16 juin, 2014

Putain de famille !


Parfois, on a beau avoir une famille pourrie, un père absent, une mère alcoolique, une sœur qui tapine et un frère en tôle, ce n'est pas grave, ça reste la famille et on l'aime comme ça ou du moins, on s'y fait. On a appris à se construire envers et contre tout. Au grand dam des spécialistes de l'aide sociale en tout genre, la famille c'est sacré, on n'en a qu'une. Parfois on décide de la larguer, de partir loin et de s'en recréer une autre. Parfois, bien qu'on soit lucide quant à ses manques, on décide de la garder et de faire avec.

Récemment, un patient qui n'a pas forcément eu le père et la mère dont on rêve, me disait qu'il avait été extrêmement choqué par la réflexion d'une de ses amies œuvrant à l'Aide Sociale à l'Enfance. Alors qu'il s'ouvrait de ce qu'il avait connu étant jeune, cette dernière lui avait expliqué qu'aujourd'hui, si l'ASE avait été avertie, il aurait été immédiatement mis en foyer et ses parents condamnés.Extrêmement lucide sur ce qu'il avait vécu, il ne reconnaissait pas le droit à autrui, et particulièrement à une administration aveugle, le droit de juger ses parents à sa place.

Bien entendu, il ne s'agit pas dans mes propos d'excuser ou de relativiser des comportements graves de la part des parents mais simplement d'admettre que c'est avant tout aux victimes ou considérées comme telles de savoir ce qu'elles doivent penser des liens parfois pathologiques qu'elles ont pu lier dans le passé. Quel qu'ait été leur environnement familial, c'est avant tout à ces personnes d'estimer quel lien, quel jugement, elles doivent réserver à leur famille.

Et si des institutions ou des thérapeutes peuvent leur venir en aide, il faut œuvrer avec circonspection. On a tout a fait le droit d'expliquer à quelqu'un qu'il a été victime de mauvais traitements sans pour autant juger à sa place ses bourreaux. Le patient n'est aucunement notre débiteur, il n'a pas à s'inscrire dans un schéma que l'on aurait préparé pour lui et dans lequel il aurait sa place de victime avec le devoir de se comporter comme telle. En psychologie, l'action paulienne n'a pas sa place, on n'a pas à  nous en prendre nous-même à la victime simplement parce qu'elle ne désigne pas ceux qui nous apparaissent comme ses bourreaux comme tels. Chacun fait ce qu'il peut avec le fardeau qui est le sien.

De la même manière, il ne sert à rien de victimiser à outrance. Rien n'est écrit à l'avance et l'esprit humain a énormément de ressources pour palier aux traumatismes subis. La résilience, qui distingue en physique la capacité d'un matériau à reprendre sa forme après avoir subi une contrainte, n'est pas un vain mot. S'il est intéressant d'analyser le traumatisme, il faut faire attention à ne pas assigner le patient à résidence dans une posture de victime. Après avoir constaté que ce qu'il a vécu était parfois terrible que fait-on ?

Parfois on peut réparer, parfois c'est impossible. Alors quoi ? Est-ce que l'on se lamente semaine après semaine en le plaignant et lui faisant miroiter combien agréable aurait été sa vie si il n'avait pas subi ce traumatisme ? De toute manière, à trop fixer le traumatisme, on n'avance plus, on s'encroute et la vie continue sans nous. Stagner ou avancer à marche forcée parfois, il n'y a pas d'autre alternative.

On nettoie la plaie du mieux que l'on peut et on avance, on se dit qu'il reste des tas de choses intéressantes à vivre. Et surtout, on comprend qu'avancer coute que coute est sans doute la meilleure manière d'envoyer se faire voir l'agresseur, de lui prouver qu'on était plus fort que ça. On a connu ce que l'on a connu et puis voilà. La surenchère de soins, d'écoute et d'empathie ne sont pas toujours utiles et même parfois nuisibles au rétablissement. De toute manière, bien malin celui qui saurait exactement ce qu'aurait été la vie de la victime si elle n'avait pas subi ce traumatisme !

