11 novembre, 2015

Selon que vous serez puissant ou misérable !


L'une de mes chères patientes effectuait naguère un stage en secteur fermé d'un hôpital psychiatrique d'une banlieue sinistre. Elle me raconta alors ce qu'elle voyait en tant que soignante. Non que les personnes internées soient maltraitées mais que les diagnostiques soient un peu faits à l'emporte-pièce. On y parlait ainsi de névrotiques et de psychotiques sans pour autant préciser plus avant de pathologie. En gros, faceà des symptomes massifs comme du délire ou pseudo-délire, des conduites aberrantes ou encore de la violence, le patient semblait étiqueté psychotique et interné où on le soumettait à un traitement médicamenteux destiné à faire cesser les symptômes.

Elle voulait alors discuter avec moi de certains cas afin d'avoir mon avis. J'ai toujours pensé que cette jeune patiente sera un jour une "psy" d'une rare efficacité. Elle possède de manière innée cette capacité à être suffisamment sérieuse pour ne pas sombrer dans la supercherie tout en étant suffisamment allumée pour voir les choses que d'autres ne verront jamais alors même qu'ils ont leur nez dessus.

Bien entendu je l'ai mise en garde dans la mesure où ne connaissant pas les cas, il m'était difficile de me prononcer autrement que par intuition ou sentiment sans avoir aucune certitude. Comme j'ai l'habitude de le dire, moi je suis un maquignon et pour juger de "l'état de la bête", je dois la voir sur pieds au comice agricole ! Enfin, c'est partiellement faux comme vous le verrez deux paragraphes plus bas.

Enfin, n'oublions pas que dans le système de soin, je ne suis rien du tout, à peine plus qu'un ciron et que mon avis ne saurait se substituer à celui tout-puissant d'un psychiatre des hôpitaux devant lequel je m'incline bien poliment pour lui témoigner de mon plus profond respect ainsi qu'un moujik conscient de son imperfection se doit saluer le boyard ! De plus, s'agissant de psychiatrie publique, je me mets même à plat ventre face à ce maitre bien, heureux de lui lécher ses chaussures, conscient que s'agissant d'une structure étatique, elle ne saurait d'aucune manière quelle qu'elle soit être imparfaite parce que l'état c'est bien ! Je comprends aussi que si ce maître venait par le plus grand hasard à lire ma misérable prose, il puisse d'un auguste revers demain balayer mes pauvres arguments et me traiter d'idiot.

Je ne suis donc rien précisais-je à ma patiente et pas assez fou pour mettre en doute ses maitres mais on peut tout de même en discuter parce que j'aime bien profiler et que j'ai pris conscience que je suis même meilleur quand je ne vois pas les cas que lorsqu'ils sont face à moi. Je suis meilleur quand on me montre les photos de la scène du crime que quand je m'y promène. En fait, voir le "cas" me permet juste de me dire que j'avais raison, de valider ce que j'avais pensé quand on m'en avait parlé. Ainsi voici deux ou trois ans, quand j'avais été confronté à celui que j'ai nomme "mon faux schizophrène" avec qui j'ai d'ailleurs pris un café mardi, j'étais sur qu'il n'était pas plus schizophrène que moi avant même de le voir.

Tout ceci pour vous dire que j'étais en haleine et prêt à partager avec ma chère patiente le fruit de mes réflexions concernant les patients dont elle avait la charge. Si la majorité ne posait pas de problème, il est certains que quelques uns d'entre eux ont retenu mon attention. Certes, les symptômes étaient présents mais une petite voix en moi me disait que pour peu qu'on les écoute un peu, qu'on se penche un peu sur leur vécu, on trouverait sans aucun doute des explications valables permettant de comprendre leurs gestes ou leurs comportements sans pour autant les juger "psychotiques". 

C'est alors que je demandais plus d'explications à ma chère patiente. Ce qu'elle fut bien en peine de me fournir étant donné qu'aucun recueil anamnestique n'avait jamais eu lieu. Or sans anamnèse, sans biographie du patient donc, il est parfois impossible de se prononcer justement. Ainsi, imaginez qu'on vous amène aux urgences un jeune homme totalement perché débitant des bêtises à tout va, par exemple hurlant carrément que François Hollande est un bon président, allons jusqu'à l'outrance dans la symptomatologie ! 

