16 juin, 2014

Où j'angoisse comme un nourrisson face aux as-if !


Lundi dernier, rendez-vous au cabinet jusqu'à 14h00 puis sur skype en fin d'après-midi. Entre temps, je file faire le plein de ma super Honda XLS de 1980. Le temps est beau, tout va bien, j'arrive à la station service de la petite ville friquée que j'habite. Et là, je fais la queue tranquillement. Vient alors mon tour, je béquille la bête, j'ouvre le réservoir et comme un gros rat, je mets ma carte bleue dans la fente, je fais mon code et je sélectionne le super 95 parce que c'est le moins cher.

Et là, je jette un coup d'oeil aux alentours et me voici pris de panique, non d'angoisse et encore. Il s'agit plus d'une angoisse sourde, un sentiment diffus de mal-être dont je tente immédiatement d'analyser l'origine. Pourquoi, alors que tout va bien, suis je ainsi tandis que je me livre à une activité des plus prosaïques : faire le plein de ma moto !

Aucun prédateur dans les environs, qu'il s'agisse d'une bête sauvage ou d'un sniper planqué dans le coin dont j'aurais instinctivement senti la présence. Le danger n'est pas mortel, c'est déjà ça. Alors quoi ? Dès que l'angoisse survient, c'est que votre système d'alarme interne a ressenti une menace et qu'il vous enjoint de vous adapter. Puisque danger il y a, quel-est-il ?

Tel un soldat aguerri en missiosn de reconnaissance en milieu hostile, j'analyse mon environnement et je les vois ! Ils sont là, tout autour de moi, discrets mais menaçants. Qu'ils roulent en Peugeot 5008, en Citroën Picasso ou encore en Renault Espace, ils sont là à l'affut, occupés l'air de rien à remplir les réservoir de leurs monospaces. Ils ont tous la même tête, la même dégaine, le même air propre sur eux !

Où que je tourne la tête, je suis entouré de gens bien-comme-il faut, comme si j'étais immergé dans un congrès de l'UMP. Tout autour, où que mes yeux portent, je suis entouré de Valérieprécresses et de Brunolemaires ! Je n'ai même pas le loisir de me dire que s'ils sont comme ça, c'est parce qu'ils sont plus vieux que moi. Non, ils ont tous mon âge. Et on les sent tous accablés par les responsabilités. Rien qu'en les regardant, on comprend que la vie n'est pas un jeux et qu'il faut être sérieux. Pas le genre à faire des séances de caffing avec moi !

Ils doivent être parents d'adolescents qui se destinent à des carrières d'ingénieurs, occuper des postes à responsabilités avec des titres ronflants, avoir des avis autorisés sur tout et n'importe quoi, se départir de tout ce qui est passionnel et dire des phrases lourdes de sens comme "oh c'est plus compliqué qu'il n'y parait" ou encore "tout cela est très politique". 

Et moi au milieu d'eux, je fais tâche. Même pas un costume cravate pour rattraper l'allure détestable de ma Honda de 1980, je n'ai même pas mis ma Rolex, j'ai ma Casio achetée moins de trente euros sur Amazon. Je vis ce que peux vivre le jardinier mexicain qui ferait le plein de son pauvre pick-up dans un quartier friqué de Beverly Hills. Je pourrais tenter un sourire pour tenter de créer un lien mais ce serait peine perdue. Ils ont le visage fermé et sont concentré sur ce qu'ils sont en train de faire : le plein du réservoir. Sans doute qu'en tâche de fond, ils sont accaparés par tous les soucis du monde, vu les postes prestigieux qu'ils doivent avoir. 

Je les regarde un peu et un doute m'assaille. Et si j'avais continué dans la voie du droit. Putain j'avais de beaux diplômes moi aussi aujourd'hui, j'aurais une secrétaire à qui dire "qu'on ne me dérange pas" et j'aurais sans doute une BMW X5 ! Putain, j'ai raté ma vie, je ne suis rien d'autre qu'un clodo en XLS de 1980. Voilà ce que c'est que de vouloir poursuivre des rêves de pacotille, de vouloir vivre sa vie comme si la société n'existait pas.

