27 janvier, 2014

Superproduction et éloge de la liberté et de la responsabilité tout de même !


Bon, j'en avais parlé durant les vacances de Noël, j'avais été confronté à un jeune patient que j'aime beaucoup qui était un peu "perché". Face à cela, j'avais le choix entre l'intoxication ((LSD), un début de schizophrénie, une crise hypomaniaque annonciatrice d'un beau trouble bipolaire ou encore une bouffée délirante aiguë unique et sans lendemains ou peut-être encore d'autres trucs moins connus. D'ailleurs, peut-être qu'il avait vu la Vierge comme les petits bergers de Fatima mais sur le moment je n'ai pas retenu cette hypothèse. Celle que j'ai retenue, c'est le syndrome de Stendhal en espérant ne pas me planter bien sur ! Mais bon, quoique perché, il était toujours parmi nous, bien qu'agité avec les neurones carburant à toute vitesse.

Bon, ceci dit, j'avais aussi le choix de m'en laver les mains puis d'envoyer ce jeune homme faire un tour chez un psychiatre en le laissant se démerder comme un grand face à la médecine étatique pour laquelle il a de toute manière cotisé au travers des charges sociales et autre CSG. On lui aurait sans doute trouvé une place dans un hôpital puis un autre endroit où il se serait calmé à coups de peinture sur soie et de macramé.

Mais j'ai deux défauts, d'une part je suis très orgueilleux alors cela m'ennuyait de lâcher définitivement l'affaire et de me soumettre immédiatement et totalement à la psychiatrie officielle tant que j'avais une carte à jouer. Parce que sinon, ça aurait fait un peu grosse soumise qui s'en remet à ses maîtres. Bien sur, si cela avait été urgent et strictement nécessaire, je l'aurais fait parce que je ne suis pas débile au point d'ignorer une urgence. Mais là, je me disais "mon petit Phil, y'a sans doute un truc à faire, vu que même s'il est un peu perché il n'en a pas moins le sens du réel et que même s'il patuge un peu dans ses idées, il y a quand même un semblant de cohérence dans tout cela". Et puis j'avais aussi peur qu'il tombe aux urgences sur un type pratiquant son métier au démonte-pneu, le bourre de neuroleptiques, le braque, le foute en colère et l'abime bien plus qu'il n'était.

Enfin, je suis un gros nul qui verse dans l'affectif et au lieu de prendre ses honoraires et de s'en tenir là, se soucie de sa clientèle, un peu comme ces chefs qui sortent de leur cuisine pour faire le tour de la salle à manger et demander aux clients comment cela s'est passé. Cela m'ennuyait donc un peu de lâcher l'affaire en renonçant à toute responsabilité même si celle ci ne pouvait être invoquée dans son cas, parce que moi que sais-je de ce que font mes patients quand je ne les vois pas.

En revanche, face à un type un peu perché dont on se demande ce qu'il peut faire, il faut tout de même se méfier. Parce que quand on se prend un petit syndrome de Stendhal (ou un truc de ce genre) dans la figure, on a l'impression d'être le maitre du monde, de tout avoir compris, on parle vite, on est légèrement parano et ça peut entrainer des complications dans la vie de tous les jours. On parle de tout à n'importe qui, et c'est parfois une bonne manière de s'en prendre plein la tronche. Soit parce que la personne à qui l'on parle le prend mal et cela dégénère en bagarre, soit parce que cette personne est en uniforme de flic et qu'elle décide de vous emmener en car PS jusqu'à l'hosto le plus proche sous la procédure dite HO.

