ouvriront les yeux ! Parfois les plus jeunes, très brillants qui dès le départ n'ont pas la personnalité d’adeptes à qui l'on fait croire n'importe quoi. D'autres au contraire ne comprendront l'erreur qu'une fois qu'ils auront été lourdés à la petite cinquantaine pour faire place à une jeune. Certains ouvriront les yeux à un autre moment, parce que leur vie affective ou relationnelle est en danger, et se mettront à se poser des questions sur ce à quoi ils ont cru et dédié leur vie. Pourquoi suis-je rentré si tard, pourquoi ceci, pourquoi cela, se demanderont-ils ? On leur avait dit de ne pas adorer le veau d'or, de ne pas suivre les faux prophètes, de se méfier des conseilleurs qui sont rarement les payeurs mais bon c'était tellement attrayant le parcours présenté. Et si cela avait marché après tout ?

Ceux là, tout ceux qui ont ouvert les yeux, c'est le revers de la médaille du système et ils finissent soit chez leur médecin soit chez le psy, voire les deux. Qu'il s'agisse des addictions, des burn-outs ou des dépressions, la liste est longue des pathologies qui amènent un jour telles des épaves jetées par le ressac, tous ceux qui ont cru à ces bêtises, tous ceux dont la vie n'a été durant quelques années qu'une tentative désespérée pour tout gérer et optimiser au maximum leurs efforts. Parce que dans ces équations fabuleuses, manque souvent le temps qui passe. Et autant on peut croire à ces bêtises quand on est jeune, autant plus le temps passe, plus il est difficile d'adopter les valeurs frelatées qui sont vendues par la culture d'entreprise. C'est un peu comme le père Noël ou la magie, il faut vraiment être jeune pour se faire avoir ; après on cherche le truc et si on le trouve, on tombe de haut. Plus on vieillit, plus les efforts d’adaptation sont éreintants et épuisent tant le corps que le psychisme.

J'en récupère certains dans mon propre cabinet. La plupart sont très diplômés mais je suis toujours étonné de voir que leur formation au management soit aussi pauvre. Quelques rares livres, écrits pas des diplômés d'ESC ayant des responsabilités dans je ne sais quel grand groupe, est souvent leur seul viatique. Et quand on aborde la psychologie du travail, ils tiquent souvent. C'est vrai que le mot psychologie fait référence au pathologique voire à des concepts un peu fumeux manipulés par quelques vieux analystes barbus fumant la pipe qui n'ont pas le droit de cité dans les entreprises. Quant aux mots psychologie et travail accolés, alors là, cela éveille des images de bonnes femmes à cheveux rouges et lunettes carrées émargeant dans un quelconque labo de sciences sociales ou à une bande de syndicalistes marxistes mais jamais à de vraies connaissances utiles.

Alors camarades et camarades (féminin), luttez contre ces fausses valeurs et vous verrez que la psychologie n'est pas rédigée que par des communistes pour des socialistes ou vice-versa mais qu'elle a produit bon nombre de recherches et de concepts intéressants. En voici quelques titres :



  • La fonction psychologique du travail, Yves Clos, Presses Universitaires de France ;


  • Souffrance en France, Christophe Dejours, Points poche ;


  • RH : Les apports de la psychologie du travail (en deux tomes),  collectif, Éditions de l'organisation ;


  • Coups de pied aux cultes du management, Daniel Feisthammel, Éditions AFNOR;

  • Voilà, bonne lectue à ceux qui sont intéressés et veulent vraiment savoir ce qu'est la psychologie du travail. Sinon, je vous souhaite bien du plaisir avec votre chef de service crétin ou votre directeur borné. Parce que finalement, un adjudant de la Légion étrangère est un meilleur manager que la plupart de ces idiots en costume qu vous expliquent qu'il ne faut pas déjeuner seul le midi !

    2 Comments:

    Blogger Orage said...

    Bonjour Philippe!
    Dans un billet daté du 5 juin 2010 intitulé "Sévice public", vous avez parlé de la psychologie du travail.
    J'avais été frappée par les paragraphes suivant celui qui commençait par "La psychopathologie du travail a prouvé que travailler contre ses valeurs est une grande souffrance...". J'ai retenu ce texte (en fait je l'ai copié-collé car il m'a permis enfin de comprendre d'où venaient ma lassitude et mon découragement qui se sont soldés par une dépression). Vous évoquiez Henri Piéron. Je vois que vous ne le mentionnez pas ici. Serait-il trop ardu?

    28/1/14 7:14 PM  
    Blogger V. said...

    ... aller contre ses valeurs est toujours une souffrance. Pas besoin de psychopathologie du travail pour en avoir conscience. (quand on en a une évidemment...)

    29/1/14 7:23 PM  

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