Alors, une fois le plein fait, je mets un coup de kick (même pas de démarreur electrique) et je pars plein gaz. Et là, à deux-cent mètres à peine, voici que je croise mon pote Jeff, qui tel un clodo moyen marche sur le trottoir en peinant, les mains pleines de sacs plastiques du Carrefour Market. Je m'arrête et je le charge sans casque derrière moi. J'apprends qu'il a pété la distribution de sa voiture et qu'en attendant, il arpente les rues à pieds. Comme c'est une sorte de paria, ça me va.

On s'arrête chez lui, grande bâtisse à l'abandon sur un grand terrain rempli de vieilles voitures américaines et de motos anglaises et on papote en buvant un café médiocre servi dans des tasses douteuses. Je me sens mieux. C'est fou ce que dans ma débine, c'est sécurisant de rencontrer quelqu'un un peu comme moi, vivant normalement mais en marge de la société. Je lui raconte mon expérience, le fait que j'aie été entouré comme ça de ces gens as if. 

La personnalité as if (comme si) est une personnalité qui réalise une normalité de façade, voire une hypernormalité, contrastant avec une certaine pauvreté de la vie émotionnelle et avec des défenses dominées par l'intellectualisation des affects. Les processus défensifs font appel en particulier à des des compromis étayés sur le groupe, avec une extrême soumission et imitation. Décris par D.W. Winnicott sous le nom de "faux self", ils permettent un meilleur contrôle de la menace dépressive mais peuvent  aussi représenter une des modalités d'aménagement des états limite.

C'est rigolo parce que je parle de cela avec un type qui "souffre" d'un syndrome de Diogène mais qui m'apparait tout à coup d'une normalité banale et reposante après ma confrontation avec les zombies de la station service. Au moins, ses affects sont réels, sa sincérité jamais feinte et son authenticité poussée à l'extrême finalement rassurante.

Heureusement que je peux toujours compter sur un copain bizarre pour me remettre de mes rencontres avec tous ces gens en carton-pâte !


6 Comments:

Blogger Unknown said...

C'est la journée de la différence! J'ai le droit d'être différent des autres et les autres ont le droit de me voir différent!

16/6/14 4:50 PM  
Blogger Unknown said...

Etre caméléon c'est pas mal je trouve...on peut rencontrer toutes sortes d'individus ce qui est une richesse!

16/6/14 4:51 PM  
Blogger V. said...

Cela ressemble aux parents de la majorité de votre patientèle ... Tous ces ingénieurs, ces hauts diplômés qui vous inspirent tant d'articles sont venus spontanément à votre cabinet mais pas au monde :-D

16/6/14 5:41 PM  
Blogger Le Touffier said...

Les deux seuls avantages que j'accorde aux riches sont d'avoir des jolies femmes et de receler dans leur communauté des VRAIS riches.
Paradoxalement, en haut de la pyramide, on retrouve des personnes pour qui l'argent ne fait plus la différence. Un sandwiche de voyou (hareng pomme à l'huile), des valeurs humaines, une philosophie de la vie, des enfants bien éduqués ont plus de valeur pour eux qu'un coupé Audi. C'est grâce à ces riches-là que je suis parvenu à négliger les nouveaux riches, ceux qui ont substitué leurs valeurs humaines par l'exhibition de leur compte en banque.
Là où le vrai riche va montrer des signes de respect au bon mécano, seul à savoir prendre en charge son parc de Ferrari, le peigne-cul va exhiber sa morgue en notant la trace de poussière innaacceeeppttabblleeee sur le capot de sa X5 qui sort de révision.
A se définir par les signes extérieurs d'appartenance à une caste de privilégié, ils ne partagent cette illusion qu'avec leurs semblables.

My two cents.

18/6/14 11:32 PM  
Blogger Unknown said...

@Le touffier: D'accord avec vous.

20/6/14 6:41 PM  
Blogger Élie said...

En même temps, vu le coin où vous habitez, je veux bien croire que "ils" vous entourent !

12/6/18 2:26 PM  

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