Si le jeune homme en question est un musicien, on pourra penser à la drogue. En revanche, s'il s'agit d'un jeune expert comptable, le cas est plus épineux et on pourra ouvrir son manuel de psychiatrie à la lettre "p" pour savoir de quelle psychose il s'agit. Bref sans pour autant donner dans le stéréotype donnant à songer qu'un artiste est forcément drogué tandis qu'un énarque ne le serait pas, la biographie est importante. Il faut avoir un peu de "nez" pour diagnostiquer et ce, quelle que soit le symptôme.

Ainsi on peut tuer parce que l'on est fou mais aussi pour des tas d'autres raisons. On peut être violent parce que l'on est psychopathe avéré mais aussi pour de bonnes raisons. Par un point passent une multitude de droites et il en est de même pour le symptôme. Voilà ce que moi je dis. Et je rajoutai donc à ma patiente qu'en l'absence de données plus complètes je serais bien en peine de me prononcer sur le cas de la "patiente" qui la préoccupais si ce n'est que je comprenais qu'elle soit préoccupée car je l'aurais été aussi. Elle me répondit alors qu'ayant elle-même demandé quelques précisions, voire ayant pu en amener afin qu'ils sont écrits dans le dossier, on l'avait dissuadé de pousser plus loin ses investigations. Non qu'elle ait fait l'objet de menaces mais simplement qu'on lui ait prodigué ce conseil afin d'être plus performante.

Comme je le précisais à ma patiente, on ne fait pas tout à fait le même métier malgré des ressemblances évidentes. Je n'ai pas d'urgence et j'ai les moyens de prendre mon temps. Je ne suis pas submergé par les demandes, je n'ai pas à faire à des situations sociales dramatiques ou alors seulement en de rares occasions. Je n'ai pas non plus de problèmes de budget puisque je n'accueille que ceux que mon agenda me permet d'accueillir. Je ne suis donc jamais surchargé. Je conçois donc que ma pratique et celle qu'elle observe dans son lieu de stage soient différentes. Je sais aussi qu'il s'agit d'un cas parmi d'autres et je ne saurais généraliser cet état à tous les établissements. Ouf, j'ai pris toutes les garanties nécessaires.

En revanche, il me semble qu'être un "peu malin" pour creuser et écouter les patients ne soient pas des mesures budgétivores ni un luxe inouï mais que cela semble simplement le traitement humain que l'on doive réserver aux patients. Je connais des vétérinaires qui se fendent d'une petite caresse aux chiens qu'on leur amène avant de les ausculter. Sinon, on en est réduit à faire de la "symptomatologie" consistant à bombarder le symptôme incriminé à grands coups de molécules de façon à le faire régresser. C'est un peu limité surtout quand il s'agit de pathologies qui n'ont pas de marqueurs biologiques.Une fois l'objectif atteint, zou on relâche la patient jusqu'à ce qu'il récidive. Finalement cela ressemble un peu à l'institution judiciaire et pénitentiaire cette manière de procéder. O,n fabrique du multirécidiviste.

Je ne voudrais pas faire de mauvais esprit mais compte-tenu de l'endroit où est situé l’hôpital, il s'agit bien évidemment de "médecine pour pauvres". Gageons que les mêmes cas vus par le chef de service d'un grand hôpital en consultation privée auraient été traités différemment.

Souvenons-nous simplement que compte tenu du cout exorbitant des charges sociales pesant sur un salaire, fut-ce un SMIC, il n'existe pas vraiment de médecine de pauvres en France.

2 Comments:

Blogger Unknown said...

Ca fait peur qu'on ne s'intéresse pas un peu aux antécédents du patient !

15/11/15 1:01 PM  
Blogger El Gringo said...

"un jeune homme hurlant carrément que François Hollande est un bon président"

"s'il s'agit d'un jeune expert comptable, le cas est plus épineux"


Tu veux parler de Lapinou?

16/11/15 2:07 AM  

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