Comme j'ai renoncé à pouvoir tout, tout seul et tout le temps, j'ai eu de la chance de pouvoir compter sur des gens charmants et efficaces afin de m'aider à soutenir ce jeune homme durant cette délicate période en attendant qu'il redescende doucement parmi nous. Parce que moi entre deux séances entrecoupées de ses SMS parfois étranges et un peu flippants, je ne pouvais pas grand chose pour lui, si ce n'est de l'inciter à consulter son médecin, ce qu'il a d'ailleurs fait. De toute manière dans le cas contraire, j'aurais refusé de poursuivre. On peut tenter des trucs mais pas l'impossible ! Après, je me suis dit que pour lui éviter de trop s'envoler, il fallait le maintenir dans le réel puisqu'il n'en avait pas totalement décroché. Pour cela, j'ai justement pu compter sur un task force assez pertinente.

Tout d'abord, merci à Jean Sablon dont j'ai déjà parlé ici, une sorte de beau gosse flegmatique dont le métabolisme proche de celui d'un yucca et les capacités à se mettre en colère inférieures à celles d'un charançon  étaient une bonne chose parce qu'il a pu bosser avec mon jeune patient sans s'énerver. Alors que de vous à moi, un mec perché, quelle qu'en soient les raisons, c'est parfois énervant : ça parle tout le temps, ça comprend tout et ça vous balance le fruit de ses élucubrations à la tronche à tous moments. Là, Jean Sablon a pu travailler avec Jésus à ses côtés sans s’émouvoir particulièrement de ses paraboles et ses extases.

Merci aussi à Chaton, jeune érudit impavide et précis qui aura pu contrer les "délires mystiques" de mon jeune patient en lui opposant ancien et nouveau testament et paroles de tous les docteurs de l'Eglise parce qu'à Chaton, on ne vient pas lui raconter la messe ni lui sortir de conneries comme ça sans s'en prendre dans les dents à coups de références mortelles. Alors à défaut d'être allé parler de ses conclusions sur la vie, la mort et le paradis avec un prêtre qu'il n'est jamais allé voir, mon jeune patient s'est coltiné à Chaton dont le centre de gravité est suffisamment bas pour ne pas être bousculé par le premier venu. Chaton quand on lui parle, il démonte votre phrase comme un horloger une montre !

Merci aussi au Jeune Gentilhomme Tourangeau qui, faisant fi de son fatalisme forcené et de son pessimisme à toute épreuve, a emmené ce jeune homme à des cours de boxe française parce que parfois, ça fait du bien de lâcher son énergie de cette manière, que cela évite de dire et de faire des conneries et que sur un ring, le réel arrive bien vite à moins d'aimer s'en prendre plein la figure.

Et bien sur pour clore tout cela, merci à son médecin qui ne me lira jamais mais sans qui tout cela n'aurait pas été possible. Tandis que certains enclins à voir le pire auraient hospitalisé ce patient manu militari, j'ai pu compter sur quelqu'un sachant mesurer et prendre des risques sans de suite déclencher le plan vigipirate au niveau écarlate. C'est vraiment appréciable de tomber sur des médecins ayant suffisamment de bouteille pour tenter d'y voir clair au-delà des symptômes et connaissant suffisamment bien leurs patients et les molécules pour remplir leur obligation de moyens sans refiler le problème aux spécialistes immédiatement.

Ceci étant dit, cet article n'est en aucun cas l'occasion de marquer ma défiance vis à vis de la psychiatrie. Il concerne une personne que je connais bien et ne saurait illustrer tous les cas dans lesquels les gens sont "perchés". Donc en cas de doute sur vous ou vos proches, consultez votre médecin et faites lui confiance.  Et il n'est pas défendu d'en consulter un autre, un bon qui fera poser la part des choses et saura poser le bon diagnostic. Dans tous les cas, tentez de rester sujet de votre propre histoire et non un simple objet. Il ne s’agit ni de dédramatiser, ni de prendre les choses trop à la légère non plus : les neuroleptiques ça a aussi du bon ! Et parfois malheureusement l'internement est la seule solution possible.

En revanche même si je déteste généralement les groupes, j'admets que parfois l'union fait la force. Mais sans doute qu'un groupe de personnes individualistes est un peu différent d'un groupe de quidams moyens.

Enfin, bon merci à tous ! Et pourvu que ça dure !