07 décembre, 2015

Y'a un truc !


Voici quelques mois, je recevais un patient venu du centre de la France en rendez-vous. Désireux de me soumettre un cas qu'il juge complexe, il me demande deux heures d'affilée. 

L'histoire est simple et tient en peu de mots : à l'heure ou lui et son épouse, tous deux médecins, vont simultanément prendre leur retraite, il juge le comportement de son épouse problématique. Certes, leur vie n'a pas toujours été un long fleuve tranquille mais jusqu'à présent, le quotidien ne lui avait jamais semblé insurmontable ; seules des crises fréquentes à tous les couples avaient émaillé leurs vies.

Il semblerait qu'aujourd'hui, son épouse est beaucoup changé. Elle lui a révélé la présence d'un amant. Jusque là, rien de bien terrible, ce sont des histoires qui arrivent malheureusement. Le pire étant qu'elle ne désire pas forcément divorcer mais simplement continuer leur vie de couple en lui imposant au rythme qu'elle voudra des escapades chez son coquin. L'histoire se corse donc un peu car on a du mal à concevoir qu'une femme de sa condition et ayant une telle éducation, puisse ainsi du jour au lendemain imposer une vie que la morale courante réprouve. Généralement, on choisit entre le mari et l'amant. Et si l'on veut les deux on fait en sorte que le premier ignore la présence du second.

Je tique donc un peu face à ce tableau de vie de couple bien curieux, décidé à en savoir plus. Il m'explique donc qu'outre cette curieuse demande consistant à lui imposer son amant, elle qui fut un modèle de bonne éducation a développé une tendance à jurer, sinon comme un charretier, du moins beaucoup plus souvent qu'auparavant. J'ai l'intuition que l'origine du problème n'est pas psychologique mais plutôt biologique.

Effectivement, madame a fait un AVC l'an passé. D'après l'IRM et ce qu'en a dit le neurologue, les conséquences sont minimes. On a pu relever un surcroit de fatigue mais rien de plus grave qui aurait pu susciter plus d'investigation. Je ne suis pas neurologue mais j'en sais suffisamment sur le sujet pour savoir que dans certains cas, certaines atteintes des lobes frontaux, un changement de caractère peut survenir, ce changement intervenant en pire, de bonnes personnes se transformant parfois après un AVC en individus odieux.

Étant comme BFM et ne pouvant me passer de mes experts, j'en viens donc à demander à mon patient de m'envoyer l'IRM et le compte-rendu, que je transmettrai à l'un de mes lecteurs, le bon docteur F, neurologue de profession.

Si je l'appelle le bon docteur F, c'est qu'il a pris le soin et a eu la gentillesse de recevoir Jésus un dimanche après-midi à domicile afin de me donner son avis alors qu'il y avait six mois d'attente à son cabinet. D'ailleurs, même Jésus l'avait trouvé sympathique et comme il me l'avait dit : ça change de la bande de cons que j'ai pu voir.

Sitôt dot, sitôt fait, k'expédie les documents au bon docteur F qui valide mon intuition en me précisant que : "On est bien d'accord que jurer comme un charretier à 60 ans doit faire tiquer et chercher quelquechose d'organique." Viennent ensuite, des explications très techniques et je l'imaginais déjà se faire ces réflexions en regardant l'IRM, le lisant comme moi je lirais une carte Michelin. Il est balèze le docteur F pour sortir un truc du genre : "Avec l'histoire, c'est sûr qu'on a envie d'incriminer le possible Avc lenticulaire G".

En revanche, il explique bien que : "Par contre, les patients souffrant de démence fronto-temporale ont souvent un tableau comme ça. Ça évoquerait une atteinte des boucles entre les noyaux gris et le cortex orbito-frontal". Il m'envoie aussi deux liens fort intéressants sur le sujet, un premier en français et un second en anglais. Je transmets alors à monsieur et madame, cette dernière m'indiquant qu'elle est maintenant prise en charge à côté de chez elle. 

L'amusant, si l'on peut dire, dans cette affaire est que l'on persiste à faire de la psychologie sans cerveau, comme si ce denier gérait tout un tas de choses mais surtout pas nos pensées et nos comportements sociaux. Et pourtant, tout un chacun ou presque, a déjà été bourré et a pu constater que l'ébriété, événement banal s'il en est, pouvait rendre très différent de ce que l'on est habituellement. 

Ainsi, en cas de changement de comportement même mineur suite à une atteinte du cerveau, tumeur, commotion, fracture, AVC, consultez votre neurologue et exigez des précisions. Après une fracture mal consolidée, une entorse mal soignée, on peut se mettre à boiter, alors imaginez bien qu'après un pet au casque mal diagnostiqué, on peut aussi avoir des séquelles et déconner plus ou moins.

Je ne suis pas la poubelle des mauvais médecins !

2 Comments:

Blogger Unknown said...

Cette histoire me rappelle un peu celle que me contait mon meilleur ami après son internat en département de neurologie. Il en gardait la conviction (encore partagée) qu'il n'y a pas de maladie mentale, mais seulement des dérèglements de la "plomberie" et déséquilibres des fluides qui y circulent.

7/12/15 11:05 PM  
Blogger Molly said...

"L'amusant, si l'on peut dire, dans cette affaire est que l'on persiste à faire de la psychologie sans cerveau" : dans vos écoles de psychothérapie/psychopraticionnie, peut-être. Pas assez de temps pour tout dire et peut-être, pas là pour ça.

4/1/16 4:03 AM  

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