30 juin, 2014

Le mort de faim !


Je connais un type, un de mes patients, qui pour diverses raisons, est resté en état semi-comateux depuis trente ans. Ayant branché le pilotage automatique, il s'est contenté de peu. Un psychiatre dirait qu'il était "stabilisé". C'est leur mot pour désigner leur mission : rendre quelqu'un inoffensif envers lui-même et les autres.

Pour cela c'est simple, soit on prescrit des médicaments soit on encourage le patient à adopter des attitudes l'amputant totalement et définitivement de ce qu'il est. Mais certaines personnes sont si douées qu'elles savent d'elles-mêmes et sans le recours à la faculté s'administrer le même traitement.

Elles font alors de leur vie, si ce n'est un enfer, du moins quelque chose de morne et triste. Et comme l'esprit humain s'habitue à tout, nous encourageant à croire à l'évidente plasticité du cerveau, elles parviennent ainsi à vivre ainsi qu'un condamné au mitard, en voyant passer les jours les uns après les autres comme le condamné qui dessinerait des petits bâtons sur les murs de sa cellule.

Alors voici que ce pauvre type, au bout de trente ans de mitard, retrouve par le plus grand des hasards son amour de jeunesse. Certes les années ont passé mais le mythe est encore vivace. C'était la femme de sa vie, ce sera encore celle-la. Et le voici qui fait des kilomètres pour la retrouver tous les weekends, ne sachant que lui offrir pour la mériter de nouveau.

Elle l'a connu adolescent alors vous pensez si elle sait tout de lui, tout de ce qu'il était avant de devenir cet homme pénétré de sagesse. Ses fausses certitudes sur la vie et l'avenir, elle n'en a cure, elle sait aisément accéder à son intimité émotionnelle qu'il tente maladroitement de cacher derrière des défenses assez communes. 

Elle n'a pas de talent particulier si ce n'est le talent de ceux qui pensent avoir tout compris et osent en croyant agir volontairement alors que tout ce qui se joue existe malgré eux. Un peu comme un enfant qui soufflerait en l'air et verrait les nuages bouger, elle ne se rend pas compte que le processus qui s'opère existe malgré elle et non à cause d'elle.

Quant à lui, ce benêt, il a tant abdiqué émotionnellement qu'il est prêt à croire à ces tours de magie. Alors à deux, ils s'enfoncent dans une histoire d'amour qui n'en est pas vraiment une. Tandis qu'elle lui enseigne ce qu'elle croit avoir compris de l'âme humaine, au prix d'une longue psychanalyse, lui avale tout comme un seul homme, croyant avoir trouvé le Graal ! Alors que l'infirmière vient juste de lui planter une perfusion de glucose dans le bras, il se croit attablé chez Ducasse.

Le voilà qui revit et l'infirmière lui parle et parle encore. L'un et l'autre, tels deux fous engagés dans une folie à deux, croient dur comme fer à ce qui leur arrive. Elle toute fière de ses acquis psychanalytique se persuade qu'elle lui donne le meilleur sans se douter qu'il ne s'agit que de glucose. Lui, mort de faim depuis trop longtemps, se convainc que le quignon qu'on lui a donné à rogner est ce qu'il attendait depuis toujours et que ce n'est que le début.

Mais ce qui se jouait n'était qu'un transfert et contre-transfert. Tandis que personne n'aurait pu l'aider tant il était muré dans sa solitude et ses certitudes, elle l'a pu sans s'en rendre compte. Amour de jeunesse nimbées de tendres souvenirs de ces temps mille fois bénis, ce sont ces réminiscences qui ont agi et ouvert le coeur hibernant de notre vieil ours.

Et comme elle n'était pas si maligne que cela, elle n'a rien compris de ce qu'elle avait fait. Elle avait la clé de son cœur, le code secret qui ouvrirait le coffre de ses sentiments et elle en a usé. Elle a ouvert la lourde porte d'acier qui gardait là intact ces joyaux mais n'en a eu cure. Car une fois dans ce coffre, elle a jugé qu'il sentait le renfermé et que la poussière s'y était accumulée. Toute autre qu'elle aurait été ravie de se parer d'aussi merveilleuses pierreries mais elle, s'est juste empressée de prendre plumeau et chiffon pour tenter de nettoyer la grotte aux trésors.