Voici quelques années, une série anglaise nommée Shameless était diffusée. Elle parlait de la vie dans une famille du lumpen prolétariat. L'intérêt était justement de ne pas s'appesantir comme on l'aurait fait en France en victimisant cette famille mais en montrant que malgré tout, chacun des membres était capable de faire œuvre de stratégies de défense efficaces pour s'assurer sa place au soleil. La vie est une jungle ? Ok, alors chacun se débrouille en fonction de ses capacités pour s'en sortir du mieux possible.

Ces abrutis d'américains ayant de grandes difficultés à regarder quelque chose qui ne se passe pas chez eux, la série anglaise a été adaptée aux États-Unis sous le même titre. Réalisée avec plus de moyens, il faut avouer qu'elle est encore meilleure, le casting étant parfait. On s'aperçoit donc que bien que le père de famille, Frank Gallagher, soit un parasite social intévétér, mentuer pathologique et alcoolique, que la mère souffrant d'un trouble bipolaire, se soit barrée quand les enfants étaient jeunes, d'autres réseaux se crèent pour faire avancer la famille et faire en sorte que chacun des membres trouvent leur bonheur.

Il n'y pas qu'une manière d'être heureux. Et même si c'est une lapalissade que de dire que mieux vaut des parents aimants et riches que des parents pauvres et maltraitants, l'important est de se souvenir qu'il existe presque toujours des stratégies permettant de s'en sortir. Et si les services sociaux ou les psys sont parfois nécessaires, ne serait-ce qu'en cas de danger létal, ils ne sont pas la panacée.

Un individu a des ressources insoupçonnées. Toute aide extérieure efficace devrait être en mesure de lui faire réaliser ce potentiel et non de l'enfermer dans un statut victimaire. C'est avoir la décence d'admettre qu'une personne peut compter sur ses ressources propres et qu'elle n'est pas condamnée ad vitam aeternam à mendier l'aide d'autrui. C'est avoir le respect pour une personne en lui faisant la grâce de l'accepter comme personne à part entière et non comme une sorte de mutilé de la vie à surprotéger.

L'important finalement ce sont les liens que l'on peut tisser par ailleurs.


3 Comments:

Blogger Unknown said...

Superbe article, bravo.

16/6/14 4:43 PM  
Blogger Le Touffier said...

@Adès, c'est cela le problème d'un bon article, les commentaires sont difficiles.

Il manquait quelque chose à cet article, je ne savais pas quoi, mais il manquait quelque chose.

Je dirais ceci : rendez les Gallagher honnêtes, ils sont morts !
C'est ça le pire pour un Gallagher, lui ôter ses armes de survie. Parce que dans leur monde, on ne peut s'offrir ce luxe. Les honnêtes ont leurs armes qui sont meurtrières. Les gens heureux ont une morale destructrice. L'honnêteté et le bonheur peuvent se transformer en poison s'ils sont administrés de force.

Le tourment, la malice, la soumission peuvent être des éléments de survie.

Dans Shameless, le flic est sympathique (issu du même milieu, il se montre arrangeant, voir compatissant), le véritable ennemi ce sont les services sociaux, seule menace capable de rompre l'unité familiale au nom du Bien Social, valeur magique. Le seul pouvoir ravageur. Des conditions d'hygiène dont mes grands-parents ne trouvaient rien à redire pourraient être aujourd'hui considérés comme dramatiques. Le fond et la forme. Surprotéger les pauvres au nom d'une morale bourgeoise, c'est bien. On peut. On a le droit.

Il est de ces êtres qui se font un devoir de vous révéler le tragique de votre destin, au lieu de respecter votre instinct de survie.

Les Cahuzac contraints à l’honnêteté. L'idée est plaisante dans sa théorie, avec un ravage dans la classe politique. Il n'y aurait plus que des personnes soucieuses de l'intérêt public en politique. L'idée est baroque, et sans doute dangereuse. Surprotégeons nos élus de leurs instincts de prédateurs, au nom du bien public, je suis certain qu'ils nous remercierons.

Les Gallagher contraints à l’honnêteté, c'est un génocide. Et, je n'en doute pas, ils nous remercieront. Plus tard.

22/6/14 4:15 PM  
Blogger bebert2 said...

J'adore William H Macy,il porte la loose sur son visage

23/6/14 10:36 PM  

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