Quand le sage montre la lune du doigt, l'idiot regarde le doigt, dit un proverbe chinois tellement vrai. C'est sans doute ce qui s'est passé. Peu importe que l'histoire n'ait pas marché. Au pire c'eut été un moment de grâce, comme celui que Blondin nous fait traverser dans Un singe en hiver. Gabriel Fouquet et Albert Quentin reparte chacun de leur côté mais il s'est passé quelque chose ! 

Tandis que là, elle est repartie sans jamais rien comprendre tandis qu'il se lamente d'avoir été si adorablement appâté sans qu'il n'y ait eu de suite. Après sa perfusion de glucose, il s'attendait à de l'Ambroisie, il n'aura eu qu'une soupe claire dans laquelle nageait quelques morceaux gras de psychologie rudimentaire, de l'aliment pour neuneu sous-cortiqué. 

Elle ne le comprendra jamais et croit dur comme fer aux fausses raisons qu'elle se donne. Lui, il est si sensible qu'il se demandera toujours ce qu'il n'a pas su offrir pour continuer avec elle.

Pauvre bonhomme, elle ne te méritait plus. Parfaite ou presque à quinze ans, peut-être n'a-t-elle pas donné tout ce que tu avais rêvé qu'elle produise. Toutes les vignes ne promettent pas de grands crus classés et certains petits vins sont tout juste bons à boire immédiatement.

Elle aura su le réveiller et c'est éjà ça. Maintenant qu'il a compris qu'il avait encore faim et qu'il n'était pas un mort vivant, il lui reste à trouver celle qui saura se montrer à la hauteur. En attendant, remercions la Providence de ce cadeau qu'elle lui aura fait sans s'en rendre compte : le ramener à la vie. Et quand on connait son métier, c'est un joli pied-de-nez du destin. 

Et puisque j'en étais à citer Nicola Sirkis dans l'article précédent, pourquoi ne pas citer carrément Michel Fugain ?

C'est un beau roman, c'est une belle histoire
C'est une romance d'aujourd'hui
Il rentrait chez lui, là-haut vers le brouillard
Elle descendait dans le midi, le midi
Ils se sont trouvés au bord du chemin
Sur l'autoroute des vacances
C'était sans doute un jour de chance
Ils avaient le ciel à portée de main
Un cadeau de la providence
Alors pourquoi penser au lendemain
Une belle histoire, Michel Fugain, 1972

8 Comments:

Anonymous Anonyme said...

"Quand le sage montre la lune du doigt, l'idiot regarde la lune."
Ce ne serait pas plutôt "regarde le doigt" ? Enfin je ne sais pas, hein...

30/6/14 5:47 AM  
Blogger Nathalie said...

Quand le sage montre la lune du doigt, l'idiot regarde la lune

Ne serait-ce pas plutôt: "Quand le sage montre la lune du doigt, l'idiot regarde le doigt"?

Bien à vous,

Nathalie

30/6/14 1:13 PM  
Blogger chaton said...

Snif, c'est bô... c'est le concert qui a réveillé ton anima?

30/6/14 3:30 PM  
Blogger philippe psy said...

Merci à vous, j'écris si vite sans me relire que je ne vois même pas d'aussi grosses erreurs !

30/6/14 6:08 PM  
Blogger philippe psy said...

@Chaton : oui c'est à force de chanter avec Alexis, ça réveille puissamment l'anima les textes d'Indochine !

30/6/14 6:13 PM  
Blogger Unknown said...

Encore un pauvre joyau éconduit...on sent la déception et l'amertume que cela vous procure, chevalier du bonheur!

30/6/14 6:16 PM  
Blogger El Gringo said...

"Elle avait la clé de son cœur, le code secret qui ouvrirait le coffre de ses sentiments et elle en a usé. Elle a ouvert la lourde porte d'acier qui gardait là intact ces joyaux mais n'en a eu cure."

T'as pensé à contacter un éditeur?

http://www.harlequin.fr/

30/6/14 6:43 PM  
Blogger raimverd said...

Rien compris.
Donc ...

"Grâce à leurs impulsions affectives et mystiques, les hommes les plus ordinaires peuvent agir sans rien soupçonner de la genèse de leurs actes. Inutile d'essayer sur eux des arguments d'ordre intellectuel. En raison de leur faible faculté de compréhension, ils considèrent avec un mépris catégorique tout ce qui les dépasse." Gustave Le Bon

3/7/14 4:25 PM  

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